Lignes quotidiennes

Lignes quotidiennes
Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

lundi 20 avril 2015

La chronique du blédard : Coach en lookitude

_
Le Quotidien d'Oran, jeudi 16 avril 2015
Akram Belkaïd, Paris
 
Pour commencer, il y a, comme dans tout document d’importance, ce que l’on appelle l’exposé des motifs. C’est-à-dire un texte liminaire qui annonce et justifie ce qui va suivre. Découvrons donc le message avec, le présent chroniqueur insiste là-dessus, une restitution fidèle de la syntaxe, de la grammaire et de la ponctuation respectives de cette brochure trouvée dans la boîte aux lettres. On y va : « Parce que nous sommes souvent vus avant d’être entendus parce que les divers (sic) étapes d’une vie nécessite (re-sic) des images différentes Amour, séduction, Mariage, Variation de poids , situation professionnel (re-re-sic), confiance en soi. Révélez le meilleur de vous-même ». Autre message fondamental : « Optimiser (sic) votre apparence faites ressortir le potentiel qui est en vous ».
 
En clair, si ton apparence te turlupine, cher lecteur, chère lectrice, et que tu tiens absolument à  révéler ton « best inside » alors tu peux faire appel à un coach en image. Ce dernier, ou plutôt cette dernière, va t’aider, contre finances bien sûr, à te looker, te relooker (étrange, le dictionnaire refuse le verbe looker mais accepte relooker, note du chroniqueur), à te transformer, à te révéler et, in fine, à pécho car telle est le fil conducteur de ce genre d’envies. Et la palette des services proposés (et non offerts) est assez impressionnante. Il y a ainsi ce qui est appelé une « étude colorimétrie ». Ne me demandez pas ce que c’est, j’imagine que cela a à voir avec les cheveux, le terme étude étant là pour nous dire que la chose est sérieuse ce qui, par ailleurs, peut nous mener à conclure que Leila Trabelsi épouse Ben Ali était spécialisée avant l’heure dans cette nouvelle discipline. Mais poursuivons avec la liste des prestations : « maquillage » (ça, on comprend) « et morphologie » (là, j’avoue que j’ai du mal). Le reste est à l’encan : « Tri et analyses Garde robe (sans tiret, ndc) ». Donc, la coach en question, vient chez toi, ouvre ton armoire, jette tout sur le lit ou au sol, enfin on peut imaginer que cela se passe ainsi. Ensuite, elle fait le tri, analyse tes vêtements et te dis ce qui est à garder et ce qu’il faut jeter (ou donner). Un concept intéressant...
 
Dans la foulée, la même coach va effectuer un « Audit de dressing ». Je ne sais pas quelle est la différence avec le fameux « Tri et analyses Garde Robe », mais bon…. Ah, la magie du terme « Audit ». On le prononce et cela fait tout de suite professionnel, organisé, rigoureux. Cela me rappelle un autre type de coach, celui qui vous propose de faire le point sur votre vie sociale virtuelle notamment sur Facebook. Si, si, je vous jure que ça existe. C’est un spécialiste qui vous aide à nettoyer votre liste « d’amis », à repérer les vrais trolls, les faux profils, les autocentrés, les égoïstes, les « fake », les « profiteurs d’audience », les « aventuriers et aventurières », les « affabulateurs et affabulatrices » et j’en passe. Waow, n’est-ce pas ? Qui sait, cela pourrait aider plutôt que d’envisager de rencontrer les dits amis et amies « in carne e ossa » (je viens de découvrir cette expression…). Ah, ce monde où même le bon sens le plus élémentaire peut désormais être sous-traité.
 
Cessons-là et revenons à notre coach en stayle et layfestayle (néobarbarismes revendiqués par le chroniqueur). Qu’offre-t-elle de plus ? Une activité fondamentale mais réservée aux dames. Il s’agit d’une « Party Girl Work shop tour ». En clair, on regroupe ses meilleures copines (hiiiiiiiii !!!), on monte dans une limousine (bah ouais, ce n’est pas à Mascara ou à Ferdjioua que l’on verrait ça) et on écume les magasins en bonnes « fashion addict ». Un concept, paraît-il, venu de Californie, cet Etat où tout est possible même si celui du Maine, plus connu pour ses universités et sa neige de printemps, a aussi ses « limos » (je vous raconterai ça un jour…).
 
Bon, j’imagine que votre intérêt a été plus qu’éveillé et que vous désirez savoir ce que tout ceci coûte. Bon, alors un « Relooking Complet » auquel on ajoute un « Book Photo », ce qui en clair signifie la constitution d’un « avant/après » iconographique vaudra 270 euros la journée complète. Avec cela on peut aussi s’offrir un « Cours Auto-Maquillage » à 74 euros. J’ouvre ici une parenthèse pour dire à quel point le spectacle de dames s’auto-maquillant dans une rame de métro ou dans un bus peut paraître, parfois si… incongru. Fin de la parenthèse. Continuons. Le « Conseil en colorimétrie » coûtera quant à lui 74 euros tandis que l’incontournable « Audit de Dressing » vous obligera à allonger 98 euros (astuce de « pricing » : toujours éviter les chiffres ronds et celui des dizaines ou centaines supérieures à ce qui est annoncé).
 
Le très recherché « Accompagnement Shopping » vaut 45 euros, ce qui le met à la portée de n’importe quel ancien percussionniste devenu responsable de parti en Algérie. Vient enfin le tarif que tout le monde attend, celui de la « Party Girl » pour un minimum de quatre personnes dans une limousine avec « Champagne et 10% dans les Boutiques » : 150 euros, mon frère… Cela peut sembler bon marché mais attention, n’oublions pas qu’il s’agit aussi de faire chauffer la carte de crédit dans les magasins. Enfin, bref, tous ces prix sont la première étape pour commencer à réaliser son potentiel imagiel (là-aussi, c’est une invention du chroniqueur). Et si tout cela ne vous convainc pas, vous pouvez demander « un devis pour toutes prestations particulières » étant donné qu’il « y a de nombreuses possibilités ». Allons messieurs, soyons courageux, demandons, nous aussi, un cours d’auto-habillage et d’auto-choix de cravate ou, c’est selon, de kamiss-savates. Remarquez, vu la place restreinte qui nous est habituellement allouée dans les armoires, il est probable que l’audit de dressing ne nous ruinera pas…
_
 

mardi 14 avril 2015

La chronique du blédard : De Garissa à Yarmouk

_
Le Quotidien d’Oran, jeudi 9 avril 2015
Akram Belkaïd, Paris

Un carnage… 148 morts dans la fleur de l’âge. L’avenir, l’espoir, d’un pays emportés par une violence sans nom dont seuls des psychopathes peuvent être capables. Une religion, l’islam, dévoyée et souillée par cette attaque contre l’université de Garissa au Kenya. C’est d’ailleurs tout un symbole. En semant la mort dans une université, temple du savoir, de la raison et du partage, les terroristes somaliens ont montré ce qu’ils étaient. Et l’on se demande comment certains observateurs peuvent encore essayer de les défendre en avançant l’idée que la guerre qui les oppose au gouvernement kenyan peut déboucher sur toutes les horreurs. Et relevons cette terrible obscénité qui réside dans le nom que s’attribuent ces extrémistes venus d’un pays qui, finalement, ne s’est jamais remis de la chute du dictateur Mohamed Siad Barré en 1991 et des multiples interventions militaires étrangères qui ont suivi. Ces salopards, et le mot est trop faible, s’auto-désignent par le terme « shebab », qui signifie jeunes ou jeunesse. Quelle sordide ironie…

Ce massacre n’a guère ému le monde musulman pas plus qu’il n’a fait réagir l’Occident. Il n’y a pas eu de marches pour les jeunes étudiants massacrés. Il n’y a pas eu d’emballement médiatique ni de grandes initiatives populaires, comme par exemple le simple fait de se regrouper sur une place publique pour dire non au terrorisme ou le fait d’aller observer quelques minutes de silence devant l’ambassade du Kenya. Non, rien de tout cela n’a eu lieu. Les grands de ce monde ont prononcé quelques phrases lapidaires et sont vite passés à d’autres choses, jugées plus importante, comme la signature d’un accord à propos du dossier nucléaire iranien. Les représentants des pays africains et arabes, qui tels de petits chienchiens à leur ancienne mémère coloniale, se sont précipités pour participer à la marche du 11 janvier à Paris (après les tueries de Charlie-Hebdo et de l’hyper-casher de Vincennes), n’ont rien dit, ne se sont guère fait entendre. Des Kenyans sont morts, et alors ? Ce sont des Noirs, des Africains, et la règle implicite qui veut que seule la vie de l’homme blanc compte et a de l’intérêt vient encore une fois d’être vérifiée.

Il ne faut pas se mentir. Cette indifférence de l’Occident mais aussi du monde arabe – lequel a au moins une excuse, il a aussi ses terribles problèmes du moment – n’est rien d’autre que du racisme plus ou moins avouée, plus ou moins conscient. On notera aussi que la tuerie de Garissa a eu lieu quelques jours avant la date anniversaire du déclenchement du génocide rwandais en 1994. A l’époque aussi, combien de temps a-t-il fallu pour que l’horreur de la situation soit admise et qu’enfin des voix s’élèvent pour dénoncer les massacres et pour faire preuve de solidarité avec les victimes et leurs familles ? Seuls les réseaux sociaux ont « sauvé » l’honneur. La colère de milliers d’internautes vis-à-vis de politiques et des grands médias pusillanimes fera certainement date. Elle a mis en exergue l’écart croissant entre ce que ressentent les opinions publiques – même si elles sont plus ou moins bien informées - et les maîtres des systèmes politiques et médiatiques. Ici et là, des initiatives « 2.0 » ont été lancées. On dira qu’il ne s’agit que de « clicktivism », qu’il est facile de s’indigner à l’aide de son clavier et derrière son écran. Mais cela compte puisque cela crée la condition nécessaire pour d’autres mobilisations, réelles, sur le terrain. Surtout, cela prouve qu’il ne s’agit plus d’attendre le feu vert des officiels pour réagir.

Que dire maintenant de ce qui se passe dans le camp palestinien de Yarmouk en périphérie de Damas ? Cela fait plusieurs mois que l’endroit est assiégé à la fois par l’armée d’Assad et par les tueurs du groupe Etat islamique. Cela fait des semaines que la faim, le froid et la violence déciment des Palestiniens pris au piège dans cette enclave jugée stratégique par chacune des forces armées en présence. Et, là aussi, pas ou peu de réactions dans le monde arabe. Pas de manifestations, pas de déclarations des chefs d’Etat (même l’Autorité palestinienne est peu diserte sur le sujet !). On pensait que la Palestine et le sort des Palestiniens représentaient une cause sacrée. Notre unique cause digne d’engagement. On voit bien que ce n’est pas le cas. Que ce n’est plus le cas. Que l’on se sente impuissant est une chose, que l’on ne cherche pas à manifester sa solidarité et à clamer son indignation en est une autre. Là aussi, on dira que les situations nationales chez les uns et les autres sont tellement compliquées, incertaines ou dangereuses que ce qui se passe à Yarmouk passe nécessairement au second plan. Mais tout de même, c’est des Palestiniens qu’il s’agit ! Se taire à propos de ce qui se passe en ce moment dans la banlieue de Damas revient, quelque part, à être soit du côté des forces d’Assad qui n’ont jamais cessé de bombarder le camp, soit du côté des islamistes de Daech ou de Nusra qui, tient comme c’est bizarre, semblent s’être alliés pour l’occasion. Les Palestiniens de Yarmouk (et d’ailleurs) méritent mieux. Nous ne devons pas les oublier. Le slogan « Je suis Yarmouk » doit exister. Ce n’est pas grand-chose mais c’est mieux que le silence, l’oubli et le défaut de solidarité.
_

 

 

vendredi 3 avril 2015

La chronique du blédard : La dynamique FN (suite et pas fin…)

_
Le Quotidien d’Oran, jeudi 2 avril 2015
Akram Belkaïd, Paris

La semaine dernière, commentant le résultat du premier tour des élections départementales françaises, je m’interrogeais sur la possible présence de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle de 2017. Sept jours plus tard, et même si le Front national n’a remporté aucun département (son score global avoisine tout de même les 24% des suffrages), nombreux sont ceux pour qui la question ne se pose même plus. Pour eux, il n’y a aucun doute à avoir, la fille de Jean-Marie y sera. Mieux (ou, plutôt, pire…), il y a même de fortes chances pour qu’elle occupe la première place au soir du dimanche du premier tour.
 
Cette perspective, autrement dit la réédition de ce qui s’est passé le 21 avril 2002 (la fille remplaçant le père), va donc façonner la politique intérieure française au cours des deux prochaines années. C’est par rapport à cette hypothèse majeure que les prétendants au poste de président vont se positionner. Pour eux, l’objectif sera clair et simple : se retrouver au second tour face à la Marine signifiera une victoire quasi-certaine grâce aux reports de voix. Comme en 2002, mais certainement de manière moins massive (Jacques Chirac avait totalisé 80% des suffrages contre Jean-Marie Le Pen), de nombreux électeurs devraient avoir un réflexe républicain pour faire barrage à l’extrême-droite.
 
Pour Nicolas Sarkozy, plus que jamais décidé à revenir à l’Elysée, l’objectif sera de sonner le rappel des troupes. Il lui faudra non seulement remporter la primaire contre ses petites camarades (dont Alain Juppé) mais il devra aussi convaincre les centristes de ne pas présenter de candidat afin de lui éviter de perdre des voix précieuses au moment du décompte du premier tour. Dans le même temps, il est plus que probable que l’ancien président fasse une campagne de droite dure afin de chasser sur les terres du Front national. Même si Patrick Buisson, l’éminence grise de son quinquennat, n’est plus de la partie, Nicolas Sarkozy a déjà annoncé la couleur (brune) en se disant notamment favorable à la suppression des repas sans porc dans les cantines.
 
« Plus je cogne sur la banlieue, plus je monte dans les sondages » avait-il expliqué à quelques journalistes réunis par lui à moins d’un an de la présidentielle de 2007. Cette fois-ci, c’est sur l’islam et les musulmans de France que le mari de Carla Bruni va concentrer son tir. La tactique est aisée et favorisée par l’air du temps mais rien ne dit qu’elle sera aussi bénéfique qu’à l’époque de fameux et fumeux débat sur l’identité nationale. La dynamique du Front national est telle que ses électeurs seront moins passibles de succomber aux chants des sirènes sarkozyennes, préférant l’original à sa copie. De même, il sera un peu compliqué pour le champion de la droite de rassembler à la fois le centre et l’extrême-droite. Difficile mais pas impossible…
 
A gauche, la problématique du rassemblement sera tout autant fondamentale sinon plus. On se souvient qu’en 2002, c’est, entre autre, la multiplication des candidatures qui a éliminé Lionel Jospin du premier tour. Cette fois-ci, François Hollande – à supposer qu’il soit candidat à sa réélection – va devoir convaincre plusieurs personnalités de ne pas y aller. Si on voit mal Christiane Taubira, ministre actuelle de la Justice, retenter le coup comme en 2002, d’autres vont âprement négocier leur non-candidature. On pense notamment aux écologistes mais aussi à ce que l’on appelle aujourd’hui la gauche de la gauche.
 
Et là, se pose la question de ce que Hollande - ou peut-être Valls si l’impopularité du premier reste aussi forte – va promettre à son camp. Pour certains de ses conseillers, il suffira juste d’agiter le chiffon rouge d’un nouveau 22 avril pour que le thème du rassemblement s’impose. En clair, les mauvaises volontés, les renâcleurs, les frondeurs, les contestataires se feront une raison au nom de la victoire… Libre à eux, ensuite, mais seulement ensuite, de montrer leur colère et de bouder dans leur coin. Pour ces conseillers au cynisme emblématique de l’air du temps, ce scénario s’est déjà réalisé par le passé, il n’y a donc pas de raison pour qu’il se reproduise.
 
Reste à savoir ce que les écologistes et la gauche de la gauche pensent de tout cela après trois années de hollandisme socio-libéral. Vont-ils encore faire semblant d’y croire ? Vont-ils encore jouer la ritournelle du « mieux vaut être dedans qu’à l’extérieur ? ». A quel discours dilatoire vont-ils faire semblant de se rallier ? Il sera tout de même difficile à François Hollande d’expliquer aux militants progressistes qu’il a mis la finance au pas… A moins de compter sur la mémoire courte des électeurs. Cela s’est déjà vu. Ou alors, il suffirait que Sarkozy en fasse trop – c’est-à-dire qu’il soit lui-même – pour que les uns et les autres se résignent à manger de nouvelles couleuvres.
 
Mais il y a une autre hypothèse qui mérite d’être sérieusement prise au sérieux. En l’état actuel des choses, et sachant que le gouvernement Valls ne cesse de claironner qu’il ne changera pas de politique (cela grâce à ses résultats flamboyants…), de nombreux sympathisants de gauche sont bien décidés à provoquer une rupture avec le Parti dit socialiste. En sortira-t-il un vrai pôle de gauche, le PS étant appelé de toutes les façons à changer de nom et à rejoindre son habitat naturel qu’est le centre ? La chose est possible. Cela constituerait certes une grosse rupture susceptible d’offrir le pouvoir à la droite pour de longues années (du fait du rétrécissement du camp de la gauche). Mais ce serait peut-être le socle de départ pour une vraie reconquête et une vraie rupture avec ces victoires électorales suivies immédiatement par des renoncements. A suivre donc…
_

La chronique du blédard : La dynamique FN

_
Le Quotidien d’Oran, jeudi 26 mars 2015
Akram Belkaïd, Paris

Marine Le Pen sera-t-elle présente au second tour de l’élection présidentielle française de 2017 ? Cette question, plus ou moins craintive selon l’endroit d’où l’on vient et où l’on se positionne sur l’échiquier politique, n’est certes pas nouvelle. Mais le résultat du premier tour du scrutin départemental de dimanche dernier oblige à la reposer. Bien sûr, il n’y a pas eu de déferlante bleu-marine et le Front national ne devrait contrôler au maximum que deux ou trois départements, peut-être quatre. C’est la consolation que certains observateurs ont essayé de nous vendre.
 
Pour autant, c’est la dynamique des résultats électoraux qui mérite d’être examinée. En 1995, Jean-Marie Le Pen avait récolté 15% des suffrages avant de se qualifier pour le second tour en 2002 en totalisant près de 20% des voix. En 2012, sa fille a engrangé 18% des votes à la présidentielle. Tous ces chiffres doivent être comparés aux 25% respectivement réalisés aux européennes de 2014 et aux départementales de cette année. Mathématiquement, et au vu de l’historique de ces deux scrutins, tout est en place pour que le FN réalise un bon score aux régionales de décembre prochain et, plus important encore, pour que Marine Le Pen soit présente au second tour en 2017. Personne ne pourra alors dire que cette qualification est une surprise.
 
L’un des enseignements majeurs de ce scrutin, mais là-aussi ce n’est pas une grande découverte, du moins pour ceux qui ne se contentent pas de suivre l’évolution de la France à partir d’un bureau parisien, est que le FN est désormais un parti de plus en plus ancré sur le plan local. Son score de 25% au premier tour, dans un type de consultation qui ne lui est pas forcément favorable – du fait de la présence de deux concurrents majeurs et du possible report de voix entre droite et gauche au deuxième tour – le démontre bien. Il fut un temps où le FN était d’abord un ensemble de factions plus ou moins bien regroupées sous la figure tutélaire de Jean-Marie Le Pen mais sans véritable assise nationale. Aujourd’hui, ses prolongements locaux sont une réalité. Ses militants ne se cachent plus et n’ont guère à craindre l’opprobre qui sanctionnait leurs devanciers. Dans un village de l’Aisne ou de l’Oise, « le » militant FN n’est plus un fantôme. Il ne se cache plus et son entourage, même s’il ne partage pas ses idées, n’a plus honte de lui.
 
Cela signifie donc que le Front national est un parti accepté par un gand nombre de Français, qu’ils soient de droite comme de gauche. C’est cela qui lui permet, entre autre, d’envisager d’autres conquêtes. Comme l’a remarqué un habitant du département de la Seine St-Denis, aujourd’hui « plus personne n’arrache les affiches » de ce parti, ce qui était pourtant chose fréquente il y a encore une dizaine d’années (*). On peut bien accuser la presse d’avoir aidé à cela en interviewant sans cesse les cadres du FN, véritables bons clients et experts en petites phrases susceptibles d’améliorer l’audimat. Mais, en réalité, les médias n’ont fait qu’accompagner la tendance. Face à une offre politique indigente, inintelligible et marquée par le sceau de l’échec (cinq à six millions de chômeurs mes chers Jacques, Nicolas et François), le FN s’inscrit dans une vraie dynamique ascensionnelle.
 
Parmi les grands éditorialistes français, il semble qu’aucun n’ait eu la bonne idée de rappeler que ces départementales ont eu lieu près de dix ans après le fameux rejet populaire du projet de traité constitutionnel européen. Un refus que les gouvernements de droite puis de gauche ont balayé avec mépris et une vraie désinvolture en ayant recours à un vote parlementaire afin de contourner le référendum. Dix ans, c’est le temps qu’il faut pour qu’une immense frustration à l’égard de la manière dont se construit l’Union européenne – et de la manière dont agit sa commission – se transforme en mobilisation politique de terrain qui s’étend et se densifie par capillarité.
 
Face à cette vague qui monte, ce n’est pas un discours alarmiste ou stigmatisant, du genre de celui que tient Manuel Valls, qui servira à grand-chose. Bien sûr, le Premier ministre n’a pas tort de dire que la France risque de payer cher une arrivée du FN au pouvoir. Mais il appartient à une classe politique amplement discréditée et sa parole n’a guère d’impact. De même, il est aussi une figure importante d’un parti dit de gauche qui, au nom d’une fausse option socio-démocrate, ne cesse de se droitiser au grand dam de militants qui ne savent plus à quels saints se vouer. Car si le Front national progresse, ce n’est pas uniquement parce qu’il pique des voix à l’UMP. Les milieux populaires, hier favorables à la gauche – à l’image de ceux du département du Pas-de-Calais -, n’éprouvent plus de réticence à voter pour le Front national. Par adhésion ou tout simplement par envie d’envoyer un message. En clair, Marine Le Pen risque fort d’être au second tour de la présidentielle de 2017, parce que le gouvernement Valls, sans oublier le président Hollande, vont continuer à parler de réduction des déficits, de compétitivité, de réformes structurelles (ces deux termes signifiant la fin de certains acquis sociaux) et que leurs électeurs vont définitivement comprendre qu’en 2012, ils se sont fait, une fois de plus, rouler dans la farine. 2017, c’est demain et le compte-à-rebours vers la catastrophe annoncée a bel et bien commencé. A suivre…

(*) Le Courrier de l’Atlas, 20 mars 2015.
--------------------------------