Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

jeudi 15 décembre 2016

La chronique du blédard : Poutinolâtres et Bacharogroupies

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 15 décembre 2016

Akram Belkaïd, Paris

Il est des analogies de discours qui méritent d’être relevées. Alors que les bombes à fragmentation de fabrication russe continuaient de se déverser sur Alep-est, les poutinolâtres et autres bacharogroupies avançaient des arguments en tous points comparables à ce que la propagande pro-israélienne diffusait durant les bombardements de Gaza en 2009 et en 2014. Le sort des victimes civiles, autrement dit la question essentielle dans ce genre de situation (ou, du moins, celle qui devrait primer et être au-dessus de toute considération partisane) ? La réponse habituelle est que leur drame est à imputer aux combattants, tous désignés par le terme désormais passe-partout de « djihadistes », qui les prennent en otage, qui se cachent parmi elles ou qui les utilisent comme boucliers humains.

Si l’on évoque la question des hôpitaux détruits ou les ambulances ciblées, on a ce genre de réplique : c’est encore la faute des combattants – les « djihadistes » - qui se réfugient dans les premiers (en les transformant en centre opérationnel) ou qui utilisent les secondes sans aucun scrupule. Parlons alors de la population qui souffre des bombardements, qui n’en peut plus des privations et l’on s’entend dire que si elle n’est pas complice c’est donc qu’elle est prise en otage et qu’elle fuirait si elle le pouvait pour se réfugier dans la joie et la bonne humeur auprès de ceux qui veulent la libérer… en la bombardant. Enfin, et comme c’est systématiquement le cas quand on s’indigne du sort des Palestiniens devant des partisans d’Israël, parler d’Alep-est en particulier et de la Syrie en général, c’est s’entendre dire « et le reste ? Pourquoi ne parlez-vous pas du Yémen ou de ce qui se passe à Mossoul ? » Ainsi, avant d’aborder le sujet de la Syrie (ou de la Palestine), il faudrait un liminaire aussi long que les Prolégomènes d’Ibn Khaldoun où seraient citées les situations au Tibet, au Timor, en Birmanie, au Burundi, en RD Congo sans oublier le sort funeste des Premières nations d’Amérique.

Il est évident que la situation en Syrie et à Alep génère en Algérie comme en France des confrontations musclées tant les positions sont irréconciliables. Prendre position contre Assad et son régime, c’est être automatiquement accusé de faire le jeu des intégristes, d’être à la solde du Qatar, de l’Arabie Saoudite, des Etats Unis, de l’Otan et d’Israël. Affirmer, encore et encore, que la contestation syrienne était au départ pacifique – et cela parce qu’on l’a vu sur le terrain quand tant d’autres ne savaient même pas à l’époque où se trouvent Alep, Palmyre ou Homs – c’est se faire qualifier d’agent de propagande pour cette « main invisible » qu’aiment tant dénoncer les complotistes en tous genres. Enfin, estimer que Vladimir Vladimirovitch Poutine est tout sauf un dirigeant progressiste porteur d’une nouvelle espérance pour tous les damnés de la terre, c’est se faire excommunier par les camarades d’hier qui restent engoncés dans la nostalgie des bonnes vieilles dialectiques anti-impérialistes et qui ne se demandent même pas pourquoi Poutine est si populaire auprès de l’extrême-droite européenne.

Ce qui me frappe dans la bataille des mots, c’est que de nombreuses personnes se positionnent surtout en fonction des médias occidentaux principaux. A les entendre, puisque des journaux comme Le Monde, le New York Times ou le Guardian dénoncent – ou critiquent - l’intervention russe en Syrie c’est donc que cette dernière doit être défendue et soutenue. Il est vrai que l’indignation médiatique occidentale à propos d’Alep est très sélective et que l’on aurait aimé entendre les mêmes discours quand les pauvres gazaouis mourraient sous les bombes à sous-munitions israéliennes. Mais concernant la Syrie, on peut aussi se rappeler qu’une montre cassée donne l’heure exacte deux fois par jour. Autrement dit, aussi critiquables soient-ils, les médias « mainstream » peuvent parfois être dans le juste. En tous les cas, en tant que journaliste, l’auteur de ses lignes préfère de loin lire un papier dans ces publications plutôt que d’accorder le moindre crédit à cette floraison de sites dits alternatifs et qui ne sont qu’un ramassis de fausses informations et d’analyses tronquées cela sans oublier les médias financés par les fonds publics russes dont on est en droit d’interroger l’indépendance si ce n’est l’intégrité.

L’autre point marquant a été relevé dans une excellente tribune du journaliste Dominique Vidal publiée sur son mur Facebook (*). Il est frappant de voir à quel point l’ignorance caractérise tant de gens qui s’expriment à propos de la Syrie. Celles et ceux qui clament que le régime syrien est la dernière ligne de défense face à Israël semblent ainsi ignorer combien les Assad père et fils se sont accommodés de la cohabitation avec leur voisin. Caractéristique de notre temps où l’opinion prime sur le savoir et la connaissance, ils écoutent à peine quand on leur parle du refus de la Syrie de se porter au secours des Palestiniens lors des évènements de Septembre noir en 1970. Inutile aussi de leur parler du martyre du camp palestinien de Tell al-Zaatar à Beyrouth, assiégé durant l’été 1976 par les milices phalangistes qui, après sa prise, s’y livrèrent à des massacres de civils (2 000 morts) avec l’aval et la complicité passive de Damas dont les troupes étaient pourtant présentes au Liban. Même chose, comme l’a rappelé Dominique Vidal, en ce qui concerne les massacres de Hama en 1982.

L’histoire récente de la Syrie est une longue séquence de répressions violentes et de négation forcenée de tout pluralisme politique réel. Il faudrait être fou pour souhaiter que ce pays tombe entre les mains de Daech ou d’autres groupes intégristes. Mais il faut prendre conscience que la perpétuation coûte que coûte du régime et de son mur de la terreur ne peut que préparer d’autres embrasements et d’autres tragédies. Ne pas se réjouir de la « victoire » de Poutine et de son désormais obligé qu’est Assad, n’est donc pas simplement une position éthique. C’est aussi de la clairvoyance.

(*) « Pourquoi ont-ils le cœur sec ? », 14 décembre 2016
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jeudi 8 décembre 2016

La chronique du blédard : Valls et son toupet

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 8 décembre 2016
Akram Belkaïd, Paris

Je me demande souvent si les femmes et les hommes politiques sont vraiment persuadés qu’ils peuvent dire n’importe quoi aux gens sans grands risques. Qu’ils peuvent leur assener tout et leur contraire sans que cela porte à conséquence. Cela vaut aussi pour l’entourage de ces personnalités publiques, autrement dit leurs conseillers censés être aussi attentifs à l’image et au geste qu’au contenu du message délivré. Le petit cirque communicationnel que vient de nous infliger le désormais ex-premier ministre Manuel Valls pour se déclarer candidat à l’élection présidentielle française motive ce genre d’interrogation.

Avant de s’intéresser aux mots, attardons-nous quelques lignes sur cette scène, digne d’une publicité Benetton, où l’on a vu Valls annoncer sa candidature en étant entouré de plusieurs personnes d’origines diverses. Un beau tableau pluriculturel (ou multiethnique) qui affiche un objectif évident. Valls entend représenter tous les Français à commencer par celles et ceux des « quartiers ». Lui, qui en 2009, trouvait qu’il manquait des « blancos » sur le marché de la ville d’Evry s’est donc opportunément rappelé que les primaires à gauche ne se gagneront pas sans le vote des français d’origines étrangères. On imagine sans peine la préparation de ce grand moment et la composition de l’émouvante scène. « Bon, il me faut un vieux, blanc, et à côté de lui, une arabe. Mettez ensuite une gauloise et un asiatique. Zut, il nous manque un Noir ! Mais b…, bougez-vous ! Trouvez-moi un Noir, jeune et avec des lunettes. Vite ! »  

Venons-on à l’un des propos du candidat. « J’en ai assez de ces discours qui nous divisent, qui stigmatisent, là nos compatriotes musulmans, là les réfugiés fuyant la guerre. » Voilà qui est nouveau de la part de quelqu’un qui n’a jamais cessé de souffler sur les braises de la division et de la stigmatisation. D’accord avec Jean-Pierre Chevènement pour appeler les musulmans à plus de « discrétion », n’est-ce pas lui qui a manqué de retenue et de discernement dans la bien pitoyable affaire du burkini ? N’est-ce pas lui qui, bien plus que son ex-patron Hollande, a été l’un des fervents partisans de la déchéance de nationalité ? Un dossier empoisonné qui a semé la division au sein de la gauche et installé l’idée qu’à faute identique, les Français n’auront pas la même sanction juridique selon leurs origines ?

Valls, qui récuse le terme d’islamophobie au prétexte – argument très prisé par la droite, les chroniqueurs réacs et la fachosphère – qu’il ferait le jeu des djihadistes et des salafistes, n’a pas simplement ajouté sa voix au concert stigmatisant les personnes de confession ou de cultures musulmanes. Il a aussi montré qu’il n’hésitait pas à s’emparer de sujets très clivants au risque de semer encore plus la discorde. On a le droit de penser ce que l’on veut du voile dans l’espace public mais balancer des phrases comme « Marianne a le sein nu, elle n’est pas voilée », est-ce cela le propos d’un homme politique responsable, attentif à ne pas ajouter du désordre au désordre ? Mais il y a plus grave. Alors qu’il était en poste, l’ex-premier ministre semblait prêt à exiger l’interdiction du voile à l’université. Encore une fois, on pense ce que l’on veut de cette question, mais le fait même de vouloir ouvrir ce débat, dans le contexte que l’on sait, montre à quel point cet homme peut facilement embraser la scène nationale. Un peu à la manière d’un Nicolas Sarkozy qui ne s’embarrassait guère de scrupules quand il s’agissait de diviser la société pour son seul profit électoral.

La question que je me pose est de savoir si Valls croit vraiment qu’il va faire oublier ses prises de position ? Ignore-t-il que les réseaux sociaux ont de la mémoire et que la com’ et ses artifices ne suffiront pas à dissiper les rancunes et la colère ? Cela vaut d’ailleurs pour d’autres sujets. Valls veut, dit-il, rassembler la gauche. Après avoir estimé qu’il existait deux gauches « irréconciliables » ? Après avoir fait la chasse aux députés frondeurs ? Après avoir usé et abusé de l’article 49.3 de la Constitution pour imposer, sans vote au Parlement, des textes combattus par une partie de la gauche ? Après avoir été le chef d’un gouvernement qui a fait ainsi adopter la fameuse loi El-Komri, un texte qui aurait dû s’appeler loi Valls tant son élaboration, au mot près, fut l’œuvre de l’ex-premier ministre et de ses conseillers ? Résumons : Valls a gouverné contre une partie de la gauche mais veut désormais ses voix   pour se faire élire afin de mener demain une politique qui ne sera certainement pas en accord avec ce qu’attend cette même gauche. Quel culot ! Quel toupet ! « M’ttalass ! » dirait-on à Alger. « Chutzpah ! » répondrait-on à New York.

Dans les prochains jours, Valls va peut être réaliser qu’il n’a aucune chance de convaincre les déçus de sa politique qu’il a changé ou, plus encore, qu’il peut changer. Il sera alors intéressant de voir comment son discours va évoluer et s’il ne va pas remettre au goût du jour ses propos sur l’islam. En tout état de cause, et même si le dégagisme et le « sortons les sortants » ne sauraient tenir lieu de motivation politique pour l’électeur, il sera néanmoins agréable, utile et prophylactique d’envoyer Valls rejoindre Sarkozy, Coppé et compagnie dans la fosse des hors course pour le rendez-vous d’avril et mai 2017. 
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lundi 5 décembre 2016

La chronique économique : Or et inflation, dollar et pétrole

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Le Quotidien d’Oran, mercredi 30 novembre 2016
Akram Belkaïd, Paris


Certains mécanismes de marché sont souvent automatiques ou, du moins, le plus souvent prévisibles. On sait, par exemple, qu’une annonce de baisse des taux va provoquer la hausse des cours obligataires. Or, ces derniers temps, certaines corrélations ne semblent plus fonctionner ou alors elles tardent à se réaliser. L’élection surprise de Donald Trump semble avoir semé une confusion extrême sur les places financières.

Quand l’inflation monte, l’or...

Un exemple, parmi tant d’autres, est celui de l’once d’or (près de 31,1 grammes). On sait que le président élu veut mettre en place un plan de relance budgétaire de grande ampleur et cela pour, notamment, financer de nouvelles infrastructures. Il veut aussi baisser les impôts de manière à relancer les dépenses de consommation. Dans les deux cas, il s’agit de mesures qui auront – normalement – pour conséquence une hausse de l’inflation. Dans ce genre de configuration, l’un des moyens de se prémunir contre les poussées inflationnistes est d’acheter des actifs tels que l’or. Relevons d’ailleurs que le métal précieux est aussi censé être un achat prioritaire en temps troublés. Or, loin d’augmenter, l’once d’or connaît actuellement une importante tendance baissière et a même cassé le plancher des 1200 dollars. Autrement dit, le métal jaune ne joue pas son rôle de valeur refuge.

Certes, l’once a bondit après l’annonce de la victoire de Trump mais cela n’a guère duré et le reflux est venu rapidement. On peut penser que la décision de l’Inde – grand acteur du marché – de geler ses importations jusqu’en mars 2017 a favorisé ce repli mais, dans un schéma normal, la perspective d’un retour à l’inflation (et donc à la hausse des taux d’intérêts) aurait du provoquer une hausse des prix de l’or. Si les explications manquent à propos de cette situation, de nombreux experts se demandent s’il n’est pas temps d’investir dans le métal précieux en pariant sur un retour aux comportements normaux de marché et donc de placements dans l’or.

Quand le dollar monte, le pétrole...

Un autre exemple concerne le pétrole. Tout nouveau venu dans une salle de marchés apprend deux choses : D’abord, que le prix des obligations varie en sens inverse des taux d’intérêts. Ensuite, que le dollar et les cours du pétrole évoluent le plus souvent en sens opposés. Actuellement, et c’est une conséquence de l’élection de Trump, le dollar est dans une tendance haussière. Cela aurait dû coïncider avec un repli du baril. Ce dernier pourtant continue de résister. L’explication, dans ce cas, est liée aux efforts de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) de s’entendre autour d’une réduction de l’offre (pour limiter la baisse des prix). Autrement dit, la résistance des cours du brut se maintiendra tant que le marché espérera que l’Opep trouve un accord. En cas d’échec, la baisse des prix du baril risque d’être violente : à la déception liée à l’absence d’un accord de réduction des pompages s’ajoutera l’effet mécanique relevant de la hausse du dollar.
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"A peine j'ouvre les yeux" (sic)

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Enfin pu voir « A peine j’ouvre les yeux » de Leyla Bouzid (Tunisie, 2015, Prix du public à la Mostra de Venise). Relevons d'abord ce titre qui se veut poétique mais dont la syntaxe et la grammaire sont des plus approximatives (traduction de "3ala halat 3ayni"). Et disons ensuite que c'est un bon et beau film pour ados, une sorte de "teen movie" à message politique puisqu'il décrit bien les déboires d'une jeune bachelière qui chante des textes engagés dans la Tunisie policière de Ben Ali en 2010 (quelques cours de chants n'auraient pas été superflus pour l'actrice). Seul bémol, et il est de taille, la gamine en question semble être la seule à ne pas connaître la réalité sécuritaire de son pays et ce dont étaient alors capables les services de sécurité.
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dimanche 4 décembre 2016

La chronique du blédard : Première neige (à Montréal...)

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 1er décembre 2016
Akram Belkaïd, à Montréal



La dame blanche est annoncée pour la nuit. Voilà des jours qu’elle est attendue, guettée, ses effets anticipés peut-être même craints. Ici, ce sont des piquets et des balises qui ont été plantés le long des grands boulevards et des avenues. Là, on a posé de grands cylindres à la fluorescence orangée pour mettre en garde contre les dangers d’une ville à la chaussée déglinguée. Nids-de-poule, trous, graviers : autant de pièges urbains qui, inconscience ou volontarisme très nord-américains, n’ont pas dissuadé Montréal d’accueillir en juillet prochain un grand prix de formule E (voitures électriques). En attendant le printemps et la débâcle du Saint-Laurent, partout, ou presque, on a retiré les bornes pour vélos et fiché quelques panneaux interdisant le stationnement. Elle arrive… L’automne et sa douceur se terminent avant l’heure prévue.

La neige, donc, en sa première bordée. Radios, télés et journaux reprennent les prévisions de MétéoMédia ou d’Environnement Canada. Caprices et alternance d’El Niño et de La Niña obligent, l’hiver sera dur à Montréal, peut-être même plus dur que dans le reste de la (belle) province du Québec. La neige, cet objet de conversations sérieuses au déjeuner matinal comme au dîner (de midi…) ou au souper du soir. Sera-t-elle au rendez-vous, empêchant un autre Noël vert ? Quand ? Bientôt ? Combien (de centimètres) ? Frémissement général : le flocon est dans tous les esprits. Pour le visiteur de passage, cette focalisation est étonnante. Les gens du coin ne seraient-ils pas habitués ? On va devoir réapprendre à vivre avec elle, disent-ils, passée la première surprise quand on les interroge sur le sujet. Reprendre les bonnes habitudes qui permettent de s’accommoder des trottoirs glissants, des routes encombrées et du froid omniprésent. Sortir les bottes, les vêtements chauds, très chauds, les gants, les anoraks en plumes d’oie achetés lors des dernières soldes du black Friday, pardon, du vendredi noir (ou fou).

Au très petit matin, le silence. Une ruelle immaculée. Un décor boulinant ou boulant. Neige molle, quelques centimètres. Elle est donc bien arrivée durant la nuit. Le crissement des pas, le halo vaporeux qui accompagne la respiration. En profiter. Tout à l’heure, la faute aux voitures et à la poussière accumulée au cours des mois, tout cela sera transformé en gadoue grise ou en bouette noire. On avance lentement, attentif aux expériences passées, comme celle qui nous vit confondre une fine plaque de glace sombre recouvrant un caniveau inondé avec un bout de trottoir. Pas de glissade mais de l’eau glacée (et sale) jusqu’au mollet. Eternuements…

Marcher dans Montréal avec la neige qui botte au pied. Une première vision. A la station d’une sortie de métro, une longue file humaine, disciplinée, très très disciplinée, en apparence indifférente à la morsure du froid. Le vent s’est levé et la poudrerie fouette le visage – ce n’est tout de même pas le blizzard - mais la queue est calme. L’attente tranquille est la même dans d’autres endroits. Plus tard, dans la soirée, en écoutant les nouvelles du jour, on apprendra qu’elle aura été longue. Prétextant ne pas comprendre de nouvelles dispositions bureaucratiques, de nombreux chauffeurs de bus ont tardé à prendre le volant. Douze des vingt-trois lignes perturbées. Micro-trottoirs, colère (très mesurée) des usagers, élus municipaux (de l’opposition) qui s’emportent, élus municipaux (de la majorité) qui s’indignent, promesses de sanctions, gêne des syndicats. Première neige, premières pagailles…

Poursuivre la marche. Observer les gens, leurs allures. Incertaines pour les uns, rares, affirmées pour les autres, plus nombreux. Au niveau du boulevard René Lévesque, à quelques centaines de mètres d’un premier rendez-vous bien matinal, on est le témoin d’une scène étrange. Un camion, son signal sonore strident et des ouvriers qui déposent des bandes de gazon et de tourbe sur un terre-plein. Etonné, on se dit que c’est peut-être une procédure normale, que l’herbe va pousser tranquillement sous la neige et on passe son chemin. Le soir, toujours en écoutant les nouvelles, on apprendra que l’opération – incongrue - a déclenché un mini-scandale. Colère des élus municipaux (de l’opposition), gêne des élus municipaux (de la majorité) et promesse de la mairie de ne pas allonger le moindre dollar à l’entrepreneur pressé de boucler son chantier pour être payé. Première neige, premières berdasseries

Le soir, encore, on prendra la mesure de l’importance de l’événement. Sur les plateaux, on s’interroge. Cette neige tiendra-t-elle ? A quand la prochaine ? Dans cinq jours prédisent les experts à - ce qui semble être - la satisfaction générale. La neige comme symbole de normalité, d’ordre logique des choses. Une matière médiatique bienvenue pour évoquer les incidents de la journée, les voitures et leurs sorties de route ou leurs pannes malvenues à l’entrée d’un échangeur. On interroge les adeptes du pelletage comme sport matinal ou les ménages qui remettent les souffleuses à l’entrée du garage. Lyrique, un commentateur du Journal de Montréal affirme que la première neige est comme un premier amour. On l’attend longtemps, il n’en reste rien mais on s’en souvient. Plus mesuré, l’un de ses confrères affirme que c’est juste une leçon. Un échauffement, si l’on ose dire, ou un rappel à l’ordre pour comprendre, bien comprendre, que la longue parenthèse hivernale a bel et bien commencé.
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