Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

jeudi 29 mai 2014

La chronique du blédard : Le FN vainqueur : la faute à qui ?

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 29 mai 2014
Akram Belkaïd, Paris

Le Front national (FN) vainqueur des élections : à qui la faute ? Même si le pire n’est jamais certain, il va falloir s’habituer à se poser cette question après chaque échéance électorale française. Dimanche 25 mai, ce n’était « qu’un » scrutin européen. Mais si rien ne change, si la France ne réagit pas, Marine Le Pen sera certainement présente au second tour de la présidentielle de 2017 et le FN réalisera un score d’importance aux législatives qui suivront (en supposant que ces deux élections auront bien lieu à la date prévue et qu’elles n’auront pas été avancées pour cause de crise majeure…).

Alors, la faute à qui ? D’abord, et avant tout à la classe politique dite républicaine. Une classe politique en dessous de tout et qui, en ne se montrant pas exemplaire, ne cesse de donner les meilleurs arguments à l’extrême-droite. Une classe politique qui refuse de reconnaître que la situation est des plus graves et qu’il est temps pour elle de se remettre en cause. Arrêtons-nous un instant et faisons le compte de tous les scandales et emballements médiatiques qui ont secoué la France depuis trois ou quatre ans, c’est-à-dire depuis l’aggravation de la crise économique et la multiplication des difficultés sociales auxquelles s’ajoute la peur, parfois irrationnelle mais bien réelle, du déclassement. Affaire DSK, affaire Tapie, affaire Cahuzac, affaire Copé-UMP-Bygmalion… Contrairement à une idée très répandue chez les politiciens mais aussi à l’intérieur des rédactions, ces scandales ne s’effacent pas et l’actualité sans cesse mouvante ne chasse pas leurs fumets pestilentiels. L’électeur a de la mémoire. Il n’oublie rien. Il emmagasine et quand vient l’heure du vote, il a enfin la possibilité de libérer ses ressentiments cumulés.

Les politiciens et leurs grosses affaires, donc… Des sommes astronomiques, des avantages indus, des passe-droits, des comportements moralement répréhensibles quand ils ne sont pas délictueux, des mensonges « les yeux dans les yeux », une morgue, un cynisme et des dénégations suivies, quand la vérité finit par éclater, par des repentirs savamment concoctés par les as de la com’. Questions : qui peut croire que tout cela ne pouvait avoir de fâcheuses conséquences ?  Qui peut croire qu’un smicard, un retraité ou un cadre moyen, apprenant que des millions d’euros sont distribués aux copains-coquins ou bien encore soustraits au fisc – ce fisc si impitoyable à l’égard du contribuable anonyme - ne seraient pas tentés de voter pour le seul parti qui promet un grand ménage ?

On parle beaucoup des excès des jeunes de banlieues mais, le bon sens populaire sait bien au fond de lui-même qui sont les vraies racailles et qui sont les vraies crapules. C’est celles qui pensent qu’un mandat électoral leur ouvre la voie à tous les privilèges et les exempte du moindre devoir et de la première des obligations qui est celle de respecter la loi. Question : que pense aujourd’hui un électeur, plutôt très droitier de l’UMP, et dont on a sollicité la générosité pour combler le trou financier de son parti ? Qui veut parier contre le fait que l’idée de voter Front national est en train de s’imposer à lui.

Poursuivons. A qui la faute ? A François Hollande, bien évidemment. Deux ans à peine après son élection – applaudie à l’époque par le présent chroniqueur – son théâtre des opérations est totalement dévasté. Ça devait régler son compte à la finance, ça devait redonner espoirs aux ouvriers, aux chômeurs, aux jeunes, aux classes moyennes en quête de pouvoir d’achat. Au final, de dérobades en atermoiements, ça a fait tchoufa… Le moi-président a fait son coming-out en tant que social-démocrate, regardant la pointe de ses chaussures quand il se fait tancer par la Commission européenne et les chantres de l’austérité. A la question « la faute à qui ? » nombre de personnes horrifiées par la victoire du Front national répondent d’emblée « aux abstentionnistes ». Mauvaise réponse. L’abstention, dans ce cas précis, n’est rien d’autre que l’expression d’une perte totale de confiance surtout chez les électeurs de gauche. Ils ont élu quelqu’un qu’ils pensaient être socialiste, ils se retrouvent avec un président plutôt centriste et un Premier ministre que la droite, dite modérée, ne renierait pas. Belle embrouille n’est-ce pas ?

Certes, il y a eu les fameuses réformes sociétales. Une victoire à la Pyrrhus que le politiquement correct interdit de critiquer mais qui mériterait au moins d’être jugée à l’aune de l’opportunité stratégique. Dis-moi quelles sont les lois que tu fais passer au cours de la première partie de ton mandat – c’est à dire celle où les choses sont encore possibles car on est encore loin des prochaines échéances électorales - et je te dirai qui tu es. A ce sujet, ce n’est pas un hasard si le vote des étrangers aux élections locales a été repoussé aux calendes grecques car jugé non prioritaire et, surtout, dangereux sur le plan électoral. Finalement, ce n’était qu’une promesse gobée par nombre d’électeurs d’origine étrangère qui, dimanche 25 mai, ont décidé de rester chez eux…

Revenons à la première question. A qui la faute ? Aux médias, bien sûr. Pas tous. Certains, à l’image des radios du service public, ont fait un vrai effort pour mettre en perspective les enjeux du scrutin européen. D’autres, comme les télévisions, qu’elles soient publiques ou privées, ont préféré la chasse à l’audimat en ne cessant d’offrir des tribunes de choix à Marine Le Pen. Complicité. Quand on organise des débats construits pour n’être en réalité que des pugilats susceptibles de mobiliser du temps de cerveau utile, il ne faut pas prétendre que l’on ignore que c’est à celle qui criera le plus que reviendra la victoire et cela quels que soient ses arguments.

La faute à qui ? On ne peut, bien sûr, oublier la manière dont l’Europe se construit et évolue. Une chronique n’y suffirait pas mais il y a un élément important à retenir. La victoire du Front national aux élections européennes est aussi une conséquence directe de la manière dont a été géré le « non » français au référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel. Au terme d’une période passionnante faite de débats et de prises de paroles multiples, des électeurs de gauche comme de droite avaient alors signifié leur refus d’une Europe qui ne serait qu’une vaste zone de libre-échange façonnée par les lobbies et le dogme de la concurrence. Leur message n’a pas été écouté. Ce mépris et ce manque de respect s’est, comme on dit, payé cash et il est à craindre qu’il reste encore des traites à honorer.
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mercredi 28 mai 2014

Libye, Mali : inquiétudes algériennes, pressions françaises

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Libye, Mali : inquiétudes algériennes, pressions françaises

Bien qu’elle affirme n’avoir aucune responsabilité dans la situation de la Libye et du Mali, l’Algérie regarde avec inquiétude l’instabilité croissante dans ces deux pays avec lesquels elle partage une longue frontière. Elle subit aussi une forte pression française pour assumer des responsabilités sécuritaires régionales plus larges. (cliquez sur le lien ci-dessus pour lire la suite).
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lundi 26 mai 2014

La chronique économique : L’euro trop fort

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 21 mai 2014
Akram Belkaïd, Paris
 
Jusqu’où l’euro va-t-il monter par rapport au dollar américain ? C’est la question récurrente que se posent nombre de responsables européens qui s’inquiètent de plus en plus de la vigueur de leur devise. Dans le détail, la monnaie unique est proche actuellement de la barre de 1,40 dollar ce qui la place à un plus haut depuis l’automne 2011. Du coup, le débat à propos d’un possible pic à 1,45 dollar voire 1,50 dollar est relancé sur fond de bataille électorale pour le scrutin du 25 mai prochain.
 
Peu de marges pour la BCE
 
Mais quel est le problème posé par un euro fort ? Plusieurs pays de l’Union européenne (UE) se plaignent d’abord que cela handicape leurs exportations par rapport à leurs concurrents américains ou asiatiques. Certes, cela ne concerne pas l’Allemagne dont la renommée planétaire du fameux « made in Germany » est un avantage précieux qui compense des prix plus élevés. Mais des pays comme la France, l’Italie, l’Espagne ou même les Pays-Bas sont pénalisés surtout en ce qui concerne leurs produits bas-de-gamme. La conséquence pour eux est connue, plusieurs de leurs entreprises étant poussées à délocaliser une partie de leurs activités en zone dollar et cela afin de diminuer leurs coûts de production.
 
Dans le même temps, la vigueur de l’euro pose problème dans un contexte où l’inflation est très faible et où l’économie a du mal à redémarrer. En soi, le fait qu’une monnaie soit un rempart contre la hausse des prix n’est pas une mauvaise chose. Mais, quand cela contribue à augmenter les menaces de déflation voire de stagflation, cela devient inquiétant. En effet, de nombreux économistes européens craignent que les économies du Vieux Continent ne tombent dans le piège de la stagnation (panne de l’activité économique) doublée d’une chute drastique des prix (causée par la faiblesse de l’inflation qui finit par conduire à la déflation). Dans ce genre de situation, les entreprises, faute de commandes et de revenus suffisants, font faillite et sont obligées de licencier.
 
Du coup, c’est la Banque centrale européenne (BCE) qui est priée de réagir puisque c’est à elle que revient de conduire les politiques liées à l’euro. Problème, l’institution monétaire basée à Francfort n’a que très peu de marges de manœuvres. Ses taux directeurs sont déjà très faibles (baisser les taux peut contribuer à déprécier une monnaie) et, de toutes les façons, l’Allemagne ne veut ni d’un euro faible ni d’un regain d’inflation ne serait-ce que pour préserver les avoirs de ses épargnants. Le 5 juin prochain, les gouverneurs de la BCE seront donc attendus au tournant lors de leur réunion mensuelle. Non seulement, ils devront rendre publiques leurs prévisions de croissance et d’inflation mais aussi, et surtout, clarifier leurs intentions vis-à-vis de la valeur de l’euro.
 
Le tabou de la dévaluation
 
Bien entendu, il est pratiquement exclu d’entendre un jour les dirigeants de la Banque centrale européenne évoquer la question d’une dévaluation pure et simple. Ce genre d’option n’est pas prévu, du moins pas de manière explicite, par les textes qui régissent l’Union monétaire européenne. Pourtant, les exportateurs du Vieux continent auraient bien besoin d’un petit coup de pouce monétaire. Ce dont ne veulent absolument pas les épargnants (l’Europe est la première zone d’épargne du monde) qui craignent une dépréciation de leurs avoirs. La BCE devra donc faire avec ce qu’elle a, c’est-à-dire pas grand-chose.
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samedi 24 mai 2014

La chronique du blédard : La règle de trois et la quête de sens

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 22 mai 2014
Akram Belkaïd, Paris

L’intervenant se tient au pied d’un amphithéâtre afin de fournir quelques vagues explications sur la marche de l’économie mondiale. L’auditoire est composé d’une cinquantaine de jeunes étudiants en école de commerce. Des « bac + 5 » ambitionnant d’obtenir un master of business administration, autrement dit un Mba (prononcez aim’bié), et de devenir ainsi les missionnaires zélés de la globalisation, de la dérégulation et de la miltonfriedmanisation. Le thème du jour étant le marché des hydrocarbures, voici quel est le problème posé d’entrée de jeu : sachant qu’une canette de 33 centilitres d’un célèbre soda vaut 0,3 dollar, calculez le prix d’une canette de pétrole brut en prenant 95 dollars comme valeur du baril puis comparez. Vous avez dix minutes.

La surprise passée, c’est un mélange de frénésie et d’abattement qui se répand dans l’amphi. La ruche, engourdie quelques secondes auparavant, s’affole. Des trousses s’ouvrent, des stylos tombent. Certains visages virent au blanc ou au gris. A l’inverse, d’autres sont déjà penchés sur leurs calculs et l’on devine aisément qu’ils adorent ça. Ça s’affaire, ça écrit, ça pianote sur son clavier. Mais ça peut aussi hausser les épaules, grommeler et afficher de manière ostentatoire son désintérêt pour un pourtant bien modeste exercice destiné à faire comprendre à quel point le précieux or noir est bon marché. Du moins en comparaison d’un soda ou, c’est une variante, d’une encre pour imprimerie.

Maintenant, l’intervenant décide de semer la panique en passant dans les rangs histoire aussi de vérifier que les utilisateurs d’ordinateur ne sont pas en train de scruter son profil facebook ou, pour les plus malins d’entre eux, d’essayer de trouver la solution sur le net. Sur une feuille à grands carreaux, une jeune fille a tracé un tableau à quatre cases mais elle semble hésiter sur la manière dont elle doit le remplir. Il lui demande ce qu’elle fait. Un tableau de proportionnalité, répond-elle. Continuez, lui dit-il un peu étonné. Quelques tables plus loin, même diagramme, même dilemme et donc même question. C’est un produit en croix, soupire le jeune homme pas très content d’être dérangé.

A l’autre bout de la rangée, une voix impatiente exige de savoir à combien de centilitres équivaut un baril (ah, les conversions…). Cherchez sur internet et profitez-en pour trouver d’où vient l’usage de cette unité bien particulière, est la réponse. Vous aussi vous faites un produit en croix, interroge encore l’explorateur du monde post-adolescent. Bien sûr ! s’exclame l’intéressée un peu surprise. Du coup, dans l’amphi, ça s’agite de plus belle, le trouble de l’intervenant n’étant pas passé inaperçu. Pourquoi n’utilisez-vous pas la règle de trois, finit-il par demander à l’assistance. Silence et moues dubitatives. Qui sait ce qu’est une règle de trois ? s’agace-t-il déjà. Très peu de doigts se lèvent. Il pense à une farce ou à de la mauvaise volonté. Mais c’est une erreur.

Le soir-même, devant son ordinateur, l’enseignant occasionnel redevenu journaliste mène l’enquête. Le résultat n’est pas inintéressant. Il apprend ainsi que la règle de trois n’est plus enseignée en France depuis le début des années 1970. L’agitation de mai 1968 et l’irruption des mathématiques modernes sont passées par là. Dans un texte intitulé « la règle de trois n’aura pas lieu » - un film destiné aux futurs enseignants en a même été tiré – un influent pédagogue a eu la peau d’un outil assimilé à l’enseignement réactionnaire du Second Empire ou celui, désuet, de la Troisième République. Une prohibition radicale au nom du « sens et du savoir intelligible en construction ». Au nom aussi de l’apprentissage intelligent et de l’autonomie nécessaire qu’il faut inculquer à l’élève. En clair, pas question que ce dernier apprenne à manier des outils sans comprendre leur essence, ce qui explique pourquoi, aujourd’hui encore, les gamins du primaire sont censés faire des soustractions sans utiliser la méthode de la retenue cela avant de tout désapprendre en arrivant au CM1….

La quête du sens donc. Une belle réussite… Des aim’bié perdus avec leur produit des extrêmes égal à celui des moyens. Des écoles d’infirmières ou de préparateurs en pharmacie qui tirent régulièrement la sonnette d’alarme en raison d’élèves ne maîtrisant pas de simples calculs de proportionnalité. Et quel meilleur symbole de cette déroute que ces deux ministres de l’éducation (Xavier Darcos en 2008 et Luc Chatel en 2011) incapables de faire une simple règle de trois en direct à la télévision… Ainsi, de réformes pédagogiques en expérimentations hasardeuses, la France a réussi un bien étrange exploit : la patrie de Descartes et de Condorcet, pour ne citer qu’eux, ne cesse de reculer dans les classements internationaux en termes de niveau scolaire en mathématiques.

Officiellement, la règle de trois a été réhabilitée en 2008 mais l’étrange prévention idéologique qui la concerne n’a pas disparu. Du coup, les enseignants continuent d’utiliser des tableaux en croix, reléguant le recours aux fameuses deux lignes fléchées à une curiosité historique que mentionnent parfois les manuels. D’où vient cette situation ? Outre de sombres querelles dogmatiques entre « modernistes », « réformateurs » et « didacticiens », il y a ce refus d’accepter que la maîtrise des maths passe d’abord (mieux ?) par l’automatisation et la répétition. Souvent, d’ailleurs, la compréhension du sens vient ensuite, une fois que l’outil a été bien apprivoisé. La règle de trois est peut-être une recette du passé mais elle relève pourtant d’une démarche cartésienne, d’un premier pas vers le recours à l’abstraction notamment pour ce qui est du choix et de l’usage d’une ou plusieurs inconnues. Avec elle, on apprend à raisonner, à démontrer et, avant cela, à « poser ses équations ».

Mais revenons maintenant à l’amphithéâtre. C’est un moment de gloire pour l’intervenant qui, à l’aide d’un marqueur bleu glissant sur un tableau blanc, prend son temps pour expliquer ce qu’est la fameuse règle. Un kilogramme de nèfles coûte six euros, une livre en coûtera x mais, attention, je dois faire attention aux unités…. Porté par l’allégresse générale, il en profite même pour rappeler ce qu’est la preuve par neuf apprise justement à l’âge de neuf ans et dont il n’a saisi le sens qu’en classe de terminale. Et pour terminer, il promet sous les vivats, que le prochain cours sera consacré au maniement de la règle à calcul et de l’extraction manuelle de racines carrées.

Voilà, cette chronique est terminée et, concernant l’exercice proposé en début de texte, le lecteur est vivement encouragé à envoyer sa réponse au siège du Quotidien d’Oran. Seules les solutions contenant une vraie règle de trois seront retenues (pas de produit en croix ni de réduction à l’unité) et un tirage au sort récompensera le vainqueur avec un manuel d’arithmétique datant du dix-neuvième siècle.
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jeudi 22 mai 2014

Poète, tu nous manques

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Mahmoud Darwich :

" Un pays naît de la tombe d'un autre pays
Des brigands adorent Dieu
pour qu'un peuple des adore...

J'ai appris tout le langage et je l'ai défait pour composer un seul mot :
Patrie...

Quand les martyrs vont dormir, je me réveille et je monte la garde pour éloigner d'eux les amateurs d'éloge funèbres."

Ô poète d'un peuple privé de terre, il est des matins, des jours et tant de nuits où tu nous manques.

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Zeev Sternhell, à propos du facisme, aujourd'hui en France

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Extraits de l'entretien accordé par l'historien israélien Zeev Sternhell, spécialiste du facisme français, au quotidien Le Monde (18 août 2013) :

- "Il n'existe aucune raison méthodologique qui permette de penser que la France et l'Europe ont été, une bonne fois pour toutes, guéries et immunisées contre le facisme en 1945. La tentation nationaliste fascisante fait partie intégrante de la culture européenne et vient de la tradition des anti-Lumières."

- "Ce qui se passe actuellement en France, c'est une guerre pour l'hégémonie culturelle. La guerre économique et sociale est perdue pour la gauche, faute de combattants. Nul ne songe à toucher aux structures de la société, à gauche comme à droite. Le seul champ de bataille qui demeure, c'est la culture."

- "L'UMP ne bloque pas l'ascendance du FN [Front national]. Au contraire, elle la facilite par une attitude qui - en gros, et même si cela dépend des contextes locaux et des moments - est ambiguë, quand elle n'est pas neutre ou favorable."

- "En France, la droite dure, vichyste, fascisante, fasciste, n'a jamais été forcée à se renier ni même à s'expliquer. Pour réintégrer les rangs de l'intelligentsia respectable, les communistes et gauchistes, eux, ont dû aller à Canossa et s'incliner devant la sagesse de leurs rivaux d'hier. En revanche, on n'a jamais vu un de ces intellectuels tentés par la collaboration, comme Bertrand de Jouvenel (...) et tant d'autres - sans parler d'un René Bousquet ! - s'interroger sur les années 1930 et 1940, faire amende honorable."

- "En 2013, l'antisémitisme n'est plus un facteur de mobilisation comme par le passé, mais la tentation antisémite persiste toujours. L'islamophobie tient maintenant la vedette. Sur la place publique, la crainte de l'islamisation progressive de l'Europe est de plus en plus grande."

- "La tentation fasciste [en France] est là, donc il ne faut pas faire silence sur des groupuscules violents d'extrême-droite sous prétexte qu'en parler serait faire de la publicité. Il faut insister sur le danger réel que ces groupes représentent. Le fait que ces gens-là soient des marginaux ne doit pas faire oublier que, vers 1928, les nazis n'avaient pas atteint 3% aux élections générales. Le problème est d'ailleurs aussi intellectuel : il faut opposer le raisonnement enraciné dans Les Lumières à tous ces individus, partis ou mouvements. Il ne faut pas se taire."

- "On n'a pas besoin de la religion pour réfléchir aux valeurs fondamentales. Ce qui fait reculer la laïcité, c'est l'effritement de la tradition des Lumières. La pensée de gauche doit rester enracinée dans cette idée."
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mercredi 21 mai 2014

Viande à la confiture

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Il lit à voix haute le message imprimé sur un bocal venu de Suède :
" Lingonberry Preserve (confiture d'airelles), delicious as a condiment with many meatdishes or as a dessert with whipped cream or milshake..."
- Lingonberry, c'est quoi ce truc ? On dirait des cerises...
- De la confiture d'airelles. Ça peut se manger avec de la viande.
- Wachnou ?
- De la viande, oui. C'est très suédois...
- Ma3djoune avec de la viande ?!
- Ouais.
- Mais... C'est pire que les Anglais...
- Mmmh...
- Tu crois que Zlatan, il fait ça aussi ?
- Sais pas...
- Bessah, quand même, de la confiture avec de la viande, ça se fait pas !
- Mmmh...
- Tiens, sur internet, ils disent que ça se mange aussi avec une omelette. C'est pas possible ! Mhabel hadou...
- Aaah...
- Tu imagines, l'entretien de naturalisation en Suède ? "Êtes-vous intégrés ? Mangez-vous de la confiture d'airelles avec votre ragoût de renne ?"...
- Mmmh...
- De la viande à la confiture... Faut quand même pas exagérer... Ya des limites...
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Jean Baubérot et la dérive de la laïcité

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"Au nom de la laïcité, on augmente le taux de chômage des femmes musulmanes et on les met sous la coupe de leurs maris et frères (...) La laïcité, son fonds de commerce historique [du Parti socialiste], lui a échappé pour devenir le point fort de son pire adversaire : le FN"

Jean Baubérot, historien et sociologue, in Témoignage chrétien, Avril 2014.
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lundi 19 mai 2014

La chronique économique : A Dubaï, l’immobilier s’affole de nouveau

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 14 mai 2014
Akram Belkaïd, Paris

En novembre 2009 la bulle immobilière de Dubaï explosait, projetant l’émirat dans une grave crise financière dont il ne s’est dépêtré que grâce au sauvetage organisé par son riche voisin d’Abu Dhabi. On se souvient de cette époque où, quelques jours encore avant le krach, des appartements, encore sur plan, pouvaient changer de propriétaire plusieurs fois par semaine avec, à chaque transaction, des plus-values de 5 à 20%. On pensait depuis que la violence du choc provoqué par la dépréciation des actifs immobiliers servirait de leçon. On s’est trompé.

UNE BULLE GRANDISSANTE

Selon le cabinet spécialisé Jones Lang Lasalle, les prix du mètre carré dans la cité-Etat ont progressé de 22% en 2013 et ce taux devrait se maintenir autour de 10 à 15% en 2014. Dubaï connaît donc de nouveau une frénésie de projets de construction, qu’il s’agisse d’hôtels, de buildings d’habitations ou de bureaux. Plus important encore, en obtenant l’organisation de l’Exposition universelle de 2020, l’émirat a attiré l’attention de plusieurs spéculateurs persuadés qu’un boom économique se prépare, les autorités locales s’étant engagées à consacrer au moins 100 milliards de dollars pour moderniser les infrastructures.

Mais, on le sait, les arbres ne montent pas au ciel et les experts s’attendent tout de même à ce qu’une correction brutale des prix de la pierre intervienne en 2015 ou en 2016. Bien que conscients de ce possible retournement, les spéculateurs continuent de plus belle et la demande en logements neufs ne faiblit pas. De plus, un autre événement soutient la tendance haussière. En effet, la perspective d’une Coupe du monde de football au Qatar (à peine une heure en avion) en 2022 pousse de nombreux investisseurs à parier que les spectateurs occidentaux préféreront dormir à Dubaï plutôt qu’à Doha, ville moins cosmopolite et bien moins animée que la cité dubaïote.

D’où la hausse des projets hôteliers, chacun étant persuadé que les deux manifestations (Coupe du monde et Exposition universelle) convaincront les touristes étrangers de revenir dans la région.

Conscients des risques d’une aggravation de la bulle, les autorités de Dubaï ont déjà pris des mesures en doublant notamment la taxe immobilière en la faisant passer de 2 à 4%. De même, la Banque centrale des Emirats arabes unis a, sous la pression d’Abu Dhabi, décidé de durcir la réglementation concernant l’octroi de crédits immobiliers. Pour autant, le Fonds monétaire international (FMI) préconise des mesures encore plus vigoureuses comme par exemple le fait de porter la taxe immobilière à 30% en la rendant payable une année après la transaction. Une méthode adoptée avec succès par Singapour, le modèle asiatique dont s’inspire Dubaï. Reste à savoir si cela serait suffisant à endiguer la spéculation.

LA RANÇON DU SUCCÈS

On sait que les bulles obéissent à des phénomènes souvent irrationnels où la quête du gain facile balaie toute prudence. Mais dans le cas de Dubaï, il y a un élément particulier qui entre en jeu. En effet, dans une région marquée par les incertitudes politiques, l’émirat fait figure de havre de paix et de stabilité tout en étant paré des vertus de la réussite économique. Les experts et autres politologues pourront aisément contester les fondements de ce jugement mais toujours est-il que c’est une analyse très répandue, y compris chez les habitants des émirats voisins voire des autres monarchies du Conseil de coopération du Golfe. Pour tout ce monde, Dubaï est une réussite à part. En clair, la confiance et la perception d’un caractère unique de l’émirat sont aussi à l’origine de cette bulle naissante. En attendant de voir ce qui se passera le jour où la bulle éclatera…
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samedi 17 mai 2014

La chronique du blédard : Sami Nasri, Zaïr Kédadouche, le football, et le vrai racisme

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Le Quotidien d’Oran, jeudi 15 mai 2014
Akram Belkaïd, Paris

Parlons encore football mais pour la bonne cause… On connaît désormais la liste des vingt-trois joueurs français qui, sauf blessure, iront au Brésil pour disputer la Coupe du monde de football. Comme on s’y attendait, Sami Nasri, de père algérien, ne figurera pas dans le groupe malgré son excellente saison dans le championnat d’Angleterre. Le sélectionneur Didier Deschamps a été clair : quand il joue en équipe de France, le milieu de terrain de Manchester City n’est pas transcendant. Et quand il n’est pas sur le terrain, c’est-à-dire quand il est relégué sur le banc des remplaçants, il fait la tête ce qui a tendance à plomber l’atmosphère dans un monde déjà encombré par les égos hypertrophiés. D’autres personnes, à l’image de l’ancien sélectionneur Raymond Domenech, ajouteront aussi qu’il excelle à semer la zizanie entre ses camarades de jeu, ce qui n’est jamais bon quand on veut remporter une compétition.

Sitôt la nouvelle confirmée, les réseaux sociaux se sont emparés de l’affaire, la compagne du joueur contribuant à sa façon au débat avec deux tweets l’un insultant la France et Deschamps, l’autre, vite retiré, traitant l’Hexagone « de pays de racistes ». Du fait des origines de Nasri, il est clair que l’on ne pouvait pas échapper à cette accusation de racisme. De nombreux internautes d’origine maghrébine l’ont immédiatement reprise, oubliant un peu trop facilement que ce joueur est effectivement un « sale gosse » et que Laurent Blanc, l’ancien sélectionneur, et Didier Deschamps lui ont pourtant tous les deux donné sa chance avant de le regretter amèrement. Bien sûr, d’autres « bleus » sélectionnés sont aussi des têtes de cochon et on a le droit de penser qu’un vrai manager est celui qui arrive à créer un collectif soudé indépendamment du (mauvais) caractère des uns et des autres. Deschamps a peut-être estimé que cette tâche serait trop difficile pour lui. Ce faisant, il a d’ailleurs pris un risque. Que l’équipe de France réédite ses « exploits » de 2010 – elle avait été alors qualifiée de « pire équipe du monde » par la presse spécialisée – et il se trouvera bien quelqu’un pour lui reprocher d’avoir laissé Nasri à la maison.

Quoi qu’il en soit, toutes ces accusations de racisme ne tiennent pas la route. Certes, comme on l’entend souvent dire, Deschamps « est le genre de gars qui, dans un groupe de footballeur, est certainement le seul à aimer les chansons de Michel Sardou » mais de là à en faire un sympathisant de Marine Le Pen… Par contre, ce que l’on ne peut ignorer non plus c’est que nombre d’internautes se sont saisis de cette affaire pour déverser leur fiel à l’encontre des maghrébins, des musulmans, des subsahariens et, de façon générale, de tout ce qui ne peut prétendre, selon ces vrais tarés, au label « français de souche ». Les termes du débat sont donc faussés et l’hostilité à l’encontre de Nasri ne relève pas uniquement de son mauvais comportement qui est, on ne le répétera jamais assez, une norme assez répandue dans un milieu gangréné par l’argent.

Ce qui est dommage, c’est que tout ce bruit a fait passer au second plan une affaire qui mérite bien plus d’attention. Dans une lettre fracassante, Zaïr Kédadouche, ambassadeur de France en Andorre, a annoncé sa démission et son intention de porter plainte contre le Quai d’Orsay (le ministère français des Affaires étrangères) qu’il accuse de racisme à la fois ethnique et social. D’origine algérienne, né d’un père éboueur et d’une mère analphabète, l’homme a un parcours des plus atypiques. Ancien footballeur professionnel, il est passé par de nombreux ministères dont ceux de la Jeunesse et des sports ou de l’Intérieur et il est aussi Inspecteur général de l’Education depuis 2003. « C’est au ministère des Affaires étrangères que j’ai rencontré le racisme le plus abject et ressenti l’humiliation de ne pas faire partie de la même classe sociale » écrit celui qui s’est vu refuser un poste à Anvers au prétexte que son patronyme irriterait l’extrême-droite flamande et effraierait la communauté juive de cette ville… Zaïr Kédadouche a reconnu que d’autres postes lui ont été proposés mais affirme vouloir régler le problème du racisme au ministère des Affaires étrangères et se dit prêt à porter l’affaire auprès de la Cour européenne de justice.

Sans préjuger du fond de ce dossier, il est évident que cette histoire pose avec acuité la question, pas assez évoquée, du comportement des élites françaises à l’égard de ce que l’on appelle, par commodité de langage, les minorités visibles. La montée du Front national, la droitisation du discours d’une partie de la gauche et la récurrence d’actes xénophobes cachent mal le fait que l’intégration fonctionne vaille que vaille, y compris au sein des classes moyennes. Une promenade dans un centre commercial francilien un samedi après-midi le prouvera aisément. Les « Français » ce sont aussi ces familles d’origine étrangères qui déambulent d’une galerie à l’autre et qui, interrogés, ne voient pas leur avenir ailleurs qu’en France sauf à craindre un quelconque accident de l’Histoire que causerait un retour de l’Europe à ses vieux démons.

Par contre, la question de l’intégration, ou plutôt celle de l’acceptation, se pose encore de manière aigue chez les élites dirigeantes et cela à tous les niveaux. Haute administration, direction d’entreprises, monde politique : le plafond de verre existe bel et bien. De manière régulière, des hommes ou des femmes, d’origine étrangère et n’ayant pour seule arme que leur mérite et leurs compétences se fracassent contre ce blindage invisible. Et cette réalité est bien plus importante, et préoccupante, que le sort d’un millionnaire en short et crampons…
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vendredi 16 mai 2014

Lu dans Jeune Afrique (11 au 17 mai 2014), interview (sidérante) d'Abdoulaye Wade, ex-président du Sénégal

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Jeune Afrique : D'où viennent-ils ? [2,5 millions d'euros trouvés sur un compte au nom d'Abdoulaye Wade à Monaco]
Wade : Du roi Abdallah. C'était au début de ma présidence. J'étais allé en Arabie saoudite. Vous connaissez les pratiques africaines et arabes : quand on a un hôte, il faut lui offrir un cadeau. Le roi m'a donné 5 millions de dollars. Mais pour éviter toute confusion, j'ai donné cet argent à mon fils qui l'a placé. Une partie de l'argent est allée sur un compte à New York, puis à Monaco.


JA : Pourquoi ne pas avoir reversé ce don à l’État du Sénégal ?

Wade : Pour quelle raison aurais-je fait cela ? C'est à moi !


JA : Un autre « don » du roi Abdallah a mené l’un de vos proches, Aïdara Sylla, en prison en début de l’année dernière…
Wade : Je vais vous expliquer. Une fois que j’ai quitté le pouvoir, au mois de mars 2012, le roi Abdallah me fait téléphoner par celui qui sert d’interprète entre nous deux, et qui me dit : « Sa Majesté veut vous donner un cadeau. » J’y suis donc allé, et le roi m’a donné 10 millions de dollars. Sur cette somme, j’ai confié 4,5 millions d’euros à mon ami entrepreneur [Aïdara Sylla] pour qu’il règle des factures. Le problème, c’est qu’en rentrant au Sénégal il n’a pas déclaré le chèque, et on l’a envoyé en prison. Mais il n’y a aucun délit.

JA : Pourquoi le roi Abdallah est-il si généreux avec vous ?
Wade : Allez le lui demander. Nous sommes très amis, mais il fait autant ou plus pour d’autres chefs d’Etat, sauf qu’ils ne le disent pas, eux. Je ne l’aurais pas dit s’il n’y avait pas eu cette affaire.

(...)
JA : Aimez-vous l'argent ?
Wade : Oui, je suis un libéral.

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lundi 12 mai 2014

Conchita...

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Le Monde du jour (daté du 13 mai 2014) :

"La victoire du travesti [Conchita Wurst] au concours de l'Eurovision prend un relief politique face à la Russie de Vladimir Poutine"

Ah ça, oui... Parlez-en aux Ukrainiens, tiens... Sûr, que cela va changer les choses.

Voici soudainement le concours de l'Eurovision devenir une arme géopolitique...
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Rainbow in Paris

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photo : M.J Belkaïd

samedi 10 mai 2014

La chronique du blédard : Service de presse

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 8 mai 2014
Akram Belkaïd, Paris
 
1. Premier appel, mardi 29 avril :
- Bonjour madame. Je suis journaliste et je viens de terminer une note de lecture sur l'ouvrage de Mr B. 
- Ah, c'est super ! Mais c’est bizarre, je n’ai pas votre nom dans notre fichier presse. On vous l’avait envoyé ? Vous aviez demandé un service de presse ?
- Non. Je l’ai eu autrement. On va commencer à monter l’article en maquette. J’ai besoin de toute urgence d’une photo de l’auteur et de la couverture du livre en fichiers numériques.
- Je vous envoie ça tout de suite.
- Merci.
- Vous nous envoyez une copie de l’article ?
- Oui. Quand il sera publié.
- Oui, oui, bien sûr.

2. Deuxième appel, trois heures plus tard :
- Re-bonjour. Je viens de recevoir votre courriel. On a eu du mal à ouvrir le fichier mais ça devrait aller pour l'illustration de la couverture. Par contre, la photo de Mr B. est très très mauvaise. Il en faudrait une de plus grande taille et en haute définition.
- Ah, je ne sais pas... Franchement, je ne pense pas que nous en ayons une. Ça ne vous convient vraiment pas ?
- Non. D'ailleurs, c'est la seule qui circule sur internet. Elle est floue, on ne sait pas qui en est l'auteur.
- Effectivement, on l’a pêchée sur internet.
- Vous ne pouvez pas l’appeler et lui demander s’il en a une plus récente ? A la limite, un cliché pris avec un iphone suffirait. Il faut juste éviter que la photo ne soit floue.
- Ecoutez, pour tout vous dire, nous sommes un service de presse externalisé. Nous ne traitons pas en direct avec Mr B. Il faudrait peut-être contacter sa maison d'édition.
- D’accord. Vous avez un numéro à me donner ?
- Heu… En fait, ce n’est pas moi qui discute avec eux. Je pense qu’ils ont site internet. Allô ?
-…

3. Troisième appel, mercredi 30 avril :
- Bonjour madame. Je vous contacte en urgence parce que je suis journaliste et que je viens d'écrire une note de lecture sur l'ouvrage de Mr B.
- Ah, non, désolée ! Vous êtes vraiment au mauvais endroit. Le numéro de téléphone du service de presse est sur notre site internet.
- Attendez, ne raccrochez pas ! J’ai eu votre service de presse hier.
- Ce n’est pas le nôtre. C’est une structure externe.
- J’ai bien compris !
- Ah bon… Je vous disais ça parce que vous êtes journaliste.
- (soupir) Le journaliste que je suis est obligé de s’adresser à vous parce que votre service de presse, pardon, le service de presse externalisé n’a pas pu répondre à une demande concernant l’un de vos auteurs.
- Quelle demande ? S’il s’agit d’une interview, c’est vraiment eux qu’ils font contacter. Au besoin, insistez.
- Non, ce n’est pas une interview ! Nous sommes en bouclage et j’ai besoin de la photo de Mr B. en haute définition. Ce que votre sous-traitant ne semble pas être capable de me fournir…
- C’est pour quand ?
- Pour hier…
- (petit silence) Je ne sais pas quoi vous dire… Est-ce que vous pouvez rappeler dans une petite heure ou deux. Mon collègue sera rentré de déjeuner. Je pense qu’il pourra vous renseigner.

4. Quatrième appel. Deux heures trente plus tard :
- Re-bonjour madame.
- Oui, c’est pour quoi ?
- Je vous rappelle pour la photo de Mr B. Vous deviez me passer votre collègue.
- Ah, c’est vrai, je vous le passe.
(petit extrait du Printemps de Vivaldi)
- Allô ?
- Bonjour monsieur. On vous a expliqué la raison de mon appel ?
- Pas vraiment non. C’est pour un exemplaire presse, c’est ça ? On a un service extérieur qui s’en occupe.
- (hésitation du présent chroniqueur. Efforts surhumains pour stopper le cri et les blasphèmes venus du plus profond de la poitrine). Non, ce n’est pas ça. J’ai juste besoin d’une photo de Mr B. pour illustrer un article et votre boîte de com’ n’a pas été capable de m’en fournir.
- Et les agences de presse ?
- (hésitation puis soupir) Idem pour les agences de presse. Leurs photos sont trop anciennes. Elles datent de la fin des années 1980. De toutes les façons, je n’ai pas de budget pour acheter des photos d’auteurs. C’est pour ça, qu’en règle générale, on s’adresse à leurs éditeurs.
- Ah ouais… Bon, qu’est-ce que je peux faire pour vous ?
- Vous débrouiller pour trouver une photo en haute définition de votre auteur comme ça il sera bien content, et vous aussi, de lire une note de lecture sur son essai publiée dans un beau magazine !
- Ah ouaiais ! D’accord ! Oui, ça change tout. Le problème, c’est que son éditeur n’est pas là en ce moment. Il n’y a que lui qui a son téléphone. On peut effectivement essayer de l’attraper et de le photographier. Avec un Samsung Galaxy, c’est bon, non ?
- Oui, à condition que le fichier soit en haute définition. Il rentre quand ?
- Qui ?
- Votre collègue.
- Bah, après le 8 mai. Lundi 12 je pense ou mardi 13, je ne sais plus. Attendez, je vérifie.
(de nouveau Vivaldi, quelques bips puis une sonnerie à l’autre bout du combiné)
- Allô ?
- Oui, pardon madame, j’étais en communication avec quelqu’un de chez vous.
- Là, vous êtes au standard. Allô ? Allô ?
- …

5. Première sonnerie matinale, lundi 5 mai :
- Ça va ?
- Ça va…
- Dis donc, la page lecture est toujours au montage.
- Oui, il manque la photo.
- Faut appeler l’éditeur, non ?
- L’éditeur ou le service de presse externalisé ?
- Hein ?
- Non, rien, on s’en occupe…
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vendredi 9 mai 2014

Courbis, la pédagogie sportive et l'Algérie

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« A la fin d'une causerie avec les joueurs, je ne sais pas si j'ai été bon, ou pas, mais je sais si ce que j'avais à faire passer est rentré ou si c'est entré par ici et ressorti par l'autre côté. Je ne peux pas l'expliquer. A la mi-temps, c'est pareil. En Algérie, ils ont une phrase, que j'ai trouvée intéressante : "La première mi-temps, ce sont les joueurs et l'entraîneur. La deuxième mi-temps, c'est l'entraîneur et les supporters". A méditer ».

Roland Courbis, L'Equipe, 09 mai 2014
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mercredi 7 mai 2014

Vu dans le métro ou programme d'instruction religieuse

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DR

Donc, d'abord, tu vas faire un tour à l'exposition. Ensuite, tu lis le livre d'Halter. Enfin, si ça te va, on t'envoie à Al-Azhar, ok ?
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La chronique économique : Un traité transatlantique bien mystérieux

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 30 avril 2014
Akram Belkaïd, Paris

En Europe, et bien plus qu’aux Etats-Unis, c’est la grande affaire du moment. La négociation, tenue secrète, du traité de libre-échange transatlantique alimente les rumeurs les plus folles et fait renaître, chez les Européens, un fort sentiment antiaméricain. Il faut dire que la portée de cet accord, dont les promoteurs espèrent qu’il sera adopté en 2015, risque d’être immense. En effet, cela peut conduire au bouleversement des équilibres commerciaux et financiers dont la matrice a été forgée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Baisse des barrières douanières

Cela fait au moins dix ans que ce traité est en négociation et, à chaque fois, le processus a été interrompu du fait des Européens, plus exactement du fait d’un Parlement alerté par la société civile ou, plus rarement, de la Commission après la pression d’Etats membres. Cette fois-ci, et pour parer à toute contestation lors des discussions, la Commission de Bruxelles qui négocie au nom des Vingt-huit préfère garder le secret. Officiellement, il s’agit de ne pas dévoiler ses cartes à la partie adverse mais, on le devinera aisément, c’est surtout pour éviter que telle ONG ou tel parti europhobe ne s’empare d’un point particulier des négociations pour faire capoter le projet.

Cette absence de transparence – bien plus importante que lors des différents rounds de l’Organisation du commerce mondiale (OMC) – avive la colère de nombreux citoyens européens qui y voient une offense à la démocratie. Il faut dire aussi que le comportement quelque peu arrogant de certains négociateurs de la Commission n’arrange pas les choses, ces derniers oubliant parfois qu’ils sont au service des peuples de l’Union et non pas les représentants d’une entité autonome.

Dans le détail, le futur Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI ou Transatlantic trade and investment partnership, ou TTIP, en anglais) devrait respectivement contribuer à abolir les barrières douanières entre les deux zones, à faire converger les législations et à harmoniser les normes. Pour ses défenseurs, les gains seraient immenses : un marché de 820 millions de consommateurs, des gains de 100 milliards de dollars pour les deux économies et la création de 2 millions d’emplois. A vrai dire, il est encore trop tôt pour vérifier ces arguments promotionnels. En effet, il faudra attendre le détail de l’accord et faire tourner les modèles de simulation pour évaluer l’impact réel du PTCI.

Mais une chose est certaine. En l’absence d’un contrôle parlementaire rigoureux, le risque est grand de voir « l’harmonisation des normes » se transformer en suppression des barrières sociales et sanitaires qui existent en Europe. Interdiction des OGM et de la viande aux hormones, principe de précaution, exception culturelle, tout cela est susceptible d’être remis en cause, de manière directe ou indirecte, même si les négociateurs de la Commission affirment que l’accord respectera l’acquis européen et les législations nationales. Des promesses qui ne rassurent pas grand-monde et cette défiance risque fort d’influencer le résultat des élections européennes du 25 mai prochain. Ayant déjà le vent en poupe, les mouvements eurosceptiques et xénophobes pourraient ainsi en tirer un gain électoral important.

Mise au pas de l’Europe ?


Sur le plan géopolitique, cet accord, s’il est adopté, aura une autre signification. Pour nombre d’experts, peu suspects d’antiaméricanisme primaire, il signifiera que l’Europe rentre dans le rang et abandonne toute idée d’autonomie économique vis-à-vis des Etats-Unis. Cela voudra dire aussi que le vieux Continent se range derrière la bannière étoilée dans le bras de fer actuel entre l’Amérique et la Chine. Reste une question fondamentale à laquelle les eurosceptiques et adversaires du PTCI n’ont pas de réponse : dans le grand match annoncé de la globalisation du XXIème siècle, l’Europe peut-elle vraiment s’en sortir seule 
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lundi 5 mai 2014

Lecture : Thomas Piketty : Plaidoyer pour un impôt mondial

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Afrique Méditerranée Business, novembre 2013
Akram Belkaïd, Paris

L’économiste français s’inquiète de l’aggravation des inégalités de revenus dans le monde et préconise de taxer plus fortement le capital.

Très connu aux Etats-Unis pour ses travaux sur les inégalités et les écarts de richesse, Thomas Piketty est un expert influent auprès de la gauche française, à commencer par le président François Hollande qui l’a consulté sur les questions fiscales et sur le dossier épineux de la réforme des retraites (sans toutefois retenir ses propositions) . Aussi, lorsque cet économiste de 42 ans publie une somme d’économie politique de plus de 600 pages sur son thème de prédilection, c’est un événement qui ne laisse personne indifférent à droite comme à gauche (*). 

Certes, exigences académiques obligent, le livre est dense et truffé de données chiffrées, ce qui rend souvent la lecture ardue et l’on peut être vite tenté de sauter aux chapitres où sont formulées les préconisations de l’auteur.

Il n’empêche. Cet ouvrage fera certainement date et devrait inspirer des approches économiques novatrices pour réduire les inégalités, notamment de revenus. Le constat de départ de ce travail mobilise la littérature en faisant écho aux romans de Balzac ou même de Zola. Pour le chercheur, ce début de XXIe siècle ressemblerait à s’y méprendre à la fin du XIXe siècle sur au moins un point : l’importance des déséquilibres sociaux et la place prépondérante des rentiers dans la possession des richesses. L’ouvrage est d’ailleurs porteur d’une mise en garde majeure : dans la perspective d’un maintien d’une croissance molle pour les prochaines années dans les pays développés, les inégalités risquent fort de s’aggraver.

La raison en est simple ; dans un environnement où les taux d’intérêt sont supérieurs au taux de croissance du PIB, mieux vaut être un rentier en capital qu’un salarié. En clair, dans les décennies à venir, et à moins d’un retournement spectaculaire de la conjoncture macroéconomique, l’héritage comptera plus que le travail (et donc le mérite).
Comment endiguer cette tendance porteuse de graves déséquilibres sociaux et donc
in fine politiques ? L’économiste plaide pour la mise en place d’une approche sociale globalisée consistant en un impôt mondial sur le capital.

Cette mesure destinée à réguler l’accumulation et à favoriser, par la redistribution, la cohésion sociale permettrait un contrôle accru sur le fonctionnement des circuits financiers, aujourd’hui en grande partie opaques et échappant aux réglementations des États.

On l’aura compris, l’idée d’un tel impôt fait écho à la fameuse taxe Tobin que le mouvement altermondialiste tente en vain d’imposer à l’échelle planétaire depuis quinze ans. De même, cela montre que toute une école de pensée économique réservée à l’égard des excès du capitalisme considère toujours la fiscalité comme un précieux outil de justice et de cohésion sociales. Mais, une fois la lecture terminée, on ne peut s’empêcher de se dire que la mise en place d’un impôt mondial sur le capital relève, pour l’instant, de l’utopie.


(*) Le Capital au XXIe siècle, Thomas Piketty, Seuil. Traduit en anglais, c'est aux États-Unis, et bien plus qu'en France ou en Europe que l'ouvrage a reçu le meilleur accueil en faisant même partie des meilleurs ventes.
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Élévation

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