Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

dimanche 28 juillet 2013

La chronique du blédard : Père-moniteur au bord de la crise de nerfs

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 25 juillet 2013
Akram Belkaïd, Paris

Dis-donc toi, viens par ici ! Qu’est-ce que je t’ai dit hier, hein ? Tu t’en souviens pas... Je t’ai expliqué qu’il fallait enlever ton bermuda en haut des escaliers, avant même de mettre le pied sur la plage. Regarde ! Maintenant, il est complètement mouillé et plein de sable. Allez, va vite le rincer et ne me le ramène pas avec des algues, d’accord ? Je vais l’étendre. J’espère pour toi qu’il va sécher d’ici tout à l’heure sinon tu te baladeras en maillot en ville. Allez, vas-y !

Et toi, tu attends quoi pour aller me chercher de l’eau ? Bah oui, de l’eau ! Pour mouiller le sable et creuser un trou. Parce qu’au cas où tu ne le saurais pas, pour planter le parasol, on a besoin de ficher le piquet. Hé oui, on n’a pas encore inventé le parasol automatique connecté à internet, mais ça viendra… Allez, prends le seau jaune et va vider la mer. Comme ça, quand le soleil va taper fort, tu pourras venir t’allonger à l’ombre et en profiter pour mettre le bazar dans les serviettes. Hé, fais pas cette tête, je plaisante… Non, non, tu es gentille, c’est à moi de planter le parasol. J’ai pas envie de le voir s’envoler comme hier.

Mais m…, tu vois bien que les serviettes sont dépliées ! Mais pourquoi tu marches dessus alors ? Faut faire attention ! Bien sûr qu’il y a du sable partout, mais c’est pas une raison pour en rajouter. Allez, dégagez tous d’ici. Entrez dans l’eau et mouillez-vous la tête. Et interdiction de revenir ici avant vingt minutes.  Quoi les crèmes ? Vous n’avez qu’à vous en mettre tous seuls. J’en en assez de jouer au peintre. Prenez les aérosols et que chacun en applique à l’autre. Et revenez ici pour que je vous inspecte. Non ! Vous allez vous en mettre, un point c’est tout. Le soleil va cogner dur aujourd’hui. Sinon, je vais encore avoir droit à vos jérémiades : j’ai un coup de soleil ici, j’ai mal là, me touche pas l’épaule… Allez, allez, on s’active.

Ouais, quoi encore ? J’ai eu droit à mon quart d’heure de paix, c’est ça ? Il n’y a pas de vagues et alors ? Non, s’il n’y en n’a pas ici, il n’y en aura pas ailleurs. C’est pas moi qui les fabrique, ces vagues. De toutes les façons, il est trop tôt. Il y en aura dans une heure ou deux, quand le vent va se lever. Bah, en attendant, trouvez autre chose. Allez voir s’il y a des méduses du côté des rochers. Je ne sais pas moi, faites un château de sable. Et pourquoi vous ne jouez pas au beach ? Il y a trois raquettes qui sont encore intactes. Oui, la quatrième, vous l’avez cassée. Je vous ai dit cent fois de ne pas les jeter dans l’eau, c’est comme ça qu’elles s’abiment. Oui ! C’est fait pour jouer sur la plage, pas pour être jeté dans l’eau.

Vous voulez déjà manger ? Il y a de l’eau, du jus, des gaufrettes et des biscuits salés. Mais, bon. Soyez juste un peu discrets. Pas la peine de donner envie aux gens. Pourquoi ? Parce que c’est le ramadan, je vous rappelle. Nooonnn ! On ne mange pas avec les mains pleines de sables. On se rince d’abord, on remplit le seau jaune, on revient, on rince ses pieds, on s’assied sur la natte sans remettre les mains au sol et on mange discrètement. Bon, je vais aller me dégourdir les jambes. Non, personne ne vient avec moi ! Vous restez sages et faites attention aux affaires. Et gardez la natte propre.

Mais… c’est quoi ça !? Je vous ai demandé d’être discrets mais pas de manger en se cachant sous la serviette ! On dirait une burqa à trois têtes ! Allez, c’est juste qu’il faut respecter les gens qui jeûnent et pas se transformer en épouvantails qui mastiquent. Tiens, vous voyez la dame voilée sous le parasol. Ça fait trois heures qu’elle est là sans boire. En vous voyant le faire, elle peut se sentir mal. C’est déjà arrivé. Comment ça, on essaie ? Mais ça va pas ? Non, ça ne m’amuse pas ! Allez, finissez ce goûter et allez nager. Mais, non, il n’y a aucun risque. C’est ça, on ne dira rien à vos mères… Dans l’eau, j’ai dit !

Mais qu’est-ce qui se passe ? Une guêpe ? Et alors, c’est pas la peine de crier comme ça ! Tu viens de réveiller toute la plage ! Tiens, tout le monde nous regarde. Ils se paient notre tronche. Une guêpe, t’es sûre ? Elle t’a piquée ? Non ? C’est déjà ça. C’est parce que vous n’avez pas jeté les packs de jus dans la poubelle. Forcément, le sucre, ça attire ces bestioles. La prochaine fois, il ne faut pas hurler comme ça. Un geste de la main, et c’est réglé, d’accord ? Yakhi tbahdila yakhi !

Et ta cousine, pourquoi elle boude ? Vous vous êtes encore moqués d’elle ? C’est pas gentil. Non, vous gardez vos histoires pour vous. Ça ne m’intéresse pas de savoir qui a commencé. Allez, appelle ton frère et faites la paix avec elle. Tiens, regarde, il commence à y avoir des vagues. Non ! Non et Non ! Vous ne nagez pas jusqu’à la bouée, il y a du courant ! Vous ne dépassez pas les rochers, c’est compris. Et je vais vous surveiller. Si je siffle, ça voudra dire retour immédiat à la maison, compris ?

Quoi encore ? Attend, avant que tu m’expliques, je vais te dire une chose. Juste après qu’on soit arrivé, je me suis installé en me disant que j’allais passer un bon moment. Que j’allais pouvoir lire quelques dizaines de pages. Mais là, j’en suis encore à la page vingt. Comme hier… Et je suis sûr que demain, j’en serai au même point. Ça te fait rire ? Et tu riras aussi si je décide qu’il n’y aura pas de plage demain ? J’ai l’air de plaisanter ? Bon, qu’est-ce que tu voulais me dire ? Comment ça, il y a trop de vagues ?
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jeudi 25 juillet 2013

Le Golfe par ses mots : Publication dans Le Monde diplomatique d'août 2013

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Le Golfe par ses mots

par Akram Belkaïd, août 2013
              
Aperçu
En avril 2013, lors d’une conférence sur l’énergie organisée à Doha, au Qatar, l’un des intervenants, un officiel qatari, commence et conclut son intervention en anglais — la lingua franca dans le Golfe — en rendant hommage à la « vision éclairée » de son émir. Dans la salle, journalistes et universitaires échangent clins d’œil et sourires entendus. Habitués de ce genre de manifestations, certains ont même parié sur le nombre de fois où serait prononcée l’expression « the vision ». Il faut dire qu’elle est devenue omniprésente dans toutes les monarchies pétrolières ou gazières du golfe Arabo-Persique. Que ce soit lors d’un colloque, dans un document officiel ou dans une simple plaquette touristique, il faut célébrer la « vijieune » — exigez l’accent — de Son Altesse royale, ou plutôt, en forçant un peu le trait, de « Son Altessissime des cieux très élevés ».

Au-delà de l’obséquiosité dont il témoigne, pareil propos résume l’image que les monarques et leur cour tentent de projeter à l’extérieur. Ainsi, il faut donc savoir que le roi, l’émir ou le sultan a eu un jour une vision, personnelle cela va sans dire, quant à la manière de développer son pays. « A strategic vision », une vision stratégique, bien sûr, et non un caprice de nouveau riche.
Les gratte-ciel de Dubaï, les villes nouvelles d’Arabie saoudite, les ports du sultanat d’Oman, la diversification de l’économie d’Abou Dhabi pour sortir du tout-pétrole, l’activisme du Qatar sur tous les fronts de la planète, les hôtels fantasmagoriques que la presse anglo-saxonne qualifie d’« al-bling-bling », les compagnies aériennes (Emirates, Etihad Airways, Qatar Airways, Oman Air…) qui dament le pion à leurs concurrentes européennes. les fantaisies touristiques : tout cela relèverait de la « vision » cohérente de monarques qui seraient à la fois stratèges et planificateurs, gestionnaires avisés et entrepreneurs.

Opportunistes, et souvent à l’origine des grands projets économiques dans la région, les cabinets de conseil anglo-saxons ont compris tout l’intérêt d’investir (...)

La suite est à lire dans Le Monde Diplomatique du mois d'août 2013
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dimanche 21 juillet 2013

La chronique du blédard : Des Palestiniens et du Printemps arabe

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 18 juillet 2013
Akram Belkaïd, Paris

 
C’est une vidéo qui a fait le tour du web en provoquant l’indignation y compris en Israël. On y voit des soldats israéliens embarquer un Palestinien de cinq ans et son père, l’enfant étant soupçonné d’avoir jeté des pierres contre une voiture à Hébron en Cisjordanie (le père et le fils seront brièvement détenus avant d’être remis à la police palestinienne puis relâchés). Ces images poignantes – l’enfant est pris de panique totale face aux uniformes - ont été tournées par B’Tselem, une organisation israélienne de défense des droits de l’homme. D’une certaine manière, elles montrent, pour qui l’aurait oublié, que la situation des Territoires palestiniens n’a guère changé et que, quelque part, heureusement qu’il existe des ONG israéliennes pour en témoigner...
 
Un rappel utile à l’heure où les turbulences du monde arabe font l’essentiel de l’actualité. Tragédie syrienne, pagaille libyenne, incertitude tunisienne et coup d’Etat « démocratique » égyptien, tout cela éclipse la question palestinienne y compris au sein des opinions publiques arabes directement confrontées à des bouleversements politiques incessants et dont il est impossible de prédire la conclusion à court ou long terme. C’est un fait, le Printemps arabe, événement positif s’il en est malgré les interrogations et défis qu’il génère, n’est finalement pas une bonne nouvelle pour les Palestiniens au sens où il relègue leur combat au second plan quand il ne le marginalise pas.
 
Car qui se soucie d’eux ? Certes, il existe encore un semblant de processus diplomatique géré par les Etats-Unis pour arriver à un accord de paix définitif entre Israéliens et Palestiniens. Mais qui y croit ? Personne ou presque. John Kerry, le chef de la diplomatie étasunienne va et vient entre Washington et le Machreq, se fait photographier à Jérusalem-est, se fend de quelques déclarations où l’optimisme de façade cache mal une certaine impatience mais même lui ne donne guère l’impression d’être convaincu par sa propre démarche. En attendant, la colonisation illégale de Jérusalem-est et de la Cisjordanie se poursuit tandis que Gaza demeure la plus grande prison à ciel ouvert du monde.
 
Dès les premières révoltes populaires de janvier 2011, de nombreux intellectuels palestiniens ont deviné que les événements qui allaient suivre ne seraient certainement pas favorables à leur cause. Ce constat n’était pas accompagné de dépit ou d’hostilité à la revendication démocratique des peuples arabes mais il relevait tout simplement d’une lecture objective de la situation. Confrontés à des bouleversements sans précédents, ces peuples sont désormais submergés par un agenda politique national qui les éloigne des grandes mobilisations de jadis pour la Palestine. On remarquera au passage que le Printemps arabe n’a eu, par ailleurs, guère d’impact durable sur les Palestiniens. Certes, ces derniers sont sortis dans les rues de Gaza et de Cisjordanie pour dénoncer l’incompétence de leurs dirigeants et aussi et surtout pour exiger une réconciliation entre le Fatah et le Hamas mais cela n’a pas modifié la donne politique palestinienne.
 
Aujourd’hui, aucun pays arabe n’est capable de peser sur l’échiquier mondial pour défendre les Palestiniens. Les pays du Golfe, dont les avoirs financiers servent à soutenir une économie mondiale vacillante, sont terrorisés par le programme nucléaire iranien. Au final, ils font, à l’égard d’Israël, ce que leur protecteur américain leur impose quand ils ne devancent pas eux-mêmes ses souhaits de normalisation, notamment économique, avec l’Etat hébreu. Les émirs peuvent bien ensuite parader à Gaza en promettant des milliards de dollars, cela ne change rien au fond du problème qui est celui qu’un peuple entier reste privé de son pays et de ses droits.
 
Par ailleurs, les pays engagés dans une transition depuis la chute de dictateurs n’ont pas vraiment de marge de manœuvre. En effet, et quelle que soit la couleur politique de ces gouvernements, tous sont persuadés que la réussite de leur action voire leur longévité dépend beaucoup du bon vouloir de cet arbitre absolu que sont les Etats-Unis. En Egypte, l’ex-président Morsi a bel et bien donné des gages à Washington et Tel-Aviv (on pense notamment à la fermeture des tunnels clandestins entre le Sinaï et Gaza) mais cela n’a pas suffi à lui sauver la mise. Et l’on voit mal son successeur provisoire adopter une autre position.
 
C’est d’ailleurs l’une des caractéristiques les moins évoquées du Printemps arabe. Terminé le temps de la Révolution iranienne. Aujourd’hui, les pouvoirs qui émergent ou se profilent dans les pays arabes en transition ne s’opposent pas à l’Amérique même si, ici et là, on a entendu quelques discours virulents ou assisté à des actions de force contre les intérêts étasuniens (on pense notamment à l’attaque de l’ambassade des Etats-Unis par des salafistes tunisiens). La raison en est simple. Dans un monde unipolaire, personne n’a envie de se joindre au camp des « méchants », c’est-à-dire celui qui regroupe la Syrie et l’Iran. Et s’attirer les bonnes grâces de Washington a un prix. Cela n’implique pas de « trahir » les Palestiniens – cela, les opinions publiques ne l’accepteraient pas – mais de mettre en sourdine ses revendications et ses propositions en faveur de la Palestine. C'est à l’image des plus qu’oubliés « plan Fahd » et « plan Abdallah », du nom des deux rois saoudiens qui proposaient la paix en échange de la restitution des terres occupées depuis 1967 et 1973.
 
Finalement, et comme c’est le cas depuis plusieurs décennies, le meilleur allié des Palestiniens demeure l’Union européenne (UE) et cela malgré le fait – on le signalera jamais assez – que la Commission et le Parlement sont assiégés (le mot n’est pas trop fort) par des lobbyistes défendant les intérêts israéliens. Il y a quelques jours, l’UE a adopté un texte prévoyant d’exclure à partir de 2014 les Territoires occupés de sa coopération, notamment financière, avec Israël. C’est une décision plus que symbolique puisque l’Europe fait une claire distinction entre, d’un côté, le territoire israélien, et, de l’autre, les colonies en Cisjordanie, à Jérusalem-Est cela oublier la bande de Gaza et le plateau du Golan. Ce n’est pas rien. Cela signifie à l’actuel gouvernement israélien que la politique du fait accompli ne provoquera pas forcément la normalisation. Plus qu’une consolation, c’est un acquis pour les Palestiniens dans leur long chemin vers un Etat. Mais c’est malheureusement bien leur seule satisfaction en ces temps de grande agitation du monde arabe.
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Coppi, le plus grand des champions

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"Nul n'a dépassé Coppi. Ni Anquetil, ni Merckx, ni Hinault. Ni les suivants dont les œuvres illusoires sont effacées."

Une phrase extraite de "Forcenés" de Philippe Bordas, un livre puissant sur le cyclisme et les cyclistes. A méditer en ce jour d'arrivée du 100° Tour de France.

Coppi, Anquetil, Merckx et Hinault !

Ensuite ?

Des bourrins transformés en étalons grâce à la chimie.

Pour ma part, le Tour de France s'est arrêté en 1990 avec la dernière victoire de Greg Lemond

Ensuite, ce ne fut que tromperies et déceptions




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dimanche 14 juillet 2013

La chronique du blédard : Comment vaincre (pacifiquement) l’islamisme ?

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 11 juillet 2013

Akram Belkaïd, Paris

La situation en Egypte ne peut laisser personne indifférent. Quoi que l’on pense de son chaos, de sa démesure, de sa démographie mal maîtrisée et de son positionnement géopolitique controversé (du fait de sa « paix froide » avec Israël), il ne faut jamais oublier que l’évolution de ce grand pays a toujours influencé le monde arabe. En ce sens, le coup d’Etat militaire, car c’en est un, contre l’ex-président Morsi est une très mauvaise nouvelle. Au-delà des terribles dangers que cela fait peser sur la paix civile, c’est une régression manifeste, deux ans après l’émergence d’un souffle nouveau sur une région du monde longtemps déclarée inapte à la démocratie et à l’Etat de droit.

Pour autant, il faut rester optimiste car rien n’est joué. L’Histoire, on ne le répètera jamais assez, n’est pas une connexion haut-débit où tous les défis seraient surmontés à la vitesse d’un clic de souris. N’en déplaise aux cyniques et aux nostalgiques des régimes forts pour ne pas dire dictatoriaux, la dynamique enclenchée en 2011 ne va pas s’essouffler. Les attentes des peuples sont trop importantes, les enjeux politiques et économiques trop grands pour que ce brutal coup d’arrêt provoqué par la soldatesque du Caire ne soit définitif (gageons d’ailleurs que les « rebelles » du mouvement Tamarroud à l’origine de la chute de Morsi ne tarderont pas à s’opposer à l’armée).  

La déposition de l’ex-président, la sanglante répression contre les Frères musulmans, la disparition des pénuries de produits alimentaires et l’aide financière massive soudainement annoncée par l’Arabie saoudite (ce grand défenseur de la démocratie…) et les Emirats arabes unis peuvent faire penser que la donne égyptienne est en train de changer. Mais, qu’on le veuille ou non, l’islamisme politique y demeure une force incontournable et la même question reste posée : comment le vaincre dans un contexte de transition démocratique ? En Egypte aujourd’hui, comme en Algérie en 1992, la réponse apportée a été, in fine, le recours à la force et donc la négation de la démocratie au nom, justement, de la protection de cette démocratie (mais au risque de la discréditer de manière définitive). On connaît le débat à ce sujet et il est loin d’être clos. Au cours de ces derniers jours, on a pu lire des articles stupéfiants de mauvaise foi où des démocrates patentés justifiaient le recours à la force, balayant d’un revers de manche la légitimité électorale du président égyptien en lui opposant la nécessité d’écouter la colère du peuple. Question : que fera-t-on demain si un non-islamiste est élu à la tête de l’Egypte et que les Frères musulmans arrivent à mettre vingt millions de manifestants dans la rue ?

De fait, l’on a assisté à un déferlement de commentaires acerbes pour ne pas dire haineux qui traduisaient bien le fait que, finalement, la victoire électorale de Morsi en juin 2012 n’a jamais été acceptée par nombre de ses opposants. Ouvrons ici une parenthèse. Pour soutenir le coup d’Etat, c’est l’argument d’incompétence qui a été le plus utilisé. En clair, et pour résumer, Morsi aurait mené l’Egypte vers l’abime. Un an à peine pour être jugé de manière aussi définitive, quelle bien étrange célérité… Certes, personne ne se risquera à qualifier sa présidence plus que partisane de réussite. Bien au contraire. Mais a-t-il fait pire que les gouvernements qui l’ont précédé ? Pas sûr et rappelons au passage que la communauté internationale sans compter le Fonds monétaire international (FMI) étaient plutôt enclins à une critique mesurée à son égard. Surtout, il ne faut pas oublier que Morsi et son équipe se sont heurtés à ce fameux « Etat profond », cet héritage du régime Moubarak, notamment l’appareil judiciaire, qui n’a jamais disparu et pour qui le désordre actuel est une bénédiction. Fin de la parenthèse.

Revenons donc à la question essentielle et fondamentale. Comment vaincre l’islamisme politique ? Au risque de se répéter, le présent chroniqueur a toujours la même position depuis le début des années 1990 et les prémisses de la tragédie algérienne. La seule manière de le battre de manière durable et sans le renforcer (ce que vient de faire le coup d’Etat en Egypte), c’est de l’affronter sur le terrain politique, économique et social avec, au final, une victoire électorale qui ne souffre d’aucune contestation ni d’aucun chaperonnage militaire.

Plus facile à écrire qu’à faire, dira-t-on. Oui, effectivement, mais la vie des Nations n’est pas une simple équation à une inconnue. Ainsi, le vrai problème des démocrates égyptiens, c’est d’avoir été divisés lors de l’élection présidentielle de 2012, de ne pas avoir fait front commun et d’avoir été incapables de porter le débat électoral sur des thèmes aussi essentiels que l’économie et l’éducation. Idem en Tunisie en octobre 2011 pour l’élection de l’Assemblée constituante. S’opposer à l’islamisme politique est un travail de longue haleine qui oblige à la mobilisation commune de tous ses adversaires. En un mot, il ne suffit pas de se lamenter sur les dangers d’une victoire électorale du « fascisme  vert » - en recourant d’ailleurs des analogies historiquement discutables (*) - mais en faisant de la politique. En défendant ses idées sur le terrain, y compris celles qui prônent la sécularisation, et non pas en se complaisant dans une posture d’esprit éclairé qui serait une victime incomprise et menacée par les masses. Car ces « masses » s’éduquent à moins de leur dénuer toute humanité et, finalement, de transformer la misanthropie à leur égard en programme politique.

Mais se restreindre à ne battre les islamistes que sur le plan électoral, revient aussi à accepter d’en baver car, on le sait, les premiers temps de la transition démocratique leurs sont toujours favorables. En baver, oui, mais pendant combien de temps ? Cinq ans ? Dix ? Trente-quatre ans comme les Iraniens ? Toute la question est là avec ce qu’elle suppose comme sacrifices générationnels. Un jour ou l’autre, les Iraniens seront débarrassés du régime des Mollahs et ils le seront pendant longtemps car, en quelque sorte, définitivement « immunisés ». Les Egyptiens qui, un an à peine après l’arrivée de Morsi au pouvoir, ont décidé de faire déraper la transition en se jetant dans les bras de l’armée, viennent en réalité d’allouer aux Frères musulmans un temps de vie politique supplémentaire et, plus encore, la légitimité de la victime privée de ses droits. Ils ont, pour paraphraser Thomas Jefferson, sacrifié une partie de leur liberté pour une sécurité et un bien-être à court terme. Avec le risque de n’avoir aucune des deux car, coup d’Etat ou pas, l’islamisme politique est loin d’être défait…

(*) De la victoire électorale des Nazis pour justifier lecoup d'Etat en Egypte (ou ailleurs), blog « Lignes quotidiennes », jeudi 4 juillet 2013.
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mercredi 10 juillet 2013

La chronique économique : Le Brésil, la Fifa ou l'Etat contre les forces du capital

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C'est un bras de fer qui n'en finit jamais et dont on a parfois du mal à cerner les contours. Depuis la «révolution» libérale de Reagan et Thatcher, le capital et l'Etat sont en confrontation directe et, malgré tout ce que racontent les pleureuses patentées de The Economist ou du Wall Street Journal, c'est bien le premier qui, jusque-là, a remporté toutes les parties ou presque. Partout dans la planète, y compris dans des pays dits dirigistes ou bien encore communistes - l'exemple de la Chine étant le plus édifiant - c'est la logique financière qui prime.

L'exemple du Brésil

Prenons le cas du Brésil et des importants troubles sociaux qui l'agitent actuellement. Au cours des dix dernières années, ce pays a connu l'étrange convergence entre l'action d'un gouvernement de gauche et les représentants et auxiliaires du capital (banques, fonds d'investissements, multinationales,…). Le principal effort des autorités brésiliennes a été de faire sortir une partie de la population de la pauvreté extrême.

Une démarche soutenue par les milieux financiers toujours prompts à applaudir toute action visant à renforcer les classes moyennes et donc à augmenter les dépenses de consommation voire à inciter à l'épargne ou à l'endettement, deux options qui, de toutes les façons, finissent toujours par profiter aux banques.

Par contre, les gouvernements brésiliens, qu'il s'agisse de celui de Lula ou de Rousseff, n'ont guère eu de marges de manœuvres en matière de travaux d'infrastructures et de développement des services publics. Pas plus qu'ils n'ont pu répondre aux demandes incessantes de revalorisation des salaires et d'augmentation du pouvoir d'achat. Des exigences pourtant nécessaires pour, justement, améliorer la vie des Brésiliens et rendre leur quotidien moins difficile. De fait, le capital s'est toujours opposé à ce que l'Etat fédéral brésilien investisse massivement dans les transports, l'un des points noirs du pays. Tout cela au nom du nécessaire contrôle du déficit budgétaire. Ce qui, en réalité, équivaut à empêcher toute dépréciation des actifs financiers puisque l'augmentation du déficit signifie plus d'endettement et, in fine, le recours à l'inflation pour rééquilibrer la situation financière.

Une perte organisée de souveraineté

A l'inverse, le capital ne s'est pas opposé aux gigantesques chantiers de la Coupe du monde de football. Pourtant, cela a nécessité une grosse dépense publique ce qui a d'ailleurs ulcéré les Brésiliens qui sont sortis dans la rue.

En réalité, l'organisation de la Coupe du monde n'est pas simplement une opportunité économique pour les milieux d'affaires qu'ils soient brésiliens ou non. Ces derniers comptent d'abord sur la Fédération internationale de football (FIFA) pour qu'elle oblige le pays organisateur à entreprendre certaines réformes, certes présentées comme provisoires le temps de la compétition, mais dont l'effet à long terme, en matière de «laisser-faire» n'est jamais négligeable.

De nombreux médias ont ainsi évoqué la question de l'autorisation de vente de l'alcool dans les stades (ce à quoi la loi brésilienne s'est toujours opposée). En réalité, cela est presque anecdotique car le vrai enjeu réside dans les concessions faites en matière de souveraineté. Dans ses exigences, la Fifa a obtenu que l'Etat brésilien soit l'unique responsable en cas d'incidents divers durant la compétition. De quoi faire rêver toutes les multinationales dont l'obsession est de s'assurer qu'elles ne seront pas poursuivies en raison de dommages environnementaux ou sociaux causés par leurs activités et leurs investissements ! Si la Fifa obtient ce type d'immunité durant une compétition dont elle tirera un immense bénéfice financier, pourquoi une compagnie pétrolière accepterait-elle demain d'être poursuivie pour une marée noire ? Ainsi, la Fifa montre-t-elle la voie en matière d'immunité vis-à-vis des Etats, ces derniers ne cessant de perdre de leur pouvoir d'arbitre et de décideur en dernier recours.

(*) La chronique économique s'interrompt durant cet été, elle reprendra le mercredi 4 septembre 2013
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samedi 6 juillet 2013

Rite

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Marcel, bermuda, chlaka
apaisement fugace de la première tchoubaïka
crier, non, hurler, "moriiiisca"
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jeudi 4 juillet 2013

De la victoire électorale des Nazis pour justifier le coup d'Etat en Egypte (ou ailleurs)

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Comment justifier un coup d'Etat contre des ennemis, supposés ou réels, de la démocratie ? L'argument qui revient de manière systématique est de rappeler que les Nazis ont, eux-aussi pris le pouvoir par les urnes au début des années 1930 avant d'établir la pire dictature de l'Histoire. Du coup, cet exemple étant imparable, il est très difficile ensuite de défendre toute légitimité électorale remportée par des formations controversées. Ainsi, quand on évoque la légitimité des urnes à propos du désormais ex-président Morsi, on se voit systématiquement rappeler que les Nazis avaient eux aussi gagné les élections.

Le problème, c'est que cette référence historique n'est pas exacte et qu'il faut surtout la nuancer pour échapper aux lieux communs. Certes, comme le note l'Encyclopédie multimédia de la Shoah, "aux élections de juillet 1932, le parti nazi remporta 37,3% des voix, devenant le plus grand parti politique d’Allemagne. Les communistes (prenant des voix aux sociaux-démocrates dans un climat économique en constante dégradation) remportèrent 14,3% des suffrages. En conséquence, dans le Reichstag de 1932, plus de la moitié des députés étaient des représentants de partis qui s’étaient publiquement engagés à mettre fin à la démocratie parlementaire. Tous les partis traditionnels avaient perdu des voix, à l'exception du Zentrum catholique, en faveur des partis extrémistes."

Malgré son score, le parti nazi ne pouvait pas gouverner seul et, aux élections suivantes, en novembre 1932, " les Nazis perdirent du terrain, avec un score de 33,1% des scrutins. Les communistes, par contre, progressèrent, obtenant 16,9% des voix. A la fin de 1932, l’entourage du président Hindenburg en arriva à croire que le parti nazi représentait l’unique espoir de prévenir le chaos et la prise du pouvoir par les communistes. Les négociateurs et propagandistes nazis contribuèrent puissamment à renforcer cette impression."

Et c'est là qu'intervient la précision d'importance comme le rappelle si bien l'Encyclopédie multimédia de la Shoah :

"Le 30 janvier 1933, le président Hindenburg nomma Adolf Hitler chancelier. Hitler parvint à cette fonction, non pas par suite d’une victoire électorale lui conférant un mandat populaire, mais plutôt en vertu d’une transaction constitutionnellement contestable, menée par un petit groupe d’hommes politiques allemands conservateurs qui avaient renoncé au jeu parlementaire, qui espéraient utiliser la popularité d'Hitler auprès des masses pour favoriser un retour à un régime conservateur autoritaire, voire à la monarchie. En deux ans cependant, Hitler et les Nazis prirent de vitesse les politiciens conservateurs et instaurèrent une dictature nazie extrémiste entièrement soumise à la volonté personnelle du Führer."

En clair, si Hitler est arrivé au pouvoir et qu'il a perpétré ses crimes par la suite, c'est parce qu'il a été porté au pouvoir, par un coup d'Etat qui ne disait pas son nom, grâce à des ennemis de la démocratie qui rêvaient d'en finir avec la République allemande. La nuance est de taille et mérite d'être mentionnée dans les débats actuels.


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La chronique du blédard : De la démocratie et du « recall »

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 4 juillet 2013
Akram Belkaïd, Paris

Il y a quelques semaines, cette chronique a abordé la question du pouvoir et des contre-pouvoirs qui lui sont nécessaires pour garantir l’existence d’un Etat de droit et pour atténuer la tyrannie qu’une majorité politique peut exercer à l’encontre de celles et ceux qui n’ont pas voté pour elle (*). L’exemple à ce sujet étant la Turquie où les victoires électorales successives de l’AKP ont vraisemblablement convaincu le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan qu’il est le maître absolu de son pays et de sa société. Pour résumer, il apparaît que le monde arabo-musulman n’est pas suffisamment attentif à la mise en place de contre-pouvoirs dès lors qu’il s’engage dans un processus de transition démocratique.

La situation actuelle en Egypte permet de poursuivre la réflexion sur un autre plan en abordant une autre question fondamentale pour la démocratie. Comment faire pour renvoyer celui qui a été élu sans attendre la prochaine échéance électorale ? Comment le faire sans succomber au piège des sondages et sans générer de l’instabilité au sein des institutions ? Mais commençons d’abord par une mise au point. Rappelons donc que le président égyptien Mohamed Morsi a été démocratiquement élu par les Egyptiens au terme d’un scrutin qui, de l’avis de la majorité des observateurs, a été le plus régulier de l’histoire de l’Egypte indépendante (ce qui ne signifie pas qu’il a été parfait, loin de là). Cela n’est pas chose négligeable. Si l’on respecte la démocratie, si l’on respecte les règles du jeu que cette dernière impose, on est obligé de reconnaître la légitimité de sa présidence.

Balayer cela d’un revers de manche au prétexte que l’on est un adversaire des islamistes et que l’on ne supporte pas leur présence au pouvoir, c’est adopter une attitude anti-démocratique et c’est se faire le partisan de scrutins censitaires où ne voteraient que les gens avec lesquels on serait d’accord. Des scrutins qui, par exemple, écarteraient les islamistes et leurs électeurs potentiels. C’est d’ailleurs ce dont rêvent, sans vraiment l’assumer, nombre de « démocrates » et autres « laïcs » dans le monde arabe. Incapables de peser politiquement et électoralement face aux islamistes, ils préféreraient des élections débarrassées de ces puissants adversaires et cela sous la houlette d’un arbitre suprême, c’est-à-dire l’armée (ou, plus rarement, l’Occident). Relevons au passage cette (fausse ?) naïveté qui fait croire que l’armée égyptienne a chassé Morsi pour remettre le pouvoir à son opposition. En leur temps, les éradicateurs algériens opposés à la victoire de l’ex-Front islamique du salut (FIS) ont cru la même chose, persuadés qu’ils étaient que le pouvoir les récompenserait d’avoir contribué à sa propre survie. On connaît la suite…

Pour autant, il doit être possible d’exiger le départ de celui qui a été élu si l’on considère qu’il a failli et si une majorité l’exige. Trop souvent, le mandat électoral est assimilé à un blanc-seing, une sorte de chèque en blanc qui interdirait la moindre remise en cause. D’ailleurs, le monde politique n’aime pas trop aborder cette question du « recall », c’est-à-dire la procédure par laquelle les citoyens peuvent obtenir qu’un élu s’en aille avant la fin de son mandat ou, tout du moins, qu’il se présente de nouveau devant les électeurs. Exception faite de quelques pays, comme les Etats-Unis, le Canada ou la Suisse, le « recall » n’est guère ancré dans les mentalités alors qu’il a existé dès les premiers temps de la démocratie athénienne. En France, ni la droite ni la gauche ne veulent en entendre parler au nom de la nécessité d’éviter l’instabilité que cela peut générer. Il est vrai qu’un élu a besoin de temps pour agir mais cela ne saurait lui garantir une impunité totale et une sécurité absolue.

Il reste donc à savoir comment organiser et obtenir un tel rappel des électeurs. En investissant les places publiques et en recueillant plusieurs millions de signatures exigeant le départ de Morsi, l’opposition égyptienne a usé de deux moyens complémentaires mais aux conséquences et à l’efficacité différentes. Comme c’est le cas aux Etats-Unis, la collecte de signatures permet d’éviter le recours à des manifestations publiques et donc, in fine, à l’anarchie qu’elles pourraient provoquer.

Mais cette manière pacifique d’appréhender un « recall » est-elle possible pour des pays qui s’engagent à peine dans une transition démocratique ? En Egypte aujourd’hui, demain ailleurs, la capacité de précipiter les événements reste liée à la mobilisation de la rue avec ce que cela peut entraîner comme dérapages et manipulations. L’idéal, serait donc de disposer de moyens institutionnels d’encadrer le « recall » via, par exemple, des signatures déposées auprès d’un organisme indépendant (justice, Cour suprême,…).

C’est en cela que la situation égyptienne parle à la planète entière. Au monde arabe d’abord, du moins à celui qui est en mouvement comme c’est par exemple le cas en Tunisie (n’en déplaise à mes compatriotes algériens qui regardent la situation tunisienne avec beaucoup de dédain…). Mais aussi au monde développé où la rupture entre électeurs et élus est manifeste. Car, au XXIème siècle, la démocratie, c’est, entre autre, permettre au peuple d’élire librement ses représentants. Mais c’est aussi lui permettre de leur signifier leur congé - de manière encadrée et institutionnelle (**) - quand il le juge nécessaire et cela sans avoir à attendre les habituels rendez-vous électoraux.

(*) La chronique du blédard : Des islamistes, du pouvoir et du nécessaire contre-pouvoir,  Le Quotidien d'Oran, jeudi 6 juin 2013.
(**) Précision ajoutée par l'auteur, le 4 juillet 2013.

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mercredi 3 juillet 2013

Hollande à Tunis : une visite politiquement délicate d’un partenaire économique majeur

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  • Maghreb Emergent, mardi 2 juillet 2013,
  • Akram Belkaïd, à Tunis                   
  •                                                                                                                                  
    Il n’y aura pas de grandes surprises à attendre en matière économique lors de la visite du président français, François Hollande, en Tunisie. C’est davantage un moment politique où le chef d’Etat français aura à gérer des attentes contradictoires chez les politiques tunisiens.
     

     Les retrouvailles, enfin… Après quelques incertitudes et un report au mois de mai dernier, le président français François Hollande va effectuer sa première visite officielle en Tunisie à la fin de cette semaine. L’occasion pour le locataire de l’Elysée de réaffirmer l’engagement de son pays en faveur de la transition tunisienne mais aussi de se faire pardonner le fait que son déplacement à Tunis vient bien après celui d’Alger et de Rabat. Cela sans oublier celui de Doha au Qatar qui a quelque peu irrité nombre de Tunisiens, ces derniers n’ayant pas admis, proximité historique avec la France oblige, que l’émirat qui fait tant parler de lui sur la scène mondiale ait précédé leur pays sur le carnet de voyage de François Hollande. « C’est vrai que c’est un peu vexant surtout quand on sait à quel point le Qatar divise les Tunisiens », confie un homme d’affaires tunisois. « Mais il faut aussi comprendre François Hollande. Ce n’est pas facile de se déplacer dans un pays tel que le nôtre en proie à tant de turbulences politiques. Heureusement que l’affaire des trois Femen emprisonnées a été réglées avant sa venue ».
     
     1300 PME françaises en Tunisie
     
     De fait, François Hollande va arriver dans un pays où nombreux sont les avis qui ont tendance à exagérer le rôle et l’influence de la France et cela de manière parfois contradictoire. Certes, et de manière incontestable, ce pays est le premier partenaire économique et politique de la Tunisie. Qu’il s’agisse des échanges commerciaux (7,6 milliards d’euros en 2011) ou d’investissements directs, la France est en tête. Et de loin puisqu’elle détient une part de marché commerciale qui oscille selon les années de 18% à 20% (16% pour l’Italie, 7,4% pour l’Allemagne et 6% pour la Chine). De même, le marché français est le premier client de la Tunisie puisqu’il absorbe 30% ( !) de ses exportations (21% pour l’Italie et 9% pour l’Allemagne). En outre, les entreprises françaises, essentiellement des PME, sont présentes en force sur le sol tunisien. Elles sont au nombre de 1.300 et elles emploient 115.000 personnes (la France est le premier employeur étranger en Tunisie). Enfin, la France est aussi le premier bailleur de fonds bilatéral de la Tunisie qu’il s’agisse de l’aide financière directe ou par le biais de l’Agence française de développement (AFD).
     
     Sur le plan économique, François Hollande va donc jouer sur du billard. Bien sûr, il pourra promettre plus d’aide, plus d’engagement de son pays via le Partenariat de Deauville et plus d’efforts pour la création d’emplois et le développement de l’intérieur du pays. Mais, à dire vrai, les Tunisiens savent déjà que la France est à leurs côtés sur ce plan. Tout comme elle semble décidée à aider leur pays dans ses discussions avec l’Union européenne (UE) pour obtenir le statut de partenaire privilégié à l’image de ce qui existe déjà pour le Maroc. Ces négociations devaient s’ouvrir en 2011 mais elles ont été repoussées après la chute du régime de Ben Ali. Peut-être que François Hollande fera quelques annonces économiques en promettant une remise en matière de dette ou l’augmentation du nombre de bourses pour les étudiants tunisiens qui souhaitent se rendre en France ou, enfin, le soutien de son gouvernement aux initiatives de partenariats industriels que tentent de lancer le Medef et l’Utica, les deux patronats français et tunisien.
     
     Les aspects politiques de « l’offre française »
     
     En réalité, le président Hollande est attendu sur les deux autres aspects de « l’offre française » à destination de la Tunisie post-Ben Ali. Il s’agit du « soutien à la société civile » et du « renforcement de l’Etat de droit ». Les dénominations sont suffisamment générales pour que chaque courant politique tunisien y voie ce qu’il souhaite y trouver. Pour être plus précis, François Hollande va arriver dans un pays où il va lui falloir à la fois rassurer et… décevoir et cela doublement ! Ainsi, le président français devra trouver le ton juste et les arguments pour convaincre le parti Ennahdha que la France ne travaille pas à la défaite – d’une manière ou d’une autre – de ce parti et cela au nom d’un principe régulièrement clamé de « non-ingérence ». Jusqu’à présent, le report de la visite présidentielle mais aussi les déclarations intempestives et hostiles à Ennahdha de ministres français – dont celui de l’intérieur Manuel Valls - ont donné des arguments à celles et ceux qui pensent que Paris souhaite que le parti islamiste soit défait lors des prochaines élections. C’est donc cela que François Hollande va essayer d’effacer, quitte à décevoir les courants politiques non-islamistes qui voient la France comme l’arbitre suprême du bras de fer politique entre Ennahdha et eux. Pour ce journaliste tunisien, « une partie de la bonne société tunisienne mais aussi des partis de gauche sont persuadés que la France est le dernier recours et qu’elle saura comment intervenir contre Ennahdha le moment venu. Or, depuis plusieurs mois, la France montre qu’elle refuse ce rôle et qu’elle entend respecter le choix des Tunisiens. Cela en déroute et agace plus d’un du côté des quartiers chic de Tunis ou de sa banlieue nord ».
     
    Mais, dans le même temps, François Hollande devra signifier que son pays ne restera pas les bras croisés en cas de dérives en matière de non-respect des droits de l’homme ou des droits de l’opposition et cela au nom du principe de « non-indifférence ». Au risque, là encore, de conforter les militants islamistes dans leur certitude que la France travaille de concert avec l’opposition démocratique pour les empêcher d’aller plus loin dans leur conquête du pouvoir. Ainsi, la marge de manœuvre de François Hollande est-elle étroite. Même si, atout majeur pour lui, on ne peut lui reprocher d’avoir été complaisant avec Ben Ali il reste que le double-principe de non-ingérence et de non-indifférence pourrait très vite le mettre à mal avec l’un des protagonistes du bras de fer politique tunisien.
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    Dubaï : Le Coran et le Bling-Bling

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    Al Huffpost, 25 juin 2013
    Akram Belkaïd, Paris

    Les deux informations sont tombées de manière simultanées et, d'une certaine façon, elles décrivent parfaitement la dualité schizophrène de l'émirat de Dubaï. La première annonce l'inauguration prochaine du Palazzo Versace Dubaï, un établissement de luxe se voulant être l'icône de « la splendeur italienne », une construction imposante de style gréco-romain aux portes du désert. En clair, un nouveau « land-mark » étincelant et luxueux dans une cité-Etat qui en compte déjà plusieurs dizaines. La seconde information est relative quant à elle, au lancement d'un nouveau projet urbain dans la capitale de la dynastie des Al-Maktoum. Il s'agit de la création d'un parc thématique entièrement dédié au... Coran. D'un montant de 7,3 millions de dollars, le projet de 60 hectares ambitionne de présenter tous les végétaux, arbres, plantes, légumes et fruits, cités dans les sourates du Livre saint. Une galerie fermée, climatisée cela va sans dire, présentera les grands événements relatés dans le Coran.

    Alors, Dubaï : Coran ou « bling-bling » ? Depuis son extraordinaire essor planétaire entamé au début des années 1990, l'émirat a plutôt penché vers la seconde extrémité au point de devenir le point de convergence de tous les fêtards de la péninsule. Une sorte de sas de décompression pour toute une région plus qu'enserrée dans la gangue du rigorisme religieux. A Dubaï, l'une des villes les plus sûres au monde, les femmes peuvent conduire, le voile n'est obligatoire pour personne, et l'alcool est servi dans la majorité des hôtels. Des méga-fêtes y sont organisées, et les mots « fun » et « leisure », amusement et loisirs, y résonnent comme un leitmotiv.

    Mais depuis quelques années, et surtout depuis la montée en puissance des mouvements islamistes à la faveur du Printemps arabe, la cité connue pour sa tolérance, et son cosmopolitisme (plus de deux cent nationalités y cohabitent) fait l'objet de virulentes mises en cause. Ces dernières viennent de certains courants radicaux parmi lesquels des salafistes saoudiens mais aussi des Frères musulmans, une confrérie interdite dans les six pays du Conseil de Coopération du Golfe. Pour dire les choses de manière plus directe, Dubaï est vue dans le Golfe comme l'endroit de toutes les perditions possibles, puisque tout y est permis ou, presque, y compris la prostitution (cantonnée toutefois dans les grands hôtels). Pendant des années, Dubaï a pourtant échappé à ces critiques, fort de son statut de « terrain neutre ». Les GI's américains stationnés au Qatar ou à Bahreïn pouvaient ainsi s'y encanailler croisant, dans la réception du même hôtel, des dignitaires Talibans venus eux aussi se reposer ou se soigner dans le Las Vegas du Golfe. Ajoutons à cela un zeste de négociants iraniens, activant pour détourner l'embargo infligé à leur pays, une pincée d'oligarques russes ou de trafiquants tchétchènes, sans oublier des banquiers occidentaux spécialisés dans « l'optimisation fiscale », et l'on comprendra pourquoi Dubaï ressemble tant à une zone franche, à un « saloon » mondial où tout le monde est obligé de laisser ses armes à l'entrée.

    L'annonce du lancement du parc à thème coranique apparaît donc comme un tournant notable. C'est évidemment une concession faite aux Dubaïotes mais aussi aux autres Emiratis, notamment ceux d'Abou Dhabi, qui trouvent que l'émirat est allé trop loin dans la démesure et l'ouverture à l'occidentale. Dans un contexte régional de plus en plus tendu, marqué notamment par une agitation salafiste de plus en plus importante en Arabie saoudite, ainsi qu'un retour de l'activisme des Frères musulmans - comme en témoigne l'actuel procès d'Emiratis accusés d'appartenir à la Confrérie - ce futur parc revêt une symbolique de retour aux sources voire de rédemption, deux éléments fondamentaux dans le monde musulman. Est-ce que cela suffira à inverser la tendance et à convaincre ses contempteurs que Dubaï n'est pas la « Sodome et Gomorrhe » du Golfe voire du monde arabe ? Rien n'est moins sûr à l'heure où la reprise de l'économie fait que la cité-Etat est de nouveau tentée par le lancement d'autres méga-projets où le gigantisme le disputera au luxe et au bling-bling...
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    lundi 1 juillet 2013

    Le Maghreb toujours en panne

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    Al HuffPost, 01/07/2013   
    Akram Belkaïd, Tunis                                                    

     
    Même peuple, même religion, mêmes langues (l'arabe et le berbère), même culture: il n'y a pas beaucoup de régions aussi homogènes, et pourtant... Les Maghrébins s'éloignent les uns des autres, se connaissent moins bien à l'heure où, internet et réseaux sociaux aidants, ils devraient être encore plus proches que jadis. Un jeune d'Agadir ne sait pas grand-chose d'un jeune de Batna. Pour un habitant de Bizerte, Mers-el-Kebir est aussi loin que Sidney ou Tokyo. Les jeunesses maghrébines, celles qui prendront le relais demain, sont-elles convaincues de la nécessité de construire un Maghreb uni, intégré sur le plan économique ? Ce n'est guère certain. Car, qui parle du Maghreb en dehors des colloques où les mêmes experts se rencontrent depuis des années pour dresser le même constat d'échec, partager les mêmes anecdotes et débattre à fleurets mouchetés ? Les partis politiques, qu'ils soient au pouvoir ou dans l'opposition, ne font pas de cette question une priorité. Les élites ? Elles parlent de la stagnation de la construction maghrébine comme on parlerait d'une mauvaise météo. En la déplorant mais en rejetant toute responsabilité sur les politiques, sur l'Europe qui sait si bien diviser les Maghrébins pour y régner, sur les Etats-Unis, un peu trop velléitaires quant à cette région. Or, dans cette triste affaire, tout le monde est coupable. D'abord les pouvoirs en place, mais aussi les partis politiques, les élites quelles qu'elles soient, à commencer par celles des milieux économiques incapables de s'opposer frontalement à des régimes dont ils ne sont finalement que la clientèle. Quant aux sociétés civiles, à peine naissantes ou encore assujetties aux régimes, elles ne se font guère entendre sur ce sujet tant leurs autres combats sont nombreux. Question: à quand une initiative d'envergure pour réclamer le Maghreb uni ?

    Frontière fermée
     
    Mais il y a plus grave que l'idée d'une union maghrébine qui s'étiole. Ces dernières années, les tensions récurrentes entre l'Algérie et le Maroc n'ont guère faibli. Bien au contraire. Campagnes de presse haineuses de part et d'autre de la frontière (fermée), déclarations incendiaires d'un homme politique populiste marocain appelant à un recours à la force armée pour construire le «grand Maroc» et «récupérer» des villes comme Tlemcen, Béchar ou Tindouf, absence de dialogue à haut niveau : les deux voisins jouent en ce moment avec le feu et cela ne semble guère inquiéter l'Europe ou les Etats-Unis, deux partenaires de poids dans la région qui pourraient obliger les deux protagonistes à s'asseoir enfin autour d'une même table. Quant à les convaincre de renoncer à la course aux armements dans laquelle ils sont tous deux engagées, c'est déjà une autre histoire...
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