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mercredi 7 mai 2014

La chronique économique : Un traité transatlantique bien mystérieux

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 30 avril 2014
Akram Belkaïd, Paris

En Europe, et bien plus qu’aux Etats-Unis, c’est la grande affaire du moment. La négociation, tenue secrète, du traité de libre-échange transatlantique alimente les rumeurs les plus folles et fait renaître, chez les Européens, un fort sentiment antiaméricain. Il faut dire que la portée de cet accord, dont les promoteurs espèrent qu’il sera adopté en 2015, risque d’être immense. En effet, cela peut conduire au bouleversement des équilibres commerciaux et financiers dont la matrice a été forgée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Baisse des barrières douanières

Cela fait au moins dix ans que ce traité est en négociation et, à chaque fois, le processus a été interrompu du fait des Européens, plus exactement du fait d’un Parlement alerté par la société civile ou, plus rarement, de la Commission après la pression d’Etats membres. Cette fois-ci, et pour parer à toute contestation lors des discussions, la Commission de Bruxelles qui négocie au nom des Vingt-huit préfère garder le secret. Officiellement, il s’agit de ne pas dévoiler ses cartes à la partie adverse mais, on le devinera aisément, c’est surtout pour éviter que telle ONG ou tel parti europhobe ne s’empare d’un point particulier des négociations pour faire capoter le projet.

Cette absence de transparence – bien plus importante que lors des différents rounds de l’Organisation du commerce mondiale (OMC) – avive la colère de nombreux citoyens européens qui y voient une offense à la démocratie. Il faut dire aussi que le comportement quelque peu arrogant de certains négociateurs de la Commission n’arrange pas les choses, ces derniers oubliant parfois qu’ils sont au service des peuples de l’Union et non pas les représentants d’une entité autonome.

Dans le détail, le futur Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI ou Transatlantic trade and investment partnership, ou TTIP, en anglais) devrait respectivement contribuer à abolir les barrières douanières entre les deux zones, à faire converger les législations et à harmoniser les normes. Pour ses défenseurs, les gains seraient immenses : un marché de 820 millions de consommateurs, des gains de 100 milliards de dollars pour les deux économies et la création de 2 millions d’emplois. A vrai dire, il est encore trop tôt pour vérifier ces arguments promotionnels. En effet, il faudra attendre le détail de l’accord et faire tourner les modèles de simulation pour évaluer l’impact réel du PTCI.

Mais une chose est certaine. En l’absence d’un contrôle parlementaire rigoureux, le risque est grand de voir « l’harmonisation des normes » se transformer en suppression des barrières sociales et sanitaires qui existent en Europe. Interdiction des OGM et de la viande aux hormones, principe de précaution, exception culturelle, tout cela est susceptible d’être remis en cause, de manière directe ou indirecte, même si les négociateurs de la Commission affirment que l’accord respectera l’acquis européen et les législations nationales. Des promesses qui ne rassurent pas grand-monde et cette défiance risque fort d’influencer le résultat des élections européennes du 25 mai prochain. Ayant déjà le vent en poupe, les mouvements eurosceptiques et xénophobes pourraient ainsi en tirer un gain électoral important.

Mise au pas de l’Europe ?


Sur le plan géopolitique, cet accord, s’il est adopté, aura une autre signification. Pour nombre d’experts, peu suspects d’antiaméricanisme primaire, il signifiera que l’Europe rentre dans le rang et abandonne toute idée d’autonomie économique vis-à-vis des Etats-Unis. Cela voudra dire aussi que le vieux Continent se range derrière la bannière étoilée dans le bras de fer actuel entre l’Amérique et la Chine. Reste une question fondamentale à laquelle les eurosceptiques et adversaires du PTCI n’ont pas de réponse : dans le grand match annoncé de la globalisation du XXIème siècle, l’Europe peut-elle vraiment s’en sortir seule 
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