Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

dimanche 14 juin 2015

La chronique du blédard : Aventures en l'air et au sol avec United

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Le Quotidien d’Oran, jeudi  11 juin 2015
Akram Belkaïd, Paris

Roissy. Départ à destination d'une grande ville de l'Empire. Cela commence par un enregistrement tranquille. Un peu long, un peu tatillon. Est-ce que l'on a fait ses bagages soi-même ? Bah ouais... Est-ce qu'on a toujours gardé l'œil sur ses bagages ? Alors-là, tout le monde ment car ces valises ont bien été placées dans la malle de la voiture ou du taxi ou encore dans le coffre du Roissybus, non ? Et si un méchant terro s'y était caché dans cette malle ? Bon, pour reprendre une expression à la mode et employée à tort et à travers, c'est abuser que d'imaginer ce genre de scénario mais c'est comme pour les maths, tous les cas de figure doivent être abordés.

Le Boeing 757 d'United a décollé et l'hôtesse qui s'occupe du bétail placé à l'arrière de l'appareil ne semble pas heureuse de faire son métier ou d'être ce qu'elle est, ou les deux à la fois. Bref, elle rudoie une passagère qui veut son repas spécial tout de suite. Elle fait mine de ne pas entendre celui qui lui demande un verre d'eau. On pourrait lui trouver facilement un poste dans une compagnie maghrébine ou bien encore chez Air Canada ce qui l'arrangerait certainement question linguistique. Mais son jeu préféré est de passer à toute vitesse en poussant son chariot afin de démettre les épaules ou de broyer les coudes de celles et ceux dont le siège est attenant (joli mot, n'est-ce pas) au couloir. Ni sorry ni regrets et on s'attend presque à l'entendre lancer : « ouèche kayene ? » (ya quoi ?).

Le pire vient après la première collation. A peine servie, il faut vite débarrasser ce qui en reste. Et là, c'est un grand moment. Un modèle de comportement, digne des plus grands traités en matière de service-client. La revêche passe et repasse, les bras bien tendus avec au bout des mains un sac en plastique blanc. Elle regarde les uns et les autres d'un air de défi et ne cesse de répéter « trash ! trash ! trash !... » Ce qui revient à dire et redire « déchets ! déchets ! déchets ! » ou encore, le terme avait fait fureur à une époque chez les gens du service Marchés financiers de La Tribune Desfossés, « zoubia ! zoubia ! zoubia ! ». Et l'on se pose alors la question. Qui est le trash ? Le gobelet encore humide de son jus de pomme trop glacé ou le passager lui-même ainsi insulté ? On devrait demander à la dame mais, attention, danger. Le personnel naviguant des compagnies aériennes, surtout ricaines, sait qu'il a désormais tous les droits. T'as vu ce que t'as fait Oussama ? Rappelons à ce niveau qu'United est la compagnie dont un PN (personnel naviguant) vient de refuser de servir une canette de soda non ouverte à une passagère musulmane estimant qu'elle pouvait s'en servir comme une arme... Oui, c'est ça : WTF ! (je n'ai pas le droit de traduire, des gens de ma famille lisent cette chronique).

Le vol se passe ensuite normalement. Plateau repas-punition, films inintéressants, séquences régulières de « trash-trash-trash » auxquelles on ne prête même plus attention. Cela sans oublier les turbulences récurrentes qui empêchent de dormir - de toutes les façons, il y a toujours un voisin ou une voisine qui veut aller aux water-closet ou qui, tout simplement, parle bien fort parce que tout le monde se doit d'entendre le détail de ses dernières vacances en Martinique. Et à propos de turbulences, à une bonne heure de l'arrivée en vue de la côte est, commence le grand cirque. Ça secoue, ça tangue, ça chute, ça turbule. Les quatre-cinquièmes des passagers regrettent leur erreur, celle d'avoir avalé un sandwich crémeux - et absolument insipide - dont le premier pressage stomacal entend revenir à l'air libre. Avant le décollage, toujours vérifier qu'il y a bien un sac en papier dans le dossier du siège de devant...

Bon, épargnons les détails. Atterrissage secoué, très secoué mais atterrissage quand même. Formalité de police (« pourquoi allez-vous si souvent dans le monde arabe ? »...), de douane (« no sir, j'te jure, j'ai pas de nourriture dans mes bagages », sauf des gâteaux tunisiens mais ça, je l’ai pas dit…) puis cavalcade car correspondance à ne pas louper. Course inutile car tous les appareils sont désormais « groundés », c’est-à-dire cloués au sol à cause du vent féroce. Décision des autorités fédérales. Ce qui signifie que la compagnie n'est pas responsable. Va donc, ô voyageur épuisé, te trouver un hôtel à tes frais... Le service client, toujours et encore ! Le lendemain, plus de vent mais vols complet. On enregistre tout de même en liste d'attente en espérant un miracle. Premier vol no. Deuxième walou, troisième yes. A l'arrivée, petite frayeur. Pas de valise sur le carrousel. Renseignement pris, elle est sagement partie avec le premier vol (celui qui était complet…) et attendait son propriétaire depuis quelques heures déjà. Sécurité avez-vous dit ?

Et ce n'est pas fini. Passons sur les retards entre telle et telle étape. Les billets annulés sans aucune raison et qu'un américano-palestinien charitable fait renaître des limbes de l'informatique. Les correspondances ratées. L'unique bagage dont l'enregistrement coûte désormais 25 dollars (voyageurs européens ne riez pas, cela va bientôt arriver chez vous), les six heures de vol entre l'est et l'ouest où toute prestation est payante. Nous voici donc au moment du retour. Vols avec correspondance bien sûr. Washington, Portland (dans le Maine pas l'Oregon, sinon ça fait long le détour) et Barize qui rime avec valise, le poids de la deuxième étant facturé à 100 dollars...

Bref, salle d'embarquement à Dulles. Un appel au micro. Raphaël, (« hi, call me Rapha ! »), séchoir façon années quatre-vingts, propose un vol direct sur Roissy. Bonne nouvelle ! Plus de stress donc pour la correspondance. Mais, une petite voix incite à demander ce qui risque d'advenir des bagages déjà enregistrés pour Portland. No problème, assure Rapha. Je vais descendre moi-même sur la piste changer leurs étiquettes. Soyez pas worry, on fait ça tous les jours. On acquiesce et l'on s'en va vers une autre salle où ça parle déjà français. Huit heures plus tard, arrivée matinale et glauque à Charles-De-Gaulle airport, terminal 1. Vous l'avez deviné. De valises, point. Raphaël n'a rien fait ou fait ce qu'il ne fallait pas faire (je sais, série de répétitions mais c'est la fatigue du décalage horaire). « Il avait besoin de libérer votre siège dans l'avion pour Portland, c'est tout ! » avoue une employée bien embêtée à qui l'ordinateur ne donne aucune information sur les précieuses valoches. Et là, dans le petit matin gris, on se met soudain à psalmodier la prière du voyageur ivre de fatigue et de digouttâge : Rapha-trash ! Rapha-trash ! Rapha-trash !

Prochain épisode : mes aventures avec (la) SNCF...
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