Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mardi 26 mai 2015

Akram Belkaïd: sur l'islam, il faut choisir entre «le débat ou l'affrontement»

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|  Par Hubert Huertas et François Bonnet

Pour le cinquantième numéro d'Objections, Mediapart a choisi de dépasser les polémiques à propos du 11 janvier, en écoutant la parole nuancée du journaliste Akram Belkaïd. Il écrit dans Le Quotidien d'Oran une "Chronique du Blédard" qui parle de la France aux Algériens, et des Algériens à la France.

Akram Belkaïd considère que la réaction du 11 janvier était "belle", contrairement à Emmanuel Todd, mais il rejoint son analyse sur la « sacralisation » de l'événement, et sur les fractures de la France. Une parole subtile et dépassionnée, pour un homme qui redoute la montée des passions :
« La divergence principale [avec Emmanuel Todd], c'est à propos des motivations des gens qui sont sortis pour manifester le 11 janvier : je ne pense pas qu'on puisse affirmer que les gens qui sont sortis pour manifester l'ont fait dans une démarche d’islamophobie ou pour décréter le droit à la caricature. Je pense qu'il y a eu une émotion nationale, il y a eu une révulsion nationale, beaucoup de gens ont été ...
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samedi 23 mai 2015

La chronique du blédard : Zyed, Bouna et les promesses oubliées de 2005

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 21 juin 2015
Akram Belkaïd, Paris

En matière d’actualité, il est parfois des coïncidences tout autant regrettables que symboliques. C’est le cas de deux informations tombées cette semaine. La première est la relaxe définitive des policiers poursuivis pour non-assistance à personne en danger dans la triste affaire de la mort, il y a bientôt dix ans (c’était le 27 octobre 2005), de Zyed Benna (17 ans) et de Bouna Traoré (15 ans). Pour (sombre) mémoire, ce drame s’était déroulé à Clichy-sous-Bois et les deux jeunes avaient été électrocutés après être entrés sur un site d’EDF pour échapper à un contrôle de police. On se remémore aussi des évènements qui ont suivi. Trois semaines d’émeutes violentes, des voitures brûlées par centaines, des arrestations, des biens publics détruits : tout cela a projeté l’image d’une société française malade de ses quartiers et de la manière dont étaient – et sont encore – traitées ses populations reléguées.

La seconde information concerne quant à elle la décision du gouvernement français d’abroger la loi du 31 mars 2006 qui, au nom de la lutte contre les discriminations à l’embauche, prévoyait la généralisation obligatoire du curriculum vitae anonyme – sans nom ni photographie - à toutes les entreprises de plus de 50 salariés. Il faut rappeler que le décret d’application n’a jamais été publié par les quatre équipes gouvernementales qui se sont succédées depuis l’adoption de cette loi. Il y a un an, le Conseil d’Etat a bien rappelé les autorités à l’ordre mais en vain.  Après neuf années de tergiversations, ce serpent de mer que l’on appelle CV anonyme passe donc à la trappe. Là aussi, comme pour la relaxe des deux policiers, l’affaire est définitivement close.
 
Définitivement ? On se doute bien qu’il n’en est rien. Concernant Zyed et Bouna, il n’est pas besoin d’être expert pour comprendre que le verdict de la justice française ne fera que renforcer la rancœur et la colère qui existent au sein d’une partie de la population. Rancœur et colère à l’encontre de la police mais aussi de la justice. Sur les réseaux sociaux, le slogan « je suis Zyed et Bouna » s’est immédiatement répandu et les internautes n’ont eu de cesse de clamer leur dégoût vis-à-vis d’un jugement qualifié de raciste. Nombre d’entre eux relevaient aussi que dans de telles affaires, les policiers incriminés finissent toujours par s’en sortir et qu’il n’est pas besoin d’aller aux Etats-Unis pour observer de telles situations d’iniquité.
 
La société française ne va pas très bien et il est évident que cette relaxe ne va pas arranger les choses. Bien sûr, on peut toujours clamer que la justice est indépendante mais cela n’éteindra aucune des mauvaises passions qui minent l’Hexagone. Et face à la colère des uns on subit les provocations des autres. Celle de Marion Maréchal-Le Pen qui, via twitter, a affirmé que ce verdict était la preuve que la « racaille » avait mis « par plaisir » les banlieues « à feu et à sang ». Nicolas Sarkozy, ministre de l’intérieur en 2005, doit être certainement satisfait lui qui, quelques jours avant la mort des deux jeunes, avait contribué à médiatiser cette puanteur qu’est le mot « racaille ». En l’employant, la Maréchal a attenté à la mémoire de Zyed et Bouna mais elle a aussi cherché à provoquer la colère de dizaines de milliers de gens touchés au plus profond d’eux-mêmes par ce drame. Pour user d’un vocabulaire militaire, le Front national n’est plus en embuscade. Sûr de lui et de ses forces, il se permet désormais d’aller au contact pour chercher l’affrontement.
 
Autre provocation, celle du député UMP Christian Estrosi. Celui qui est aussi maire de Nice n’a pas hésité à qualifier Zyed et Bouna de « délinquants » ayant commis un « excès de vitesse » ce qui aurait justifié, selon lui, qu’ils soient poursuivis par les policiers. Or, et contrairement à ce qu’a « éculubré » le motocrate de Nice, les deux victimes étaient à pied et la police a reconnu elle-même que ni eux ni les autres jeunes n’avaient commis de délit ou de tentative de délit. Pourquoi alors s’étaient-ils enfuis ? La réponse est simple : ils revenaient d’un match de football, ils n’avaient pas leurs papiers sur eux et ne pouvaient ignorer que, comme de coutume, les policiers les embarqueraient après les avoir soumis à un énième contrôle d’identité mené, bien entendu, dans les règles les plus élémentaires du respect et de la courtoisie…
 
Le lecteur peut se demander quel lien peut bien exister entre le drame de Clichy-sous-Bois et le CV anonyme. La réponse n’est pas uniquement liée au fait qu’ils font partie d’une large thématique mêlant actualité des banlieues et lutte contre les discriminations. En réalité, il convient de rappeler que ce sont les émeutes de 2005 qui ont permis que le sujet d’une égalité des chances à l’embauche soit enfin abordé au plus haut niveau politique. Sans les morts de Zyed et Bouna, sans l’onde de choc qui a suivi, jamais le CV anonyme n’aurait été médiatisé comme il l’a été au point que le gouvernement de Dominique Villepin s’est dépêché d’en faire une mesure phare de sa loi de mars 2006.
 
Il faut donc bien se souvenir des bonnes intentions et des promesses nées de ces émeutes. Le changement était, affirmait-on, en route. Soudain, les minorités devenaient enfin visibles. Les politiques, les patrons et les médias réalisaient qu’il fallait leur faire un peu de place. Ainsi, sans Zyed et Bouna, sans les émeutes de Clichy-sous-Bois, le Club XXIème siècle – qui regroupe des « réussites » au sein des diverses communautés d’origine étrangères – n’aurait pas bénéficié d’une audience médiatique aussi importante. Et, en forçant un peu le trait, on est en droit de se demander si les Rama Yade, Rachida Dati et compagnie auraient été nommées ministres en 2007 sans les engagements d’égalité et d’équité de l’automne 2005.
 
Dix ans plus tard, les promesses de lutte contre les discriminations ont certes bénéficié à quelques heureux élus et élues. Un peu de saupoudrage pour faire croire à une prise de conscience définitive. Mais l’abandon du CV anonyme - tout comme d’ailleurs celui du récépissé de contrôle d’identité (un outil évoqué lui aussi en 2005 pour empêcher les contrôles répétitifs, et abusifs, des jeunes des cités) – ainsi que l’absence de condamnation dans l’affaire Zyed et Bouna montrent qu’il faudra peut-être attendre les prochaines émeutes dans les banlieues pour que les choses changent de manière structurelle.
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mardi 19 mai 2015

La chronique du blédard : Etats-Unis et Arabie Saoudite : feu, le pacte du Quincy ?

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 14 mai 2015
Akram Belkaïd, Paris

En matière de traitement journalistique des relations internationales, il existe des références que l’on se doit toujours de mentionner pour donner une perspective historique. Dans le cas des rapports entre les Etats-Unis et l’Arabie saoudite, il est impossible de ne pas citer le pacte du Quincy, du nom du navire de guerre américain où le président Franklin Delano Roosevelt – de retour de la conférence de Yalta – et le roi Ibn Seoud se sont rencontrés le 14 février 1945. L’accord qui fut conclu alors a structuré depuis les relations entre les deux pays et a façonné la politique américaine dans le Golfe. 
 
On connaît les grandes lignes de ce document signé pour soixante ans et qui a été renouvelé pour une durée similaire en 2005 sous la présidence de George W. Bush. Washington s’est engagé à assurer la protection de la famille Saoud et du royaume wahhabite, ce dernier ainsi que son leadership régional étant considérés comme faisant partie des « intérêts vitaux » des Etats-Unis. La contrepartie de ce « deal » est que l’Arabie Saoudite se doit de garantir l’approvisionnement énergétique (pétrole et, éventuellement gaz naturel) de son protecteur. Enfin, ce dernier est tenu de ne pas s’ingérer dans les affaires internes de son « partenaire ».
 
Depuis quelques temps, l’un des thèmes récurrents des analyses géopolitiques relatives à la région du Golfe consiste à s’interroger sur la fin du fameux pacte. La raison d’un tel bouleversement ? Les mauvaises relations actuelles entre le royaume et l’administration Obama. Dernier épisode en date, la décision du roi Salman (à 79 ans, il règne depuis janvier dernier après le décès du roi Abdallah) de ne pas participer à une réunion à Washington entre les Etats-Unis et les six monarchies membres du Conseil de coopération du Golfe (CCG : Arabie Saoudite, Bahreïn, Emirats arabes unis, Koweït, Qatar, Oman). Le nouveau souverain a aussi décliné l’invitation qui lui a été faite de se rendre à la résidence de Camp David pour rencontrer Barack Obama dans un cadre plus intime (outre la nécessité de mentionner la mauvaise santé du roi, on notera tout de même la présence de deux hommes fort du royaume, le prince héritier Mohammed ben Nayef – 55 ans et premier petit-fils du roi Saoud à accéder à un tel rang – et Mohammed ben Salman, 35 ans – environ -, et futur prince héritier).
 
Les raisons de la mauvaise humeur saoudienne sont connues. Riyad s’oppose à la normalisation en cours des relations entre Washington et Téhéran. Engagé dans une véritable guerre froide avec son adversaire chiite, le royaume wahhabite craint que les Etats-Unis n’aient décidé de réviser leur stratégie dans le Golfe, un recentrage qui pourrait à terme déboucher sur un bouleversement d’alliances dans la région. De fait, les dirigeants saoudiens n’ont pas la mémoire courte. Ils se souviennent de la manière dont l’Amérique a respectivement abandonné à leurs sorts, le Chah d’Iran – qui était l’un de ses plus fidèles alliés – et, plus récemment encore, le président égyptien Hosni Moubarak. Et c’est d’ailleurs pour rassurer les membres du CCG, pour leur dire qu’ils ne seront jamais abandonnés aux griffes de l’ennemi perse, que l’administration Obama a organisé la rencontre de Washington (mais il n’est pas question pour l’Amérique de signer un quelconque accord de défense avec le CCG et cela au nom du lien stratégique qui la lie à Israël).
 
Disons-le tout de suite, il est très peu probable que le pacte du Quincy soit remisé aux oubliettes. Certes, les Etats-Unis ont moins besoin de l’Arabie saoudite sur le plan énergétique et cela grâce au développement de l’exploitation des hydrocarbures de schiste. De même, une évaluation dépassionnée des perspectives de développement dans la région du Golfe persique montre que l’Amérique a tout intérêt à se rapprocher de l’Iran, un « vrai » pays à la fois héritier d’une civilisation pluri-millénaire et potentiel allié dans la rivalité croissante entre Washington et Pékin. 
 
Pour autant, les Etats-Unis ont encore besoin de l’Arabie Saoudite (et de ses voisins du CCG). D’abord, le royaume des Saoud reste un acteur de poids sur le marché pétrolier, ayant la capacité d’influer sur les prix et de dicter sa stratégie aux membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). Même si les Etats-Unis n’achètent pratiquement plus d’hydrocarbures saoudiens, ils ne peuvent se mettre à dos un partenaire qui possède les plus grandes réserves du monde et qui a la capacité de semer la panique sur les marchés pétroliers de Londres et de New York. On notera aussi que trois pétrodollars sur cinq engrangés par les pays du Golfe finissent, d’une manière ou d’une autre, par revenir dans les caisses de l’économie américaine…
 
Ensuite, il convient de relativiser la mauvaise humeur saoudienne. Oui, Riyad semble pris actuellement par un irrésistible sentiment de puissance. C’est un peu comme si les dignitaires saoudiens entendaient signifier à leur protecteur que leur pays et ses forces armées sont capables de se débrouiller seuls en faisant régner l’ordre dans la région. L’intervention pour mater la révolte à Bahreïn en mars 2011 et la mise en place d’une coalition arabe pour lutter militairement contre la rébellion houtiste au Yémen témoignent effectivement d’une certaine volonté d’émancipation. Comme le faisait remarquer un chroniqueur de CNN, en modifiant l’habituelle politique américaine dans le Golfe, Barack Obama a peut être obligé les Saoudiens à « grandir un peu » et à cesser de penser que l’Amérique sera toujours là pour faire les choses à leur place et, surtout, à leur sauver la mise.
 
Pour autant, le principe de réalité s’impose. Aucun pays, pas même la France de François Hollande qui se voit déjà en parrain de la région, ne peut remplacer les 15.000 soldats américains stationnés dans le Golfe. Avec leur impressionnant arsenal, ils sont la vraie force de dissuasion qui empêche l’Iran, ou même l’Irak, de faire main basse sur les formidables ressources énergétiques de la péninsule arabique. De même, il faut suivre avec attention ce qui se passe au Yémen. Pour l’heure, l’intervention de la coalition menée par les Saoudiens ne s’avère guère efficace sur le plan militaire. Que se passera-t-il en cas d’enlisement de cette guerre par procuration que Riyad livre à l’Iran ? Que se passera-t-il en cas de revers majeur pour les forces saoudiennes si elles venaient à intervenir au sol ? A un moment ou un autre, Washington risque fort d’être appelé à la rescousse ce qui lui permettra d’asséner aux Saoudiens cette réplique hollywoodienne fort connue: « who’s your daddy now ? ». A bien des égards, la mauvaise humeur de Riyad risque donc de n’être que passagère. Le temps, peut-être qu’un nouveau locataire, moins conciliant avec l’Iran, ne s’installe à la Maison-Blanche en janvier 2017…
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lundi 11 mai 2015

La chronique économique : Quand l’Arabie saoudite aura besoin d’un baril cher

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 6 mai 2015
Akram Belkaïd, Paris
 
 
Quel est le prix d’équilibre du marché pétrolier ? En 2014, comme en 2013, de nombreux experts estimaient qu’un baril à 80 dollars avait pour avantage de mettre d’accord pays producteurs et pays consommateurs. Aujourd’hui, alors que les cours ont nettement reflué et que leur moyenne récente se situe autour de 55 dollars, il est clair que les pays producteurs font désormais figure de grands perdants de cette évolution. Et l’on peut se demander s’ils ont aujourd’hui la capacité à inverser la tendance.
 
Riyad en maître du jeu
 
Pendant longtemps, l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) a joué le rôle d’ajusteur du marché. Que ce dernier soit orienté à la hausse ou à la baisse, c’est le Cartel qui avait la capacité à influer sur les prix via une modification de sa production et cela sous l’impulsion de l’Arabie saoudite. Au milieu des années 1990, l’organisation a tout de même vécu une première alerte avec sa décision d’augmenter ses pompages alors même que l’Asie, l’un de ses principaux clients, s’enfonçait dans la crise. On se souvient du résultat avec un baril frisant les dix dollars et une presse spécialisée qui s’est dépêchée de décréter la fin de l’Opep. Quelques années plus tard, notamment avec l’invasion de l’Irak par une coalition menée par les Etats-Unis, l’Organisation a regagné en influence. Mais qu’en est-il aujourd’hui alors que l’époque, pas si lointaine, d’un baril à plus de 100 dollars semble presque oubliée ?
 
Comme toujours, la réponse réside dans la stratégie décidée par l’Arabie Saoudite. Ce pays, véritable pompe à essence de la planète, fait face à une situation à la fois compliquée et nouvelle. Dans le passé, les préoccupations stratégiques du royaume semblaient simples avec la nécessité de garder intacte une cohésion interne, notamment au sein de la famille royale, et la nécessité de contenir le rival iranien. Concernant le premier point, la récente modification de l’ordre de succession montre l’existence de tensions dont l’impact potentiel exige des dirigeants qu’ils disposent de ressources pour acheter la paix sociale et prévenir toute contestation d’ordre politique. Quant au second point, les choses n’ont certes pas changé mais elles ont tout de même gagné en complexité. La guerre froide que se livrent Téhéran et Riyad touche désormais le Yémen et n’a pas baissé en intensité en Syrie. Surtout, l’Arabie Saoudite est directement engagée chez son voisin yéménite avec son entrée en lice dans le conflit contre la rébellion houtiste. Ce qui signifie que ses dépenses militaires mais aussi civiles – comme par exemple les dons humanitaires à destination de la population yéménite - vont devoir augmenter.
 
Une marge de manœuvre qui n’est pas éternelle
 
On sait que le Royaume wahhabite a les moyens de faire face aux conséquences d’une baisse des cours du pétrole. Ses réserves financières importantes ainsi que sa part de marché lui donnent de quoi compenser ses pertes. Mais la question est de savoir combien de temps peut durer cette marge de manœuvre ? Six mois, un an ? Que se passera-t-il si le conflit au Yémen s’enlise ? Et si d’autres foyers d’affrontements apparaissent obligeant Riyad à multiplier les interventions militaires dans la région ? Ces questions sont encore rarement prises en compte par le marché pétrolier parce qu’elles sont nouvelles. Mais rien ne dit que cela ne sera plus le cas dans les prochains mois. De fait, on ne peut pas affirmer que l’Arabie saoudite n’aura pas besoin, à plus ou moins court terme, d’un baril à nouveau orienté à la hausse. Et cela même si l’Iran et la Russie, actuels adversaires de Riyad sur le plan géopolitique, y trouvent eux aussi leur compte.
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dimanche 10 mai 2015

L'historien Pap Ndiaye et les "mémoires blessées"

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Pap Ndiaye : "Le propre des mémoires blessées est d'être déconnectées de l'histoire officielle telle qu'on la raconte. Ceux qui en viennent ont l'impression de ne pas faire partie de cette histoire. Voilà pourquoi il est important d'apprendre, de réfléchir, de pouvoir faire le lien entre son histoire personnelle et celle de son pays."

in Le Monde, 9 mai 2015
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L'historien Jean-Louis Planche à propos des massacres du 8 mai 1945 en Algérie

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Le Monde.- Le 19 avril, le secrétaire d'Etat aux anciens combattants et à la mémoire, Jean-Marc Todeschini, a fait le déplacement à Sétif pour commémorer les massacres. En décembre 2012, François Hollande a reconnu "les souffrances que la colonisation a infligées" aux Algériens et dénoncé un "système profondément injuste et brutal". Ces gestes peuvent-ils apaiser les relations franco-algériennes ?

Jean-Louis Planche.- C'est un pas dans la bonne direction. Mais la presse algérienne était déçue : plutôt que d'envoyer un secrétaire d'Etat, la France aurait pu envoyer un ministre de plein exercice, comme Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères. Et il est regrettable que Jean-Marc Todeschini n'ait pas pris la parole en public une seule fois pendant sa visite. La France s'est contentée du service minimum. Ce qu'a dit François Hollande ne suffit pas, il faut une pleine reconnaissance.
In Le Monde, Cultures & Idées, 9-10-11 mai 2015
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La chronique du blédard : Les vérités dérangeantes d’Emmanuel Todd

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 7 mai 2015
Akram Belkaïd, Paris
 
Il est l’homme par qui le scandale et la polémique arrivent. Sa faute ? Avoir remis en cause le consensus plus ou moins naïf autour des manifestations qui ont suivi les attentats du début de l’année à Paris. Pour Emmanuel Todd, le fameux « esprit du 11 janvier » n’est rien d’autre qu’une « imposture » et c’est ce qu’il fait valoir dans son dernier ouvrage. Un livre choc où il estime que la bonne conscience des manifestants ne peut faire oublier le fait que les classes moyennes françaises – c’est-à-dire la catégorie sociale qui a le plus participé aux marches à travers la France - ont tourné le dos au monde populaire et qu’elles sont de plus en plus séduites par le ressentiment islamophobe (1).
 
Commençons par reprendre le titre de son livre. « Qui est Charlie ? » Une question en réponse au désormais mondialement célèbre « je suis Charlie ». Il est vrai que l’on ne peut ignorer les zones d’ombres autour d’un slogan vis-à-vis duquel les musulmans de France continuent de devoir (péniblement) se positionner. Au départ, et c’est ainsi que le présent chroniqueur le comprenait, « je suis Charlie » signifiait une totale solidarité avec les victimes des attentats du 7 janvier et un engagement au nom de la liberté d’expression. Mais, très vite, on a bien senti que cela pouvait signifier aussi que l’on était d’accord - que l’on devait être absolument d’accord - avec les dessins parodiant le Prophète ou, de façon plus générale, moquant l’islam et les musulmans. C’est ce que l’on retrouve aujourd’hui dans les écrits ou les propos de certains chroniqueurs, dits de gauche, ces derniers nous expliquant que le fait de critiquer les caricatures revient à être complice des tueurs.
 
Voici ce qu’en dit Todd dans un entretien accordé à L’Obs (2) : « Lorsqu’on se réunit à 4 millions pour dire que caricaturer la religion des autres est un droit absolu – et même un devoir !-, et lorsque ces autres [comprendre les musulmans, ndc] sont les gens les plus faibles de la société, on est parfaitement libre de penser qu’on est dans le bien, dans le droit, qu’on est un pays formidable. Mais ce n’est pas le cas. Il faut aller au-delà du mensonge, au-delà des bons sentiments et des histoires merveilleuses que les gens se racontent sur eux-mêmes. Un simple coup d’œil à de tels niveaux de mobilisation évoque une pure et simple imposture. Il y a certainement une quantité innombrable de gens qui ne savaient pas ce qu’ils faisaient là le 11 janvier. Mais nul n’est censé ignorer pour quoi il manifeste, tout de même. »
 
La charge est rude et, à bien des égards, quelque peu injuste. Nombre de manifestants n’ont pas marché le 11 janvier pour dire qu’ils soutenaient le droit au blasphème ou le droit à se moquer des religions. A l’époque, la sidération et l’émotion étaient telles après les attentats que cette marche s’est imposée d’elle-même. Je continue de croire qu’elle a été un réflexe salvateur et une initiative nécessaire pour prévenir les dérapages. Bien sûr, il est évident qu’elle a été récupérée ne serait-ce que du fait de la présence de certains chefs d’Etat et de gouvernement dont la vraie place est au Tribunal pénal international. Mais je ne pense pas que l’on puisse affirmer que tous les marcheurs du 11 janvier étaient en accord avec les caricatures et qu’ils estimaient urgent de remettre l’islam de France et les musulmans à leur vraie place, c’est-à-dire dans les caves ou dans l’invisibilité.
 
Mais ce qui donne raison à Todd c’est la manière dont a évolué la perception de cette marche et, surtout, la manière dont elle est désormais présentée par les médias prépondérants assez prompts à prendre leurs désirs pour la réalité. Il faut se souvenir ainsi de ce journaliste politique de France Inter nous expliquant que le fait de ne pas avoir participé à la marche du 11 janvier à Paris allait sonner le glas de la dynamique victorieuse de Marine Le Pen. On en a vu effectivement le résultat lors des dernières élections… C’est tout simple à dire mais « l’esprit du 11 janvier » est une expression qui ne veut plus rien dire et qui, plus grave encore, divise d’autant plus qu’elle est devenue le cri de ralliement des laïcistes obsédés par la visibilité croissante de l’islam.
 
Dans un pays où le climat entre communautés – appelons les choses par leur nom – est explosif. Dans un pays où un quotidien, jadis de référence, titre en cinq colonnes à la une sur la longueur des jupes des collégiennes de confession ou de culture musulmane (rappelons qu’un seul cas, pas plus, d’exclusion a été signalé). Dans un pays où, jour après jour, on sent venir une nouvelle catastrophe, plus grave encore que celle de janvier dernier, les débats et les oukases autour de l’islam n’en finissent pas d’envenimer la situation.
 
Pour Emmanuel Todd, il n’y a que deux possibilités : « le scénario de la confrontation hystérique avec l’islam et le scénario de l’accommodement ». Et de lancer cette mise en garde : « la confrontation, c’est 100% de chances de désastre pour la France (…) Alors oui, je plaide pour qu’on laisse tranquilles les musulmans de France. Qu’on ne leur fasse pas le coup qu’on a fait aux juifs dans les années 1930 en les mettant tous dans le même sac, sous la même catégorie sémantique, quel que soit leur degré d’assimilation, quel que soit ce qu’ils étaient vraiment en tant qu’êtres humains. Qu’on arrête de forcer les musulmans à se penser musulmans. Qu’on en finisse avec cette nouvelle religion démente que j’appelle le ‘laïcisme radical’, et qui est pour moi la vraie menace. » (2)
 
A entendre et lire les réactions outragées qui accompagnent la sortie de l’ouvrage de Todd – et qui ne concernent pas uniquement ses critiques à l’encontre des marches du 11 janvier – on se dit qu’il est peut-être déjà trop tard. La France, sans s’en rendre compte, par un long glissement, par calculs politiques des uns, par ambitions éditoriales des autres, est entrée depuis longtemps dans le scénario de la confrontation stupide et hystérique. Un scénario où – le présent chroniqueur peut en témoigner – le seul fait d’affirmer que l’islamophobie existe (à prendre dans le sens de la haine des musulmans) expose aux soupçons de la bien-pensance et des défenseurs du blasphème au nom de la défense de la laïcité. En cela, les propos d’Emmanuel Todd devraient servir à alimenter un débat d’urgence plutôt que les postures outragées des habituelles et inévitables impostures médiatiques.
 
(1) Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse, Seuil.
(2) « Le 11 janvier a été une imposture », L’Obs (ex-Nouvel Observateur), 30 avril 2015
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La chronique du blédard : Parler de la freinte et oublier la corruption, la vraie ?

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Le Quotidien d’Oran, 30 avril 2015
Akram Belkaïd, Paris
 
Il est bientôt midi en ce mercredi 29 avril 2015. Je viens de relire la chronique écrite la veille et elle ne me plait plus. Mais alors plus du tout. Je m’étais pourtant endormi avec la satisfaction du rédacteur ayant bouclé son papier, lequel papier serait vite relu le lendemain et envoyé avec les salutations d’usage. Là, il faut repartir de zéro, ou presque. De quoi s’agissait-il ? Je partais de cette affaire des quarante mille euros de notes de taxi en dix mois qui a valu à la présidente de l’Institut national de l’audiovisuel (INA) d’être « démissionnée » par sa tutelle. Quarante mille euros… Soit une moyenne mensuelle de quatre mille euros, c’est-à-dire bien plus que ce que les deux tiers, voire les quatre-cinquième de l’ensemble des salariés français perçoivent en net en échange de leur labeur.
 
Cette affaire est présentée comme un cas isolé, une espèce de dérapage commis par une dirigeante ayant allègrement oublié que c’est l’argent du contribuable qu’elle avait en charge. Ma chronique, telle que rédigée la veille, entendait rappeler que ce genre de scandale a tendance à se répéter. Que les avantages indus et autres abus sont de plus en plus portés à la connaissance du public. Cela ne signifie pas, bien sûr, que la France d’aujourd’hui est plus corrompue qu’hier. C’est juste que les moyens de sortir l’information et de la faire fuiter, sont plus nombreux. Pour autant, le comportement de la désormais ex-présidente de l’INA est symptomatique de l’époque actuelle. Comme je l’ai déjà écrit dans des textes précédents, c’est un peu le temps des « in » et des « out ». Certains ont la chance d’occuper des positions qui leurs confèrent des avantages que la masse anonyme des Français n’imaginent même pas. Et le pire, c’est qu’ils en abusent, estimant qu’ils ont droit à tout, qu’ils sont légitimes à réclamer toujours plus.
 
Dans ce texte, j’ai essayé d’évoquer le fait que tout cela me mène à penser que la France connaît une fin de cycle où tout s’accélère, un peu à l’image d’une mécanique devenue folle perdant au fur et à mesure ses boulons et autres éléments mais continuant d’avancer jusqu’au crash final. Une fin de cycle devinée par les déprédateurs de toutes sortes qui devinent qu’il leur faut happer et engranger tant qu’il est encore temps. Avant que la poule aux œufs d’or ne meure ou bien, hypothèse moins plausible – hélas, mille fois hélas – avant que le peuple ne se réveille enfin et réalise à quel point il est dupé du matin jusqu’au soir. Un petit peu de guerre par-ci, un petit peu de terrorisme et de sécurité par-là. Un mix de voile et d’islamohystérie et le tour est joué. Monsieur Gérard oublie alors que la courbe du chômage ne s’est pas inversée et que personne ne peut jurer que l’argent dû au Trésor ne continue pas de filer vers la Suisse, le Delaware ou les îles Caïmans.
 
A quelques détails et paragraphes près, tout ce qui vient d’être écrit était donc dans la chronique suspendue.  Le lecteur se demandera alors pourquoi n’a-t-elle pas été livrée sous cette forme ? Bonne question. La réponse est simple. C’est qu’en la relisant, s’est imposée au chroniqueur une autre interrogation. A la fois moqueuse et agacée. La voici, résumée à la manière dont s’exprimerait une Mimoucha acerbe – autrement dit une voix qui emprunterait celle de la conscience. « Tu parles de cette pauvre bonne femme qui a pris trop de taxis, tu embraies sur la perte de valeurs en France et tu fais semblant d’oublier que dans ton propre pays, c’est de pire en pire ».
 
« Mimoucha » a bien sûr raison. On peut s’indigner de ce qui se passe en France – surtout si on y vit et que l’on y paie ses impôts – mais la réalité du bled oblige à raison garder. La lecture de la presse nationale de ces derniers jours le montre bien. Tous ces procès, toutes ces accusations de fraude, de détournements… Tous ces projets aux dizaines de milliards de dollars dépensés et dont on se demande, in fine, à quoi ils vont vraiment servir. Et pendant ce temps-là, ne craignant guère le ridicule, on lance une campagne pour consommer algérien… Comme si les conditions pour produire algérien étaient réunies dans un pays transformé en gigantesque comptoir commercial qui dilapide ses ressources pétrolières pour importer de tout ou presque…
 
Voilà, cela m’arrive rarement mais là il m’est donc impossible de vous rendre compte d’un aspect de la vie politico-sociale française sans être rattrapé par la réalité algérienne. Et c’est d’autant plus vrai que l’on voit bien aujourd’hui que Paris, comme certainement Londres, Genève ou Dubaï, est en train de se transformer en base de repli pour les Algériens qui ont, disons-le ainsi, très bien mangé, grappillé, grignoté et englouti.
 
On parle beaucoup en ce moment du livre des journalistes Marie-Christine Tabet et Christophe Dubois à propos des relations noueuses et souvent interlopes entre l’Algérie et la France (*). Dans cet ouvrage, qui pèche parfois par ses inexactitudes notamment historiques, il y est fait mention d’avoirs, entre autre immobiliers, que certains dirigeants algériens possèderaient dans l’Hexagone. Jusqu’à présent, cela n’a engendré ni démenti ni attaque en justice. Chacun en tirera donc ses propres conclusions. En tous les cas, une chose est certaine, ce qui s’est rappelé au souvenir du présent chroniqueur c’est que qu’une corruption endémique, et finalement assumée pour ne pas dire systémisée, est bien plus grave que quelques (très gros) excès en matière de notes de frais…
 
(*) Paris – Alger, une histoire passionnelle, Stock, avril 2015.

La chronique du blédard : Les migrants, encore et toujours

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Le Quotidien d’Oran, 23 avril 2015
Akram Belkaïd, Paris
 
Combien de fois encore ? Combien de fois nous faudra-t-il nous indigner quant à ce qui se passe en Méditerranée ? D’un mois à l’autre, d’une saison à l’autre, les drames se succèdent et les bilans s’aggravent. Automne 2013, quatre cent morts au large de Lampedusa. Printemps 2015, plus de sept cent morts non loin des côtes libyennes. Et entre ces deux drames, combien de noyades anonymes et de naufrages qui sont passés inaperçus ou qui n’ont fait l’objet que de quelques lignes dans la presse ? Les spécialistes du dossier le savent : tous les jours ou presque, des enfants, des femmes et des hommes qui rêvaient d’une vie meilleure, disparaissent dans les flots d’une mer transformée en immense cimetière.
 
Ce qui vient de se passer était prévisible. Depuis novembre dernier, l’Europe a réduit ses efforts de surveillance en mer puisque l’opération Mare Nostrum a été suspendue. Dans une chronique qui ne remonte pas à très longtemps, j’ai écrit que l’Union européenne et ses membres ont délibérément abandonné les migrants à leur sort pour des raisons notamment financières (*). Qui peut en douter maintenant ? Bien sûr, nous avons droit actuellement à beaucoup d’agitation et à de discours mobilisant l’émotion et de promesses. Mais, en réalité, tout le monde sait que l’Europe n’est pas disposée à accepter l’idée que les flux migratoires lui imposent une révolution conceptuelle qu’elle se refuse à accomplir.
 
La situation est connue. De partout, notamment d’Afrique subsaharienne mais aussi d’Asie, convergent des gens qui veulent une vie meilleure. Leur détermination est telle qu’ils sont prêts à tout, y compris à mourir, pour atteindre leur but. La guerre, la misère, la dictature aussi, tout cela est responsable de leur exil. Contrairement à une minorité de privilégiés, ils n’ont aucun visa, aucune possibilité de voyager normalement et sont une proie idéale pour les mafias de trafiquants que, on ne le répétera jamais assez, personne ne semble vouloir inquiéter. La question est donc toujours la même, comment faire pour que de tels drames ne se répètent plus ?
 
A lire et entendre les réactions des dirigeants européens, on devine quelles sont les orientations qui vont être prises. L’idée qui revient en force, c’est qu’il faut arriver à stopper les embarcations avant qu’elles n’arrivent en haute mer. Cela signifie que les pays du Sud de la Méditerranée vont être fortement « encouragés » à renforcer leurs propres moyens d’interception. Qui sait, dans sa grande générosité, l’Europe leur consentira-t-elle quelques crédits bonifiés pour qu’ils achètent plus de navires et d’hélicoptères afin de surveiller leurs côtes… De même, on entend ici et là que ces pays, notamment maghrébins, devront s’organiser pour mettre en place chez eux des camps de regroupement pour empêcher que les migrants ne cherchent à embarquer pour le nord.
 
Reste bien sûr la question de la Libye, pays en pleine guerre civile et dont les diverses factions et autorités ont d’autres chats à fouetter que de chercher à stopper les embarcations. Kadhafi le faisait pour s’attirer les bonnes grâces des dirigeants européens mais, aujourd’hui, le chaos est tel que des bateaux partent pratiquement tous les jours à destination des côtes siciliennes. Là aussi, l’Union européenne va tenter de convaincre les différentes factions libyennes de faire un effort. Pour quelle contrepartie ? On ne le sait pas encore mais il est certain qu’un marchandage peu ragoûtant a débuté. Vous stoppez les migrants, on laisse les armes arriver chez vous ou bien alors on vous aidera dans votre bataille contre vos rivaux… A Bruxelles, certains rêvent même de voir l’Egypte faire la police maritime et il ne vient à l’idée de personne que ce genre d’intervention risque fort d’aggraver le conflit libyen.
 
Que faire alors ? Le monde dans lequel nous vivons a besoin de générosité et d’une nouvelle manière de le penser. Dans un contexte où c’est la réduction des déficits budgétaires qui commande, il ne faut certes guère espérer que des milliards d’euros soient investis dans les pays d’où partent les migrants. Pourtant, il suffirait de pas grand-chose pour enclencher une nouvelle dynamique. L’idée du partage de richesses, d’un transfert plus important du nord vers le sud est considérée comme une hérésie, un vœu pieu formulé par des rêveurs romantiques qui ignoreraient la dure loi des relations internationales. Or, au risque de se répéter, il ne faut pas se leurrer : les migrants continueront de vouloir atteindre l’Europe. La seule manière de faire en sorte qu’ils ne meurent plus en mer c’est, à court terme, de les accueillir plus facilement – on pense notamment aux réfugiés syriens – et, à plus long terme, de créer les conditions d’un meilleur développement économique dans leurs pays respectifs.
 
On dira que les opinions publiques européennes ne veulent pas d’une immigration plus importante et que l’extrême-droite n’attend que cela pour prospérer encore plus. C’est vrai mais il faudrait aussi expliquer et répéter que le monde entier est désormais en état d’urgence. Que se calfeutrer derrière sa frontière, son mur et tous ces obstacles électroniques qui sont en train d’être pensés pour protéger l’Europe ne servira à rien. Quand la masse des déshérités, des damnés de la terre, croît, le riche et le privilégié savent bien qu’ils n’ont qu’un court répit devant eux. Mais l’on sent bien que la solution à l’australienne, c’est-à-dire le fait de contenir les migrants à distance, de les parquer dans des îles avant de les renvoyer ailleurs, commence à faire son chemin. C’est déjà un peu le cas à Lampedusa. Peut-aussi aussi que la Sicile va devenir un immense camp de regroupement. Qui sait, tout est possible.
 
On terminera ce texte par relever cette étrange symétrie. Au nord, comme au sud du continent, des migrants meurent en même temps. Les uns parce qu’ils sont abandonnés à leur sort, les autres parce qu’on les tue. Ainsi, en Afrique du Sud est en train de se répandre une violence xénophobe que l’ANC – oui, l’ANC de feu Mandela… - ne semble guère vouloir empêcher (le gouvernement a attendu plusieurs jours pour déployer l’armée afin de protéger les étrangers). Ce n’est pas la première fois que des migrants font l’objet d’attaques mais ce qui s’est passé récemment, avec les meurtres de Zimbabwéens et de Mozambicains, démontre qu’il n’y a pas qu’en Europe que le migrant est désigné comme porteur de tous les maux.

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