Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mardi 21 octobre 2014

Un bouclage avec Christophe de Margerie

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Souvenir en hommage d'un grand patron atypique décédé aujourd'hui.

Début 2008. Je suis journaliste à La Tribune, quotidien économique et financier. A l'époque, ses locaux étaient rue Vivienne, à deux pas du palais de la Bourse. Ce dimanche-là, c'était une permanence pas comme les autres. La direction du journal avait imaginé un dispositif destiné à faire parler du journal. L'idée était simple : de grands patrons de sociétés du CAC40 en étaient les principaux rédacteurs pour l'édition du lundi. Et pour faire les choses au mieux, chacun d'entre-eux bénéficiait de l'aide d'un "coach", comprendre un journaliste de la maison. C'est ainsi que l'on m'a désigné pour être celui de Christophe de Margerie. Ce fut une journée mémorable, émaillée de nombreux fous rires, le caractère iconoclaste du dirigeant de Total étant tout sauf une légende. Après de longues considérations sur les temples japonais (mon fond d'écran représentait la cour de l'un deux, ce qui avait été le déclencheur de la conversation) et sur le développement des musées dans le Golfe, nous avons réfléchi à son "papier". Il a choisi pour thème de son article, la manière dont les fonds souverains étaient (trop mal) perçus en Europe et plus particulièrement en France. L'actualité nous rendait service puisqu'une statistique venait d'être publiée estimant que ces fonds pesaient déjà plus de 2000 milliards d'actifs. Christophe de Margerie voulait développer l'idée que ces fonds étaient une aubaine pour les économies européennes et qu'il était inadmissible qu'ils soient autant critiqués et attaqués. Pour mémoire, Total négociait alors l'ouverture d'une partie de son capital à des investisseurs du Golfe.

Voici, de mémoire, deux de nos échanges :

- Christophe de Margerie : Bon, c'est vous qui tapez, hein ? Moi, je déteste ces appareils.
- Moi : Vous n'aimez pas la nouvelle économie ?
- CdM : Si, mais je préfère le réel. Le pétrole, le gaz, l'énergie, c'est du concret.
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- Moi : Bon, le papier est terminé. On a les chiffres et les faits. Maintenant, il faut des 'quotes'
- Christophe de Margerie : Des quoi ?
- M : Des citations. Un avis d'une ou plusieurs personnes qui ont une légitimité pour s'exprimer sur le sujet.
- CdM : Bien ! On peut dire que le patron de Total pense que les fonds souverains sont une vraie chance pour les entreprises occidentales à la recherche de capital stable de long-terme.
- M : On ne peut pas faire ça !
- CdM : Et pourquoi donc ?
- M : Vous ne pouvez pas être le rédacteur du papier et en être une source citée : ça ne se fait pas.
- CdM : Ah... Et bien, on n'a qu'à utiliser vos formules habituelles.
- M : C'est à dire ?
- CdM : Un truc du genre "de source proche du dossier"...
- M : Ok. On va dire "un spécialiste du dossier".
Pour la petite histoire, cette formule n'a pas échappé à Pascal Aubert, le directeur adjoint de la rédaction qui, après avoir relu le papier, est venu s'assurer si le spécialiste en question n'était pas Christophe de Margerie lui-même. Et ce dernier de me pousser du coude, les yeux rieurs : "on s'est fait attraper, hein ?".
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