Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

jeudi 23 mars 2017

La chronique du blédard : Ni Macron, ni Fillon

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 23 mars 2017
Akram Belkaïd, Paris

Au départ, on s’était dit qu’un bon polar scandinave ou japonais ferait l’affaire ou bien, qu’avec un peu de courage, il serait peut-être possible de terminer l’un des multiples articles censés être rendus à une date butoir depuis longtemps dépassée. Une autre voix suggérait de rattraper le retard en matière de séries, de celles dont on n’a vu que les premiers épisodes il y a, on ne sait plus quand, et qui en sont aujourd’hui à la quatrième voire la cinquième saison. Tout sauf ce débat, se disait-on.

Et puis, un ado a voulu voir « le baston ». On a cherché à l’en dissuader mais devant son insistance, il a bien fallu s’installer avec lui devant le grand petit écran. Disons tout de suite que le boutonneux à la voix en perte d’octaves n’est pas resté assis plus d’une heure. Son écoute fut néanmoins attentive ponctuée parfois de questions pour mieux comprendre ce dont il s’agissait ou pour se faire préciser une notion agitée par l’une ou l’un des impétrants. A cela s’ajoutait quelques rires et applaudissements quand l’ineffable Jean-Luc faisait donner l’artillerie. Au final, avant de se lever pour rejoindre ses pénates, nous laissant accroché et incapable d’user de la télécommande pour regarder autre chose ou pour tout simplement s’endormir à une heure décente, il eut cette phrase en forme de couperet : « ‘Elle’ se comporte comme si elle avait déjà gagné. »

Et c’est effectivement cette même impression que nous avons retiré de ce premier débat pour l’élection présidentielle française. Bien sûr, se comporter comme si l’on avait déjà emporté la partie ne signifie pas qu’on va y arriver. Il est encore trop tôt pour avancer tel ou tel pronostic mais, c’est ainsi, il y a cette petite sensation désagréable, que disons-nous, ce malaise croissant qui incite à penser qu’avril prochain sera un remake de celui de 2002. On dira que c’est prévu depuis longtemps et que plus personne ne doute que la patronne du Front national sera qualifiée pour le second tour du scrutin. Précisons alors notre pensée. Cela risque bien d’être un autre « 21 avril » mais en pire.

Et ce pire pourra prendre plusieurs formes lesquelles pourront même se confondre car elles ne sont pas antagonistes. Il y a d’abord la possibilité d’un gros score, c’est-à-dire d’une avance bien plus importante que prévu. Une avance qui fera planer le doute sur le deuxième tour et qui empêchera la répétition du scénario 80%-20% de 2002. Le fumet putride qui se dégage actuellement du monde politique français contribuera à ce gros score. Pas un jour ne passe sans que des révélations ne tombent à propos du clientélisme et de l’affairisme ambiants. L’argent, les privilèges, le mépris du peuple et, surtout, cette certitude d’avoir le droit de ne pas respecter le droit, voilà ce dont il est question.

Quand les historiens se pencheront un jour sur cette période, ils relèveront à quel point la France ressemble désormais à ses post-colonies de la françafrique. Des margoulins qui paient des cadeaux à des hommes politiques – avec du cash dont on se doute qu’il vient d’Abidjan, de Libreville ou de Ndjamena en attendant que l’on apprenne qu’il pourrait aussi provenir d’Alger ou de Rabat… Des élus qui estiment que l’argent public leur appartient ainsi qu’à leur famille… Certes, l’Etat de droit fonctionne encore. La justice enquête. Corruption, abus de bien social, faux et usage de faux, escroquerie aggravée, recel,… Mazette, la belle liste que voilà ! Mais le mal est fait. En d’autres temps, la colère sourde et silencieuse, celle à propos de laquelle Jean-Paul Delevoye, alors médiateur de la République – c’était en février 2010 – avait tiré un signal d’alarme, se serait exprimée par le biais d’une jacquerie ou l’érection de barricades dans les rues de Paris. Aujourd’hui, le seul débouché pour cette rage multiforme est le vote pour le Front national.

Il y a ensuite cette vacuité que l’on a ressenti en entendant les autres candidats étaler des mesures et des promesses auxquelles ils semblent si peu croire. En l’état actuel des choses, deux adversaires semblent possibles face à la candidate frontiste : Emmanuel Macron ou François Fillon. D’un côté, la dynamique du vide, le « globish » à la sauce Molière, c’est-à-dire ce discours creux que l’on peut entendre dans les séminaires de motivation pour managers en quête d’avancement et de développement personnel. Du langage « HEC », si l’on préfère. De l’autre, le visage d’un Thénardier de notre temps, réactionnaire et partisan d’une thérapie de choc néolibérale dont on comprend tout l’intérêt qu’il a à se faire élire pour suspendre à son profit le temps de la justice.

Qu’il s’agisse de Macron, chouchou de la presse centre-gauche-caviar – qui a vu en lui le vainqueur d’un débat (!) – ou de Fillon visiblement heureux de ne pas avoir été malmené par deux « journalistes », au vrai des péagistes appelés à uniquement passer les plats, l’idée générale est que la candidate FN sera battue au final. Qu’entre les deux tours, la « mobilisation républicaine » battra son plein et que, comme 2002, des électeurs se rendront dans les bureaux de vote, les doigts pinçant leurs nez, afin de « faire barrage » en votant pour un candidat qui n’a pas forcément leurs faveurs. Attention à ce genre de certitudes… En tant qu’auteur de ces lignes, nous ne saurions prétendre au rôle d’échantillon représentatif mais qu’il soit dit, et la conviction est largement partagée, que ni Emmanuel Macron ni François Fillon ne méritent un bulletin de vote et cela même au nom d’un sauvetage républicain dont on ne peut oublier qu’il fit tant de cocus en 2002.
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1 commentaire:

myriam kendsi a dit…

Si le 2ème tour est serré ce sera compliqué de rester chez soi en se pinçant le nez