Lignes quotidiennes

Lignes quotidiennes
Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mardi 14 avril 2015

La chronique du blédard : De Garissa à Yarmouk

_
Le Quotidien d’Oran, jeudi 9 avril 2015
Akram Belkaïd, Paris

Un carnage… 148 morts dans la fleur de l’âge. L’avenir, l’espoir, d’un pays emportés par une violence sans nom dont seuls des psychopathes peuvent être capables. Une religion, l’islam, dévoyée et souillée par cette attaque contre l’université de Garissa au Kenya. C’est d’ailleurs tout un symbole. En semant la mort dans une université, temple du savoir, de la raison et du partage, les terroristes somaliens ont montré ce qu’ils étaient. Et l’on se demande comment certains observateurs peuvent encore essayer de les défendre en avançant l’idée que la guerre qui les oppose au gouvernement kenyan peut déboucher sur toutes les horreurs. Et relevons cette terrible obscénité qui réside dans le nom que s’attribuent ces extrémistes venus d’un pays qui, finalement, ne s’est jamais remis de la chute du dictateur Mohamed Siad Barré en 1991 et des multiples interventions militaires étrangères qui ont suivi. Ces salopards, et le mot est trop faible, s’auto-désignent par le terme « shebab », qui signifie jeunes ou jeunesse. Quelle sordide ironie…

Ce massacre n’a guère ému le monde musulman pas plus qu’il n’a fait réagir l’Occident. Il n’y a pas eu de marches pour les jeunes étudiants massacrés. Il n’y a pas eu d’emballement médiatique ni de grandes initiatives populaires, comme par exemple le simple fait de se regrouper sur une place publique pour dire non au terrorisme ou le fait d’aller observer quelques minutes de silence devant l’ambassade du Kenya. Non, rien de tout cela n’a eu lieu. Les grands de ce monde ont prononcé quelques phrases lapidaires et sont vite passés à d’autres choses, jugées plus importante, comme la signature d’un accord à propos du dossier nucléaire iranien. Les représentants des pays africains et arabes, qui tels de petits chienchiens à leur ancienne mémère coloniale, se sont précipités pour participer à la marche du 11 janvier à Paris (après les tueries de Charlie-Hebdo et de l’hyper-casher de Vincennes), n’ont rien dit, ne se sont guère fait entendre. Des Kenyans sont morts, et alors ? Ce sont des Noirs, des Africains, et la règle implicite qui veut que seule la vie de l’homme blanc compte et a de l’intérêt vient encore une fois d’être vérifiée.

Il ne faut pas se mentir. Cette indifférence de l’Occident mais aussi du monde arabe – lequel a au moins une excuse, il a aussi ses terribles problèmes du moment – n’est rien d’autre que du racisme plus ou moins avouée, plus ou moins conscient. On notera aussi que la tuerie de Garissa a eu lieu quelques jours avant la date anniversaire du déclenchement du génocide rwandais en 1994. A l’époque aussi, combien de temps a-t-il fallu pour que l’horreur de la situation soit admise et qu’enfin des voix s’élèvent pour dénoncer les massacres et pour faire preuve de solidarité avec les victimes et leurs familles ? Seuls les réseaux sociaux ont « sauvé » l’honneur. La colère de milliers d’internautes vis-à-vis de politiques et des grands médias pusillanimes fera certainement date. Elle a mis en exergue l’écart croissant entre ce que ressentent les opinions publiques – même si elles sont plus ou moins bien informées - et les maîtres des systèmes politiques et médiatiques. Ici et là, des initiatives « 2.0 » ont été lancées. On dira qu’il ne s’agit que de « clicktivism », qu’il est facile de s’indigner à l’aide de son clavier et derrière son écran. Mais cela compte puisque cela crée la condition nécessaire pour d’autres mobilisations, réelles, sur le terrain. Surtout, cela prouve qu’il ne s’agit plus d’attendre le feu vert des officiels pour réagir.

Que dire maintenant de ce qui se passe dans le camp palestinien de Yarmouk en périphérie de Damas ? Cela fait plusieurs mois que l’endroit est assiégé à la fois par l’armée d’Assad et par les tueurs du groupe Etat islamique. Cela fait des semaines que la faim, le froid et la violence déciment des Palestiniens pris au piège dans cette enclave jugée stratégique par chacune des forces armées en présence. Et, là aussi, pas ou peu de réactions dans le monde arabe. Pas de manifestations, pas de déclarations des chefs d’Etat (même l’Autorité palestinienne est peu diserte sur le sujet !). On pensait que la Palestine et le sort des Palestiniens représentaient une cause sacrée. Notre unique cause digne d’engagement. On voit bien que ce n’est pas le cas. Que ce n’est plus le cas. Que l’on se sente impuissant est une chose, que l’on ne cherche pas à manifester sa solidarité et à clamer son indignation en est une autre. Là aussi, on dira que les situations nationales chez les uns et les autres sont tellement compliquées, incertaines ou dangereuses que ce qui se passe à Yarmouk passe nécessairement au second plan. Mais tout de même, c’est des Palestiniens qu’il s’agit ! Se taire à propos de ce qui se passe en ce moment dans la banlieue de Damas revient, quelque part, à être soit du côté des forces d’Assad qui n’ont jamais cessé de bombarder le camp, soit du côté des islamistes de Daech ou de Nusra qui, tient comme c’est bizarre, semblent s’être alliés pour l’occasion. Les Palestiniens de Yarmouk (et d’ailleurs) méritent mieux. Nous ne devons pas les oublier. Le slogan « Je suis Yarmouk » doit exister. Ce n’est pas grand-chose mais c’est mieux que le silence, l’oubli et le défaut de solidarité.
_

 

 

Aucun commentaire: