Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

vendredi 11 mars 2016

La chronique du blédard : En défense de BDS

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 10 mars 2016
Akram Belkaïd, Paris

C’est une question de liberté d’opinion, de droit à l’expression et de droit à l’engagement citoyen. C’est aussi l’illustration de la médiocrité pour ne pas dire plus qui caractérise le discours politique officiel dans l’Hexagone. Depuis plusieurs mois, le Premier ministre français Manuel Valls ne cesse de fustiger celles et ceux qui s’opposent à la politique coloniale de l’Etat israélien. Tel une girouette, celui qui, il y a quelques années encore, réclamait avec vigueur une remise en cause des accords entre l’Union européenne et Israël afin de protester contre le sort fait aux Palestiniens, a donc changé totalement de registre… Pour lui désormais, se revendiquer antisioniste revient à faire preuve d’antisémitisme.

Ce genre de propos n’est pas neutre. Il vise d’abord à empêcher toute critique de l’Etat israélien. La ficelle est grosse et ancienne. Cela fait des décennies qu’elle est utilisée par la propagande de l’état hébreu et par ses nombreux soutiens dans les pays occidentaux. Faire peser le soupçon d’antisémitisme sur les voix pro-palestiniennes vise à disqualifier une solidarité dont la vigueur ne se dément pas. Dans un pays où les fantômes de la Seconde Guerre mondiale et du régime de Vichy continuent de hanter la vie politique, cela contribue à placer les amis des Palestiniens dans une position défensive, obligés qu’ils sont à toujours se justifier et à expliquer qu’ils ne sont ni antisémites ni judéophobes mais qu’ils mènent un combat honorable. Un combat qui consiste à revendiquer pour les Palestiniens, toujours privés d’Etat, les droits que leur dénie Israël.

Ensuite, il faut bien relever que la déclaration de Manuel Valls intervient dans un contexte de contre-offensive menée par le gouvernement israélien et ses soutiens à l’égard du mouvement BDS. Ce dernier qui prône le boycott, le désinvestissement et des sanctions contre Israël est très actif en Occident et il ne se passe pas une semaine sans que l’on apprenne que telle ou telle université ou universitaire américains a décidé de le soutenir si ce n’est de le rejoindre. Même si elles sont niées ou minorées, les pertes financières subies par l’économie israélienne en raison de l’essor de BDS inquiètent le gouvernement de Benjamin Netanyahou.

Dès lors, on comprend ce qui est en train de se jouer en France. Pour Manuel Valls, il ne s’agit pas simplement de faire en sorte que la critique d’Israël soit de plus en plus difficile et malaisée. Il veut passer à la vitesse supérieure et empêcher définitivement que ne s’expriment les appels au boycottage de ce pays et de ses colonies de Jérusalem et de Cisjordanie. Ce dernier point est le plus important. Fondamental même. Au regard de la justice internationale, les colonies qui ne cessent de s’étendre, sont illégales. Cela, Manuel Valls feint de l’oublier. Ni les Etats-Unis et encore moins l’Europe ne sont capables d’imposer à Netanyahou la fin de la colonisation et, encore plus, le démantèlement des colonies existantes.

Le mouvement BDS est donc légitime dans son action et ses objectifs. Contrairement aux divagations que l’on peut entendre et lire ici et là, il ne vise pas à délégitimer l’Etat d’Israël et encore moins le détruire. Son but est de l’obliger à revenir sur la politique coloniale du fait établi. Ce sont le boycott et les sanctions internationales qui ont obligé l’Afrique du sud raciste et ségrégationniste à remettre en cause l’apartheid. C’est ce que veut le mouvement BDS dont certains militants sont encore poursuivis en France. Des poursuites que Christiane Taubira, alors ministre de la Justice, s’est bien gardée d’annuler...

Appeler au boycottage d’un produit, d’une entreprise ou d’un pays est un droit. Cela relève de cette liberté d’expression dont on parle tant depuis plusieurs mois. Cela relève aussi de la conviction et de l’engagement politiques. Nier ce droit et, à l’inverse, l’assimiler à un délit est une démarche dangereuse. Non seulement, elle risque de radicaliser les positions mais, surtout, elle va renforcer l’idée que l’actuel gouvernement français est aux ordres de Benjamin Netanyahou. Bien sûr, on peut ergoter sur le fait qu’il serait plus judicieux, voire plus stratégique, de limiter le boycottage aux colonies mais ce serait ignorer que ces implantations, illégales on ne le répétera jamais assez, ne sont rien d’autre que le prolongement de la politique du gouvernement israélien. Ce dernier ne fait pas que les tolérer. Il les encourage et il les protège.

Il y a quelques années, feu Stéphane Hessel publiait son fameux « Indignez-vous » où il expliquait – à la grande fureur de nombre d’éditorialistes parisiens – que le motif principal de son indignation était le sort fait aux Palestiniens. Rien n’a changé depuis, bien au contraire. On peut effectivement continuer de s’indigner. Mais on peut aussi agir. C’est ce que propose BDS et de la manière la plus pacifique et la plus citoyenne qui soit. Et c’est cela que Manuel Valls entend contrecarrer. 
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