Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

samedi 9 janvier 2016

La chronique du blédard : Haro sur les binationaux

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 7 janvier 2016
Akram Belkaïd, Paris
 
Il est impossible, ces derniers temps, d’échapper au « débat » concernant les intentions du gouvernement français en matière de déchéance de nationalité pour les auteurs d’actes terroristes (débat polémique bien utile pour faire oublier le reste…). Dans un premier temps, le président François Hollande, marqué de près par son Premier ministre Manuel Valls, envisageait de restreindre cette mesure aux seuls binationaux au prétexte (fallacieux) que la France ne saurait créer des apatrides et cela eu égard à ses engagements internationaux.
 
On connaît le tollé que ce projet a déclenché au sein de la gauche ainsi que l’émotion qu’il a provoqué au sein des communautés d’origine étrangère et plus particulièrement maghrébine. Commençons d’ailleurs par une précision fondamentale. Etre contre le fait que cette mesure ne vise que les terroristes binationaux, comprendre les franco-maghrébins ou les franco-sahéliens car c’est bien de ces deux catégories qu’il s’agit, ne signifie en aucun cas que l’on fasse preuve de la moindre indulgence ou compréhension à l’égard du terrorisme. C’est simplement une question de principe. Car, de deux choses l’une, soit la France continue d’affirmer que ses citoyens sont tous égaux en droits et devoirs soit elle entérine l’idée qu’il existe au moins deux sinon plusieurs catégories de citoyenneté.
 
On sait que la bataille de l’intégration n’est pas simple à mener. Pour diverses raisons, la marginalisation sociale n’étant pas la moindre, des pans entiers de la population ont déjà du mal à se considérer comme français (et une récente enquête de l’Ined vient de montrer l’ampleur de la discrimination qu’ils subissent). Comment alors « faire nation » si l’on explique demain à un jeune franco-algérien que ses amis français « de souche » seraient moins punis que lui s’ils venaient à basculer dans le terrorisme puisqu’ils conserveraient leur nationalité ? Qu’est-ce donc que cet égalité entre citoyens si elle ne répond pas à l’exigence suivante : même devoirs, mêmes droits et, en cas de crime, même peine ? Comment faire en sorte que l’idée d’une différence de statut, laquelle serait institutionnalisée, ne soit pas intériorisée par une jeunesse en proie à de nombreux doutes identitaires ?
 
Il est des pays où la règle du jeu est claire. Dans les monarchies du Golfe, la naturalisation est un fait rare et la notion d’intégration de populations d’origine étrangère n’existe pas. Indiens, Pakistanais, Syriens, Egyptiens, Palestiniens ou Tunisiens savent qu’ils n’obtiendront jamais la nationalité du pays qu’ils bâtissent et dans lequel ils sont parfois installés depuis deux ou trois générations. Il arrive qu’elle soit tout de même accordée à quelques rares élus mais ces derniers n’ignorent pas qu’elle restera toujours en suspens, étant susceptible d’être retirée à tout moment notamment pour des raisons politiques. Naturalisé saoudien ou émirati, un syrien sait par exemple qu’il doit filer doux – comme ne pas se mêler de politique - pour ne pas être renvoyé dans son pays d’origine…
 
La France s’enorgueillit d’être aux antipodes de ces systèmes censitaires et ségrégationnistes. Mais concevoir une peine réservée à une partie bien précise de sa population, et cela quelle que soit la gravité du crime commis, n’est pas digne d’elle. C’est aussi créer un dangereux précédent. Aujourd’hui, c’est la déchéance de nationalité pour les binationaux auteurs d’un crime terroriste. Et demain ? La peine de mort ? Et puisque l’on est dans cette logique, pourquoi ne pas d’ores et déjà appliquer des peines différenciées selon les origines ?  
 
En réalité, ce projet d’exclusion en dit long sur un impensé post-colonial qui déshonore l’éthique républicaine. Car, ce qui le fonde, c’est qu’aux originaires du sud ou de l’est de la Méditerranée, il est implicitement signifié que la nationalité française est un privilège qui leur a été octroyé. Et que ce privilège doit se mériter d’une génération à l’autre comme si les compteurs étaient à chaque fois remis à zéro.  Il faut bien écouter les déclarations politiques des partisans de ce projet. Ce qui se dessine en arrière-plan de leurs discours, c’est une exigence d’exemplarité voire de reconnaissance et de gratitude. Ce n’est pas « vous êtes français, vous êtes comme tout le monde ». Non, c’est « vous êtes français, continuez à le mériter sinon… »
 
A cela s’ajoute un autre non-dit, très présent au sein de la droite mais que l’on retrouve aussi à gauche, notamment au sein du parti dit socialiste. Le point de départ, c’est le fait que cette population d’origine étrangère soit française, notamment grâce au droit du sol. Le présent chroniqueur peut en témoigner : rappeler que Merah ou les frères Kouachi étaient d’abord des ressortissants français et que, finalement, c’est la France et non pas l’Algérie (laquelle a refusé d’accueillir la sépulture du premier, une sorte de déchéance post-mortem), qui en a fait ce qu’ils sont devenus, fait grincer des dents et provoque parfois ce cri du cœur : « ils n’auraient jamais dû être français ». Que des musulmans, des arabes ou des noirs soient français, c’est finalement cela qui continue de poser problème. On croyait cette question dépassée, on ne fait qu’y revenir en raison notamment de l’actualité.
 
En 2017, le président François Hollande qui avait promis le droit de vote aux étrangers paiera certainement le prix électoral de cette concession (ou de cet emprunt) à la droite et à l’extrême-droite (pour le Front national, ce projet n’est qu’un premier pas vers d’autres motifs de déchéance de nationalité). Cela explique pourquoi quelques options ont été esquissées ici et là, notamment la généralisation du retrait de nationalité à tous les auteurs de crimes terroristes, qu’ils soient ou non binationaux. En effet, on a enfin demandé leur avis à des juristes qui ont rappelé que la France n’a ratifié aucun des textes qui l’empêcheraient de le faire (il est intéressant de noter que plusieurs voix se sont fait entendre à droite pour critiquer un projet qui leur paraissait acceptable tant qu’il ne concernait que les seuls binationaux…).
 
Une odeur d’œuf pourri règne actuellement au sein de la classe politique française. Les apprenti-sorciers s’en donnent à cœur joie et les expérimentations législatives qui se profilent – y compris en matière de sécurité – n’incitent guère à l’optimisme.
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