Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

dimanche 6 avril 2014

La chronique du blédard : DZombie

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 3 avril 2014
Akram Belkaïd, Paris

On parle beaucoup de morts-vivants en ce moment et pas seulement parce que notre gloire nationale, notre Danube, pardon, notre Mazafran de la littérature planétaire, Yasmina Khadra, a qualifié, dans les colonnes du Journal du Dimanche (1), le régime algérien de « zombie » (ce qui est une manière élégante de remercier le dit régime de lui avoir offert un beau poste à l’étranger, rémunéré en devises fortes, mais ceci est une autre histoire…). Reprenons. Des zombies donc. Il y a quelques semaines, l’hebdomadaire Courrier international a publié la traduction d’un article du Wall Street Journal (WSJ) où il est question de l’étrange engouement que connaît le monde universitaire américain pour ces créatures revenues d’entre les morts pour s’attaquer aux vivants (2).

« Il est manifestement acceptable aujourd’hui d’étudier avec sérieux les zombies » a ainsi déclaré Kyle William Bishop, directeur du département d’anglais de l’université orientale de l’Utah et lui-même auteur d’une thèse ( !) sur le sujet. A croire le WSJ, il existerait aujourd’hui « une horde d’universitaires fascinés par l’histoire culturelle et la métaphore représentant les morts-vivants ». Et l’attrait pour ce thème est d’autant plus fort que ce dernier est omniprésent. Littérature, cinéma, séries télévisées, jeux informatiques : le zombie est une valeur sûre comme en témoignent le succès d’un film comme « World War Z » ou de la série « The Walking Dead ».

On peut en sourire mais cet engouement des universitaires proclamés « zombiologues » est dérangeant à plus d’un titre. Le quotidien des affaires étasunien rapporte que des enseignants s’inquiètent du fait que cela pourrait inciter les étudiants à « se détourner des classiques ». Il est vrai qu’entre Shakespeare et « The Walking Dead », le choix d’une recherche ou d’une dissertation menée par un post-adolescent (ou un adulescent) risque fortement de privilégier l’aspect ludique. D’ailleurs, ce n’est pas propre qu’aux zombies puisqu’il est de bon ton aujourd’hui pour les chercheurs de s’intéresser avec sérieux aux séries télévisées, « The Wire » et « Game of Thrones » arrivant en tête des publications et colloques.

L’autre élément qui intrigue est que les défenseurs des études en « zombiologie » affirment que cette thématique a alimenté « une mythologie très importante, qui traite spécifiquement de l’esclavage ». Le Wall Street Journal cite d’ailleurs un ouvrage, « le zombie transatlantique : esclavage, rébellion et morts-vivants », qui montrerait comment « les zombies ont fini par incarner les luttes contre l’esclavage et le colonialisme ». Thèse intéressante, qui mérite d’être signalée en attendant d’être lue et qui interpellera certainement celles et ceux qui vivent en situation de domination.

Mais revenons à l’usage du terme zombie. Il y a quelques années, l’économiste australien John Quiggin a publié un ouvrage intitulé « Zombie Economics » où il était question des idées économiques qui aurait dû mourir d’elles-mêmes tant elles étaient discréditées mais qui continuent pourtant d’exister encore et qui dominent toujours le débat et les stratégies politiques. Parmi elles, il y a l’idée que les marchés financiers sont toujours efficients (on l’a bien vu en 2008…), celle que l’indépendance des Banques centrales empêche toute dérive (comme en 2008…) ou celle selon laquelle les politiques fiscales en faveur des plus riches favorisent toujours l’emploi (mais où est passé le bouclier fiscal de Sarkozy ?). Conclusion de Quiggin : ces idées disqualifiées sont très difficiles à tuer. Tout comme les zombie dont la quasi-invulnérabilité offre d’infinies possibilités aux scénaristes.

Pour terminer ce tour d’horizon, et comme il y a longtemps que cette chronique n’a pas traité de football (à la grande satisfaction de nombre de ses lectrices et lecteurs), on signalera donc la sortie sur les écrans de « Goal of the dead », une « comédie d’horreur » française où il est question d’une équipe modeste et de son public qui se transforment en zombies juste avant une rencontre avec la grande équipe de Paris. Dérision et clin d’œil garantis.

Mais reprenons notre sérieux. Toute cette réflexion à propos des zombies ne peut que nous ramener à parler de l’Algérie. En 2001, l’un des slogans des jeunes manifestants du printemps kabyle était : « vous ne pouvez pas nous tuer, nous sommes déjà morts ». Des mots tragiques qui mettaient en exergue la désespérance d’une jeunesse en sursis et privée d’une « vraie » vie. Pourtant, il n’est pas possible de la traiter de zombie. Le terme est trop négatif, trop connoté. Finalement, notre Medjerda de la scribouille n’a pas tort : s’il faut parler de zombie, c’est bien en référence au régime algérien. Pas simplement parce qu’il entend maintenir un homme très malade à la tête de l’Etat mais parce qu’il est malfaisant, qu’il est l’ennemi de la vie de son peuple, qu’il semble des plus difficiles à déloger et, qu’in fine, il n’a aucune perspective. Voilà pourquoi les zombiologues de tous poils devraient laisser tomber l’étude de « The Walking Dead » et converger en masse vers l’Algérie. Ils y trouveront une matière abondante et de quoi publier moult thèses et papiers savants.

(1) « Le régime algérien est un zombie », propos recueillis par François Clemenceau, 29 mars 2014.
(2) « Zombie Studies Gain Ground on College Campuses », Erica E. Phillips, 3 mars 2014.
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