Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

dimanche 20 novembre 2016

La chronique du blédard : Monologue de l’électeur indécis

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 17 novembre 2016
Akram Belkaïd, Paris


Tu vois, je n’ai aucune idée, mais vraiment aucune idée de pour qui je vais voter au printemps prochain. C’est la première fois que ça m’arrive. J’ai toujours su quel était mon choix plusieurs mois avant l’élection. En 1988, j’ai voté Mitterrand parce qu’il n’était pas question que Chirac et la droite reviennent. Déjà, à l’époque, on se faisait avoir avec ces choix par défaut, ces votes contre… En 1995, mon candidat, c’était Jospin parce que je ne voulais pas de Chirac et encore moins de Balladur. Ensuite, les choses ont commencé à se brouiller…

En 2002, j’ai voté Taubira au premier tour. Je voulais envoyer un signal fort à la gauche « socialiste » et à Jospin. J’étais persuadé qu’il allait être élu et je me préparais à voter quand même pour lui au deuxième tour. Oui, j’étais très en colère contre sa politique économique. Les privatisations, les licenciements chez Michelin, sa phrase sur le fait que l’Etat ne pouvait rien contre le marché et que tout le monde avait accepté cette situation, son programme qui n’était pas « socialiste »… Ah, la belle trahison !

Le soir du 21 avril, c’est vrai, j’étais mal. Le Pen au deuxième tour… Un peu à cause de gens comme moi. Si on avait tous voté pour Jospin, l’affaire aurait été différente. Mais bon, impossible de revenir en arrière. Je me souviens d’une discussion qu’on a eue toi et moi. Tu m’as dit qu’il valait mieux ne pas aller voter au deuxième tour… J’ai beaucoup réfléchi et j’ai décidé que c’était la seule chose à faire. Chirac ? Jamais ! C’est une décision qui m’a valu beaucoup d’engueulades avec mon entourage. Ma femme m’a dit ‘’non seulement tu nous amènes Le Pen au deuxième tour mais ensuite tu fais comme si de rien n’était !’’ A l’époque, les copains de gauche me parlaient de l’honneur de la France qu’il fallait sauver. Je leur répondais que l’honneur était déjà souillé et que, finalement, Jospin n’avait qu’à s’en prendre qu’à lui-même.

Chirac n’a pas eu mon bulletin et les gens de gauche qui ont voté pour lui ont été les cocus de l’histoire. Ils auraient mieux fait de rester chez eux. Sa défaite était impossible. Mais le fait de ne pas avoir la gauche avec lui l’aurait privé de ce 80% des votes qui lui ont fait croire qu’il pouvait tout faire. Il ne faut jamais élire un homme politique avec un taux pareil ! D’abord, ça fait république bananière. Ensuite, ça lui donne la grosse tête. Je ne me suis pas laissé impressionné. Tous ces médias qui nous annonçaient la catastrophe, les gens qui jouaient à se faire peur… Le Pen, à l’époque, n’avait aucune chance. Aujourd’hui, ce serait une autre histoire…

Ma femme vote toujours socialiste mais elle a quand même donné sa voix à Chirac en 2002. Et elle m’en veut encore pour ça ! Elle dit qu’elle a fait le sale boulot pour moi. Moi, ça me fait rigoler alors ça l’énerve encore plus. La semaine dernière, après l’élection de Trump, elle m’a dit que c’était la faute de gens comme moi si ce gugusse a été élu. Je me suis rendu compte qu’elle avait raison. Si j’étais américain, je n’aurais jamais voté pour Hillary Clinton. Mais bon, j’ai gardé ça pour moi...

En 2007, je suis allé voter en traînant des pieds. Ségolène au premier tour, Ségolène au deuxième en sachant pertinemment qu’elle allait perdre parce que l’autre était gagnant d’avance. Quoi ? Bah oui, Ségolène, comment veux-tu que je l’appelle ? Ah, d’accord ! Oui, c’est vrai, on a pris l’habitude de ne l’appeler que par son prénom. Bon, si tu veux. J’ai voté Royal les deux fois. Pas question de donner ma voix à l’autre – et ne me demande pas de le nommer. C’est lui qui a pourri l’ambiance en France. C’est lui qui a ouvert la boite de Pandore sur les histoires d’identité. Il a électrisé tous les débats. Que des gens pensent encore à voter pour lui cette année, ça me sidère.

En 2012, champagne et détente. Avec le recul, je me dis que j’étais tellement content qu’on se débarrasse de l’autre qu’on n’a pas vu venir le souk qui nous attendait. Pétard, quelle déception, hein ? Cinq ans pour rien. Qu’est-ce qu’il va rester de ce quinquennat. Je n’arrive pas à comprendre comment on en est arrivés là. Et maintenant, on se retrouve dans une situation où l’autre risque de revenir au pouvoir. Non, il n’a pas encore perdu les primaires. Crois-moi, c’est loin d’être gagné. Juppé n’est pas encore président… Il faut d’abord qu’il batte l’autre aux primaires et ça va être une vraie bagarre. Un truc très moche parce que c’est l’air du temps qui veut ça.


Ma femme, la socialiste, va voter aux primaires de la droite. Pour avril prochain, elle veut un match Macron contre Juppé. Voilà où on en est… Macron… Elle a fait une croix sur Hollande et Valls ne la convainc pas. Moi, je ne sais pas encore. Je ne sais pas quoi faire. J’irai voter pour le candidat le plus à gauche au premier tour. Ensuite, il y a de fortes chances pour que je reste à la maison pour le second. On entend déjà la musique qui nous dit que Le Pen sera qualifiée et qu’il faudra voter contre elle. On ne m’aura pas. Si c’est l’autre qui est en face d’elle, je te le dis dès maintenant, je vais à la pêche. Arrive ce qui arrivera. Et pas question, non plus, de voter Juppé. S’il est au deuxième tour contre Marine, ma femme votera pour lui. Ça suffira à le faire élire…
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1 commentaire:

Richpé a dit…

Merci pour vos papiers, je vous découvre par un lien sur Basta, je vous mets en favori d'office pour vous suivre tous les jours. Vous avez un style des pays du soleil, l'air de blaguer et toc, ça pique, bien précis. Je partage votre analyse sur Trump et je suis comme vous pour l'élection française, je parierai bien pour la pêche pour le deuxième tour.