Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mardi 17 mars 2015

La chronique du blédard : La binationalité et le cas Fekir

 
Le Quotidien d’Oran, jeudi 12 mars 2015
Akram Belkaïd, Paris
 
Qu’on le veuille ou non, ce qui touche le football dépasse toujours la sphère exclusive de ce sport. C’est le cas de la récente « affaire Fekir », du nom de ce jeune – et talentueux  - footballeur de l’Olympique de Lyon qui, après quelques tergiversations, a opté pour l’Equipe nationale de France plutôt que pour celle d’Algérie. Le feuilleton a duré plusieurs semaines, si ce n’est plusieurs mois et, après avoir décidé, dans un premier temps, de jouer pour les Verts le gone, né d’un père algérien, a donc choisi d’évoluer chez les Bleus.
 
Cela fait longtemps que la question des joueurs binationaux a des répercussions externes au monde du football. Depuis quelques années, les fédérations maghrébines mais aussi subsahariennes ont entrepris de profiter des failles de la réglementation internationale en essayant de convaincre de jeunes joueurs nés en France – et ayant souvent joué pour les équipes de France de niveau inférieur (juniors, espoirs ou A’) - de représenter le pays de leur père ou de leur mère (il y a ainsi eu des situations où, nés en France, deux frères ont joué, l’un pour l’Algérie, l’autre pour la Tunisie…).
 
Avant d’aller plus loin, relevons d’abord qu’en Algérie le football, lui aussi, n’échappe pas à la facilité. Comme dans d’autres disciplines, ses dirigeants ne parient plus sur la formation et délaissent la structuration de cette activité sur le long terme. On dira ce que l’on voudra des années 1970, mais il existait tout de même une politique sportive et une ambition de faire émerger des joueurs doués (ce qui fut le cas avec les Madjer, Belloumi, Assad et compagnie…). Comme pour tant de secteurs de l’économie, les dirigeants du foot algérien préfèrent donc « importer » de l’extérieur au prétexte fallacieux d’inverser les flux de fuite talents. En cela, le football, du moins son symbole premier qu’est l’équipe nationale, dit bien ce qu’est devenue l’Algérie d’aujourd’hui : un pays rentier incapable de produire sa propre richesse autre que les hydrocarbures.
 
Revenons au cas Fekir. Cette situation autour des joueurs binationaux, rendue possible par une législation très libérale et censée être favorable aux « petites » équipes, a des incidences dans la vie politique française. On imagine quel aurait été le discours du Front national mais aussi d’une partie de la droite (n’oublions la gauche dite socialiste) si le joueur avait opté pour l’Algérie. Le discours habituel sur le prétendu manque de loyauté des jeunes issus de l’immigration aurait immédiatement été sorti du fumier dans lequel il mijote habituellement. On se souvient des propos pour le moins ambigus de Laurent Blanc, alors sélectionneur de l’Equipe de France, à propos de ce qu’il considérait comme étant un vrai problème pour la compétitivité des Bleus.
 
Au-delà de ce qu’ils espéraient vraiment, c’est-à-dire voir Nabil Fekir, que l’on annonce tout de même comme étant le nouveau Messi, jouer avec la Khadra, de nombreux franco-maghrébins ont ressenti un sentiment de soulagement quant à sa décision. C’est comme si cela faisait une polémique de moins dans un pays où, dès le réveil matinal, il est question à la radio de terrorisme, d’islam et d’islamisme, de foulard et de laïcité sans parler de l’immigration, des imams mal formés ou des prières de rue. C’est un fait, la décision de Fekir va aussi calmer l’ardeur de quelques comiques-troupiers, on pense à ceux qui couvrent le foot sur RMC, et les obliger à chercher des poux dans d’autres têtes que celles des franco-maghrébins.
 
Pour autant, il faut se garder de généraliser. Tout en étant prudent avec ce genre de procédé qui ne remplace en rien une vraie enquête ou un vrai sondage, il convient de relever que, sur les réseaux sociaux, les réactions à la décision de Fekir ont été étonnement mesurées des deux côtés de la Méditerranée. Bien sûr, certains, en France, y ont vu un acte calculateur, l’équipe de France jouant chez elle l’Euro 2016, la valeur marchande du joueur serait de fait plus susceptible d’en bénéficier que s’il participait à la Coupe d’Afrique des nations de 2017. En Algérie, quelques excités l’ont qualifié de traître au pays (rien que ça…) quand d’autres faisaient juste mine de s’indigner de ses atermoiements sans pour autant remettre en cause son droit à jouer pour la France.
 
Et c’est ce dernier point qui est intéressant. Il fut un temps où la question de la bi-nationalité relevait d’un tabou absolu en Algérie. Il fut aussi un temps où nombre de pères immigrés interdisaient à leurs enfants de devenir français ou de se considérer comme tels et cela au nom d’un hypothétique retour au pays. Aujourd’hui, les choses ont changé. La réalité démographique a imposé le pragmatisme – combien y-a-t-il de binationaux ? C’est un mystère, mais on estime leur nombre à deux voire trois millions d’individus, le chiffre de sept millions ayant même récemment enflammé les réseaux sociaux. Et ce pragmatisme conduit à des situations pour le moins étonnantes. Ainsi, les consulats d’Algérie à l’étranger proposent aujourd’hui à leurs ressortissants binationaux qui n’ont pas le temps de renouveler leur passeport (algérien) de rentrer au pays natal avec leur passeport français et un visa : quelque chose d’impensable il y a quelques décennies…
 
En son temps, un joueur comme Zinedine Zidane a beaucoup contribué, en France comme en Algérie, à l’apaisement autour des questions de nationalité. On ne dira jamais assez que c’est grâce à lui que des milliers d’Algériens ont supporté la France en juillet 1998 lors de la finale contre le Brésil. Aujourd’hui, un joueur comme Benzema a repris le flambeau. Mais l’on se rend compte que tout va bien dans le meilleur des mondes tant que ces joueurs ne sont pas critiqués ou brimés en France. Si c’est le cas, comme cela s’est passé pour Samir Nasri, alors, on oublie soudain que ces joueurs sont aussi français et ils deviennent Algériens pour les uns (qui le défendent) comme pour les autres (qui le critiquent).
 
Nabil Fekir est encore jeune. Contrairement à ce que l’on peut penser, il n’a pas choisi la solution de facilité en optant pour la France. Qu’il confirme ses promesses, et, sans le vouloir, il œuvrera à apaiser des relations pas toujours simples entre deux pays et deux peuples. Qu’il déçoive ou qu’il soit maltraité par le staff des Bleus, et cela fera un autre motif de discorde…
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1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bel article ! personnellement, je suis contente que Fekir ait choisi la France. Les pressions de son père n'ont pas altéré sa raison car il a opté pour la bonne équipe de football. Il a plus de chance de briller, à un haut niveau international avec les Bleus, et de là à honorer indirectement ses origines. Le nif et la khsara n'est plus une devise valable.
Karima