Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

jeudi 20 février 2014

La chronique du blédard : Algérie, constater l’échec (et l’admettre) avant de se relever...

Le Quotidien d'Oran, jeudi 20 février 2014​
Akram Belkaïd, Paris

DRS vs état-major, Saïdani vs le général Mediène, Toufik vs Saïd… Depuis quelques semaines, l’Algérie semble être prise par une frénésie pipolo-politique ou, c’est peut-être plus le cas, pipeau-politique. Par voie de presse, on s’invective, on lance des accusations sur les mœurs des uns, sur les méfaits des autres et tout cela alimente une atmosphère des plus putrides dans un contexte national mais surtout régional des plus incertains. A l’étranger, nombre d’observateurs résument ce qui se passe par une analyse binaire et efficace sur le plan médiatique : d’un côté le clan présidentiel, de l’autre le DRS. C’est peut-être le cas. C’est sûrement le cas. A vrai dire, le présent chroniqueur s’en tape. Qu’on lui pardonne cet accès de trivialité, mais il s’en contrefout. L’un ou l’autre… Ki sidi, ki lalla… 

La vérité, celle qui compte le plus, c’est que nous sommes confrontés aujourd’hui à une situation d’urgence structurelle et vitale pour l’avenir du pays. Et le problème, celui qui, là aussi, compte le plus, est que ceux qui prétendent diriger el-bled sont embringués dans une sordide querelle qui rappelle ces bagarres entre fortes têtes du quartier où la prudence la plus élémentaire commandait de ne prendre parti pour personne.

Dans un pays bien dirigé (à dessein, on n’emploiera pas le terme de « normal »), avec des institutions qui fonctionnent et une classe politique qui joue son rôle, la perspective du scrutin présidentiel devrait être l’occasion d’un état des lieux et d’un débat contradictoire sur les solutions à mettre en place pour l’avenir. Mais, encore faudrait-il accepter l’idée de regarder l’état de l’Algérie avec objectivité, sans chauvinisme mal placé et en acceptant de se confronter avec une réalité qui peut infliger quelques blessures à notre orgueil et à notre amour-propre, tous deux façonnés par des années de grandiloquence et de discours nationalistes. 

Même lorsqu’ils critiquent avec virulence le système, de nombreux Algériens réfutent l’idée que leur pays est en situation d’échec. Ils veulent encore croire que sa situation reste enviable, jalousée par ses voisins, proches ou lointain. Le présent texte ne prétend pas faire le bilan du pays plus de cinquante ans après l’indépendance mais son auteur assume le propos qui suit : l’Algérie est en état d’échec pour ne pas dire de déshérence. On peut se raconter toutes les histoires que l’on veut, on peut faire taire ceux qui, de l’extérieur, sont prompts à donner des leçons (le présent chroniqueur en fait certainement partie). Mais la réalité est ce qu’elle est : alors que le monde bouge, alors que des dynamiques exceptionnelles sont en marche dans le sud, l’Algérie n’avance pas. Elle est en retard en matière d’infrastructures, de développement économique, d’industrie, de recherche et d’innovation, de gestion optimisée de ses finances dans la perspective de l’après-pétrole, de formation de son capital humain et, de façon plus générale, de fonctionnement effectif et réel de ses institutions. 

Ecrire cela. Le dire. Ce n’est pas trahir son pays. Ce n’est pas le détester. Au contraire, c’est appeler à cette nécessaire clairvoyance pour faire face aux défis. On ne sort pas d’une crise profonde en la niant. On ne remplace pas les solutions possibles, souvent difficiles, par le discours et le fantasme d’une grandeur passée. L’Algérie a un besoin urgent de réformes positives (l’emploi du terme « structurelles » étant désormais trop lié aux dégâts engendrés par les politiques imposées par le FMI et la Banque mondiale). Elle a besoin d’un débat national basé sur l’idée que trop de choses vont mal et qu’il faut les corriger. Elle a un besoin d’un rééquilibrage des pouvoirs où l’Algérien passerait du statut d’élément neutre (au sens mathématique du terme) à celui de citoyen responsable et engagé.

Il y a quelques jours, la presse nationale a rapporté les propos d’un officiel pour qui Alger était en passe de devenir une place financière d’envergure... Voilà exactement le genre de délire qui nous fait vivre dans un décor factice à l’image, comme me l’a fait remarquer mon confrère K. Sélim, d’une matrice comparable à celle de la fameuse trilogie cinématographique. Un décor où le virtuel est imposé à des humains qui n’ont même pas conscience d’eux-mêmes. Alger, place financière d’envergure… Yakhi hala… Dans un pays où il est pratiquement impossible de payer par chèque. Où des milliards de dinars circulent de la main à la main sans jamais être recyclés ou, pour reprendre un vocabulaire à la fois technique et sanitaire, sans jamais être stérilisés. Où les opérateurs économiques se débattent dans des difficultés incroyables pour se financer ou pour mener leurs opérations de commerce extérieur. Comment ose-t-on parler de place financière ? Dubaï, Kuala Lumpur mais aussi Lagos, Accra ou Johannesburg et même Casablanca sont de vraies places financières émergentes. Nous sommes loin derrière. Ce n’est pas grave si on décide qu’il est temps que cela cesse. Ceux qui font du sport, ceux qui ont raté un premier trimestre, ceux qui ont pris leur temps dans les études ou la vie savent qu’il n’y a rien de plus grisant que de faire une remontée et de se dire que, rang après rang, on va y arriver et que l’on va fondre sur les premiers. 

Dans ces colonnes, le prédiction qui suit a souvent été formulée mais il semble nécessaire d’y revenir une nouvelle fois : le temps presse. L’Algérie n’aura bientôt plus les moyens de vivoter et d’improviser comme elle le fait depuis au moins trois décennies. Il ne faut pas se laisser abuser par le confort artificiel offert par la rente gazo-pétrolière, cette drogue qui permet d’échapper à la réalité et de se fabriquer de fausses réussites. A défaut d’un sursaut auquel seraient conviés les Algériennes et les Algériens, dans un cadre politique ouvert, et dans le respect des droits de la personne humaine, une nouvelle catastrophe se profile. Elle sera plus terrible que celle des années 1990. Ceux qui dirigent actuellement le pays, présidence et son entourage, DRS, FLN et autres cercles plus ou moins identifiés, ne peuvent l’ignorer. Il est temps pour eux de faire acte de raison et d’accepter l’idée que les choses doivent enfin changer. A moins qu’ils ne considèrent qu’après eux peut venir le déluge. 
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1 commentaire:

Anonyme a dit…

"un sursaut auquel seraient conviés les Algériennes et les Algériens, dans un cadre politique ouvert, et dans le respect des droits de la personne humaine"

Si les actuels gouvernants n'avaient pas rendu cette utopique alternative impossible, la question de leur maintien à la tête migraineuse de ce pays ne se poserait pas.