Lignes quotidiennes

Lignes quotidiennes
Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

jeudi 28 février 2013

Le printemps est en route

_


- Que vois-tu ? demanda le premier.
- Du gris, et encore du gris, répondit le second. Toujours du gris.
- Et... ?
- Et donc, je vois l'hiver. Toujours l'hiver. Encore l'hiver !
Le premier se mit à rire.
- Tu vois mal ou pas assez, dit-il. Ouvre bien les yeux. Oublie le gris. Regarde ! Les feuilles, sont déjà là.
Le second eut un geste d'humeur.
- Les feuilles ? Elles sont minuscules, tes feuilles !
- Certes. Mais, ce qu'elles te disent est important. Ecoute-les.
- Et que disent-elles ?
- Elles te murmurent que le printemps est en marche. Juste ça. Rien que ça et c'est le plus important : le printemps sera bientôt là.
_

La chronique économique : La voiture, révélateur socio-économique de l'Algérie

_
Le Quotidien d'Oran, mercredi 27 février 2013
par Akram Belkaid, Paris

Pour le visiteur étranger ou pour qui n’a pas vu l’Algérie depuis longtemps, un élément marquant saute aux yeux. Il s’agit de la diversité et de l’importance démesurée du parc automobile. Au-delà de la question des embouteillages dans les grandes villes, notamment à Alger,le caractère récent des modèles en circulation et leur diversité (au moins cinquante constructeurs sont présents de manière non-marginale sur le marché algérien) donnent à penser que l’économie locale est en pleine expansion et avec elle le pouvoir d’achat des ménages.

PRODUIT D’EPARGNE ET SIGNE EXTERIEUR DE RICHESSE

Ce constat mérite d’être nuancé. Concrètement, l’essor du parc automobile doit d’abord beaucoup au recours du crédit à la consommation. Certes, ce dernier est désormais prohibé mais il n’en demeure pas moins que sa généralisation dans les années 2000 a été l’indispensable vecteur pour le développement des ventes. Par la suite, nombre d’économistes ont été surpris de voir que le rythme des immatriculations n’a guère diminué depuis l’interdiction de ce type de crédit. Bien au contraire. A bien des égards, les rues algériennes ressemblent à un catalogue grandeur nature d’un salon international de l’automobile.

La bonne santé de ce secteur a plusieurs explications. Il y a d’abord le fait qu’une masse monétaire importante circule en Algérie et cela à l’intérieur et, plus encore, à l’extérieur du système bancaire. Les détenteurs de cet argent, loi immuable, cherchent souvent à le placer en bien tangible, anticipant en cela une dévaluation à venir du dinar. Du coup, la voiture devient un produit d’épargne cela d’autant plus que le marché algérien a cela d’extraordinaire qu’un véhicule d’occasion, s’il est bien entretenu, peut-être revendu aussi cher, sinon plus qu’à l’achat (!). Au passage, on peut noter trois choses. D’abord, le fait que les Algériens n’ont guère confiance en leur monnaie puisqu’ils anticipent sans cesse sa dépréciation. Ensuite, le fait que ces mêmes Algériens n’ont guère le choix en matière de placement et d’épargne, les banques ne jouant guère leur rôle en la matière. Enfin, l’achat de véhicule compense aussi la quasi-impossibilité d’acquérir un bien immobilier, produit de placement traditionnel lorsqu’une société entre en phase d’accumulation.

Par ailleurs, le véhicule neuf demeure aussi un signe extérieur de richesse et un marqueur social. C’est un élément discriminant dans une société de plus en plus déboussolée où l’affairisme semble avoir définitivement pris le pas sur les schémas de carrière qui existaient au cours des vingt premières années ayant suivi l’indépendance. A ce titre, il est éloquent de voir que l’Algérien est souvent défini par son entourage ou son voisinage comme étant le possesseur de tel ou tel modèle de voiture. On peut aussi relever que, dans la mémoire collective algérienne, l’acquisition d’un véhicule neuf est aussi une belle revanche contre une période de disette marquée par la quasi-impossibilité d’en acheter un. Pour comprendre cela, il faut se souvenir de la triste époque des bons Sonacome et du trafic autour des licences d’anciens moudjahidines.

UN BOOM AU GOUT AMER
 
L’explosion du marché automobile algérien est une bonne nouvelle pour les constructeurs étrangers. C’est aussi l’achèvement victorieux d’une volonté des grandes institutions financières internationales de brider le développement des transports en commun dans un pays pourtant de grandes amplitudes. Sinon, comment expliquer le fait que l’Algérie n’a jamais réussi à obtenir de financements majeurs pour moderniser et développer son réseau ferroviaire ? Depuis les années 1970, la volonté des grands bailleurs de fonds internationaux a toujours été de faire en sorte que l’Algérie soit importatrice nette de véhicules, qu’ils soient lourds ou légers. Et, il ne faut pas se leurrer. Les récents projets de fabrication d’automobiles en Algérie ne sont que de la poudre aux yeux destinée à faire croire que le pays est moins dépendant de ses fournisseurs étrangers. Assembler des véhicules qui ont d’abord été fabriqués, montés puis démontés à l’étranger avant d’être envoyés dans l’usine algérienne, ne sera certainement pas la preuve d’une grande maîtrise industrielle…
_
 

mercredi 27 février 2013

Immobilités

_
 

Troncs hérissés

Fourches et piques brandies

Tentacules dressées

Immobile jacquerie

_
© Akram Belkaïd

mardi 26 février 2013

DRS par-ci, DRS par-là…

_
C’est un sujet de conversation incontournable. Les Algériens en parlent depuis toujours y compris lorsqu’elle s’appelait Sécurité militaire ou SM. Ils n’ont pas attendu pour cela qu’un ancien cadre de la Sonatrach adresse une lettre au général Toufik pour lui demander de faire toute la lumière sur les affaires de corruption entachant la compagnie pétrolière algérienne. Dans toutes les discussions à propos du pays et de sa situation politique, l’acronyme DRS (pour Département du renseignement et de la sécurité, c'est-à-dire les services de renseignements algériens, revient donc en boucle. Impossible d’y échapper y compris lorsque ce type de discussion a lieu à l’étranger. Bref, le DRS est incontournable au point que cela vire parfois à l’obsession. Un exemple ? L’affaire d’In Amenas, c'est-à-dire l’attaque d’un site gazier dans le sud algérien et la prise d’otage (et l’execution) de plusieurs ressortissants étrangers en janvier dernier. A entendre certains acteurs de la vie politique algérienne mais aussi des « experts » et autres « spécialistes » de l’Algérie, cette attaque et cette prise d’otages serait le fait du DRS et de personne d’autre…

Cette accusation traduit à quel point les opposants au pouvoir algérien réel mais aussi ses contempteurs de l’étranger sont obsédés par le DRS. Clarifions le propos. Il n’entre pas dans mes intentions de défendre le DRS qui, de toutes les façons, n’a besoin de personne pour cela. L’idée est juste de dire que, parfois, la critique rationnelle voire la mise en cause nécessaire cède le pas à l’obsession irrationnelle, complotiste et contre-productive. Comme l’a si bien écrit le journaliste algérien Khaled Ziri, pour la majorité des Algériens, l’attaque de cette usine gazière est surtout un immense échec pour l’Algérie et ses services de sécurité. Dire le contraire, en faisant porter la responsabilité de l’attaque au DRS, c’est donc minimiser cet échec. C’est empêcher de se poser les bonnes questions sur l'incapacité de l’Algérie à prévenir ce genre d’action criminelle. C’est aussi offrir au pouvoir algérien une sorte d’aura, certes sombre mais une aura quand même, puisqu’il serait capable d’organiser une telle opération machiavélique. En réalité, la vraie question, celle que l’on ne doit pas cesser de poser, est la suivante : comment une telle attaque a-t-elle bien pu se dérouler ? En bref, et au risque de faire bondir : accuser le DRS d’avoir mené l’attaque d’In Amenas ce n’est ni plus ni moins que le renforcer en lui prêtant mille et un pouvoirs maléfiques. Oderint, dum metuant : Qu’ils me haïssent pourvu qu’ils me craignent…

Mais les accusateurs du DRS n’en démordent pas. Pour eux, ce sont les "services" et rien d’autre. Quand, avec patience, on leur demande d’expliquer pour quel bénéfice une telle opération aurait été montée, la réponse fuse : « pour obtenir le soutien de l’Occident et de la France » et « pour justifier la participation indirecte de l’Algérie à la guerre dans le Mali ». Ah tiens ? Comme si le soutien occidental à l’Algérie n’était pas garanti depuis déjà une vingtaine d’année, et cela avant, pendant et après la sale guerre. Et comme si le pouvoir algérien avait besoin de se justifier auprès de son opinion publique à propos de son soutien (tiède) à la guerre dans le nord du Mali.

Plus important encore, ceux qui accusent le DRS font mine d’oublier à quel point cette opération a été dévastatrice pour le pouvoir algérien et ce qu’il faut considérer comme étant sa sève vitale, comprendre le système de gestion des hydrocarbures. Dès le lendemain du drame, des compagnies pétrolières occidentales ont plié bagage tandis que les primes d’assurance montaient en flèche. Les hydrocarbures, on le sait, sont le cœur du pouvoir algérien. Sans eux, pas de rente, pas de redistribution et, bien sûr, pas d’enrichissement. De tous temps, le régime a bâti ses diverses stratégies en respectant au moins cette règle : être un fournisseur fiable de l’Europe en matière d’approvisionnements gaziers et pétroliers. En clair, être le meilleur partenaire possible en ce qui concerne la sécurité énergétique européenne. L’attaque du site de Teguentourine a écorné cette image et pousse aujourd’hui les autorités européennes à multiplier les réflexions prospectives quant à une possible interruption des livraisons de gaz algérien. Des acteurs comme le russe Gazprom ou le Qatar s’en frottent les mains car ce genre d’événement renforce leur position en tant que fournisseurs incontournables de l’Europe. Le DRS aurait donc scié la branche sur laquelle le système algérien est assis depuis cinquante ans ? Soyons sérieux.

Bien sûr, l’Algérie a une longue histoire de manipulations et de coups tordus derrière elle. Les accusateurs du DRS ont donc beau jeu, quand ils acceptent de relativiser leur propos tout en disant que cela pourrait être une manipulation ayant mal tourné. Mais là, encore une fois, il faut rappeler que le système algérien, dont le DRS est la colonne vertébrale, n’a jamais joué, ni de près ni de loin, avec les hydrocarbures. Jamais au grand jamais y compris dans les moments où il était le plus vulnérable aux critiques et pressions de la communauté internationale. Et ce n’est pas être un suppôt du pouvoir en place à Alger ou un dangereux naïf que de l’écrire. Ceci étant, on est libre de tout mettre sur le dos du DRS algérien, y compris le réchauffement climatique et la vague d’intempéries qui frappe actuellement le Maghreb central…
Akram Belkaïd
_

lundi 25 février 2013

Retour au Nord

_

Un soleil d’hiver caresse le Haut Gard
réminiscences algériennes
Un train entre en gare
retour aux brumes parisiennes
_

dimanche 24 février 2013

La chronique du blédard : Neige

_
Le Quotidien d'Oran, jeudi 5 février 2009
Akram Belkaïd, Paris
 
 
En février, l'aube à Paris est le plus souvent hideuse. L'hiver ne lui offre qu'une pauvre parure déchiquetée et ne tolère d'elle qu'une arrivée clandestine. Honteuse, certainement craintive face à la pénombre, la lumière prend son temps avant de s'installer. Dans la cour intérieure, tout n'est qu'ombres et formes incertaines.

Les sapins ne sont qu'une masse compacte, vaguement menaçante. Ils ressemblent à de mauvais garçons qui avancent épaules contre épaules, à la recherche d'un malheureux à dépouiller. Derrière eux, les volets fermés des proches immeubles témoignent de vies en suspens et de sommeils qui vont bientôt s'achever. D'une lucarne sans rideaux, s'échappent les ondoiements blafards d'un poste de télévision déjà allumé ou peut-être, c'est plus probable, jamais éteint. Sur les toits, une dense fumée s'échappe d'un conduit en briques. Il n'y a rien dans tout cela qui fouette et donne envie. L'insomniaque ne peut alors que regretter le chaud confort de ses draps.

Mais ce matin, les choses sont bien différentes. Une bonne nouvelle est arrivée, de celles que l'on attribue aux bienfaits du Créateur. La neige est tombée pendant la nuit et les flocons dansent encore autour des arbres aux branches chargées. Ce n'est pas vraiment le point du jour mais la lumière est partout et le ciel, comme le sol, est blanc. C'est un éclat inhabituel, comme si un projecteur invisible venait d'être braqué sur la ville. Les sapins ne sont plus une menace mais une invitation au souvenir. On dirait l'avant-garde d'une forêt alpine habillée de sa robe hivernale.

Au loin, vers le sud-est, le spectacle des flocons qui voltigent dans le halo jaune d'un réverbère fait frissonner et réaliser qu'aujourd'hui, la neige ne disparaîtra pas aux premières heures de la matinée. On se dit alors, qu'il serait prudent de sortir plus tôt de chez soi et de bien choisir ses chaussures. Ces réflexions gâchent un peu la magie du moment et l'on s'en veut d'avoir laisser ses pensées emprunter ce chemin. On essaie alors de se concentrer de nouveau sur cette poudre blanche qui s'amoncelle ici et là, mais le charme est rompu.

L'heure du thé et des premières nouvelles a sonné. Dans le poste de radio, une voix au ton un peu trop aigu pour l'heure énumère la liste des routes fermées à la circulation. Il y a des camions retournés, un chasse-neige enlisé, des pistes d'aéroport fermées et des températures qui pourraient faire penser au Grand Nord et à la Sibérie. On s'en veut une nouvelle fois pour avoir cédé aux réflexes habituels. La splendeur des arbres et le scintillement du ciel suffisaient amplement à nourrir ses sens. Au lieu de cela, les trémolos paniqués qui s'échappent de la station en modulation de fréquence chassent peu à peu le sentiment de plénitude pour instiller anxiété et préoccupations matérielles.

Il est maintenant sept heures. Dans la rue, le manteau blanc est à peine souillé. Quelques traces de pas, le sillon unique d'une voiture et, surtout, un silence inhabituel. On se dit qu'il faut profiter du moment car, tout cela ne va pas durer. D'ailleurs, cela commence déjà. Une dame, mot de Cambronne répété en boucle, tente vaille que vaille de nettoyer le pare-brise de son automobile.

Elle n'a pas de racloir ni de casserole d'eau tiède et ses chaussures à talons manquent de la faire tomber à chaque pas dans la poudreuse. La rue, le quartier s'animent. Petit à petit, des légions de marcheurs partent à l'assaut des trottoirs. Il y a les prudents, un pas ici, l'autre là, doucement, surtout ne pas glisser. Et il y a les aguerris qui tiennent absolument à le montrer, qui en font trop, certainement mus par la volonté d'exister quelques instants et de prouver aux autres -les prudents, les hésitants, les effrayés, les automates aux pas lents, très lents- qu'ils leur sont supérieurs.
 
Regardez bien ce grand échalas, sac au dos, bonnet andin, pantalon bouffant et après-skis : regardez-le tracer au milieu du trottoir, heureux du crissement martial qui l'accompagne. C'est son moment de gloire. Il va vite, n'a pas peur de s'étaler, soupire bruyamment quand un escargot gêne sa progression et prend à peine conscience qu'il vient de bousculer une mère qui tient fermement la main de son petit garçon. Mais arrivé au passage clouté, il glisse parce qu'il n'a pas suffisamment prêté attention à la petite flaque d'eau givrée bien cachée par une bouillie grisâtre. Moulinets des bras, nouvelle glissade et patatras. " justice... Heureusement, la voiture qui arrive est encore loin et le patineur du lundi a le temps de se relever, cherchant d'un regard noir le passant qui a brièvement imité Woody Woodpecker au moment où la loi de la gravité se rappelait à son bon souvenir...
 
Le service des bus n'a pas encore débuté, affirme le panneau électronique. Inutile d'aller vers la bouche de métro, le trafic de la ligne est très perturbé. C'est le tiers-monde, ou presque. On n'est pas à Montréal ou à Chicago, ces villes où la neige n'empêche rien et où le visiteur occasionnel-et frigorifié-ne manquera pas de se dire à maintes reprises : « toute cette neige et pourtant tout marche ». A Paris, comme à Londres, c'est (un peu) la pagaille, surtout à Londres d'ailleurs. Et l'on réalise soudain que ces grandes villes comme d'autres cités européennes ont progressivement perdu l'habitude des grands froids au cours des quarante dernières années.
 
Il est midi et l'enchantement a disparu. Au sol, c'est une purée boueuse qui macule les chaussures et les pantalons. Le flot des voitures et des piétons, une pluie glaciale et quelques petits engins de déblaiements ont saccagé la neige. Pour retrouver un peu de la magie de l'aube, il faut chercher une petite rue peu fréquentée ou s'arrêter aux grilles des parcs ou des squares fermés. On reste-là pendant plusieurs minutes, plongeant ses yeux dans la blanche quiétude des pelouses et l'on se dit, apaisé, que la bonne nouvelle a bien existé.
_

samedi 23 février 2013

Périph’

_
Je roule, accompagné par les mélodies de Brian Ferry. Nous sommes des dizaines de poissons entraînés par le courant, nous faufilant les uns entre les autres. Sarabande de lumières. Des points qui clignotent, des phares qui scintillent, des néons qui brillent. Le sentiment que je pourrais filer ainsi pendant des heures. Aller vers où me semble. Juste accélérer de temps à autre, la vitre baissée,  accompagné par le froid et le grondement des tunnels. Faire le tour de Paris comme jadis, il m’arrivait de contourner la ville blanche. Rouler, encore et encore.
_
© Akram Belkaïd

vendredi 22 février 2013

Ce n’est pas ainsi que doit tomber la neige

_

Des nuages blancs, peu épais. Transparents. Du ciel, chutent en flottant de petits grains de farine. Les voici au sol, tapis blanc vite dispersé par les rafales du nord. On dirait un paquet de lessive renversé à terre. Ce n’est pas ainsi que doit tomber la neige, protestent les enfants sur le chemin l’école. Ils n’ont pas tort. L’hiver aurait-il changé de robe ? Mais où est donc le gris ? Où est le plafond noir ? Et voici que perce le soleil. Lumière matinale et flocons. Quel est cet étrange mariage ?   
_
© Akram Belkaïd

La chronique du blédard : François Hollande oublie la lutte contre les discriminations

_
Le Quotidien d'Oran, jeudi 23 février 2013
Akram Belkaïd, Paris
 
Les socialistes français seraient-ils d'indécrottables menteurs pour ce qui concerne la lutte contre les discriminations dont souffrent les populations d'origine étrangères ? Depuis le début des années 1980, l'histoire ne cesse de se répéter. D'abord, des promesses, de beaux discours et une volonté proclamée d'être différent de la droite en ce qu'elle peut véhiculer comme discours xénophobe et excluant. Ensuite, une fois l'élection, présidentielle ou législative, remportée, vient le renoncement, le discours dit réaliste et l'agacement à l'égard de celles est ceux qui espéraient que les promesses seraient tenues (*). Des promesses et de la déception, c'est aussi cela la gauche socialiste (de retour) au pouvoir.

Depuis le mois de mai dernier, les choses ont-elles changé pour ceux que l'on désigne par l'expression Français d'origine étrangère, comprendre les Noirs et les Arabes ? La réponse est évidemment non. Si le gouvernement s'est pleinement engagé dans certaines batailles clivantes, à commencer par celle du mariage pour tous, il a repoussé aux calendes grecques l'urgence d'une politique de lutte contre les discriminations. Oubliées donc les belles promesses électorales d'une France pour tous, sans aucune exclusive. Oublié le constat selon lequel l'égalité des chances est une urgence nationale au nom d'une cohésion sociale en lambeaux. Et, comme toujours, ce renoncement est présenté comme une nécessité tactique du fait d'un contexte politique difficile. On connaît les arguments avancés : ne pas donner raison à l'extrême-droite ou, tout simplement, à la droite. Attendre des jours meilleurs et la reprise de l'économie. Espérer des circonstances particulières qui, comme la Coupe du monde de football 1998, pourraient permettre au gouvernement de convaincre la population française qu'il est temps d'honorer ce terme d'«égalité» dont on finit par se demander pourquoi il est inscrit au fronton des mairies.

Pour l'étranger, pour le fils ou la fille de l'étranger, pour celui qui a la peau noire ou qui porte un prénom inhabituel, pour l'arabe ou le musulman, les temps sont loin d'être faciles et il flotte comme un air de «sarkozie» dans la France de François Hollande. Au ministère de l'intérieur, est désormais installé Manuel Valls, héritier direct, pour ne pas dire clône, de l'ancien président français. On n'y parle pas d'égalité, d'accueil ou de lutte contre les discriminations à l'emploi et au logement – les deux maux les plus insidieux de la société française. Non, on continue de jouer au matamore, on clame que l'on va continuer à cogner les uns et à expulser les autres. Dans le métro parisien, dans les gares, sur les routes, le contrôle au faciès n'a pas disparu, loin de là.

Pour dire les choses de manière simple, l'étranger continue d'être brutalisé. Quant au Français d'origine étrangère, il ne cesse d'attendre qu'on l'aide à crever ce plafond de verre qui empêche son ascension sociale. On pensait que les émeutes de 2005 et de 2007 avaient provoqué une prise de conscience salutaire. C'était une erreur. La crise de 2008 est passée par là et, avec elle, une provincialisation de la classe politique française, incapable d'imaginer son travail et son engagement uniquement que par le biais de la frénésie sondagière et de l'usage d'expédients concoctés par de savants communicants. Droite ou gauche, c'est kif-kif…

Prenons la question du droit de vote aux élections locales pour les étrangers. Un pas en avant, trois en arrière. Un matin, c'est à l'ordre du jour, le lendemain ce n'est plus d'actualité. Quelle désinvolture, quel mépris ! Pour donner le change, on parle de faciliter les naturalisations. Comme si cela pouvait être possible. Comme si cela pouvait constituer une sorte de compensation au fait de ne pas considérer comme égaux un étranger européen (qui a le droit de vote) et un étranger non-européen. On peut estimer que cette affaire du droit de vote pour les étrangers n'est pas prioritaire. Il n'en demeure pas moins qu'elle reste symbolique des tergiversations des socialistes pour ne pas parler de leurs ambiguïtés.

Il est temps de dénier ouvertement à la gauche socialiste sa qualité de courant politique intrinsèquement progressiste. Car, c'est cela qui crée le malentendu. «Nous sommes socialistes, nous ne pouvons être racistes ou indifférents aux souffrances des Français d'origine étrangère voire des étrangers eux-mêmes» :c'est le discours que tiennent souvent les responsables de la rue Solferino et leurs ouailles. Et c'est ce propos qu'il ne faut plus prendre pour argent comptant. Les socialistes au pouvoir et leur ministre de l'intérieur néoconservateur, n'ont rien à envier à Nicolas Sarkozy. Et il leur faudra désormais faire leurs preuves pour démontrer le contraire.

A ce sujet, les élections municipales prévues en 2014 seront un grand test. Outre la question du vote des étrangers, on regardera avec attention la composition des listes électorales. Mais, le pari peut d'ores et déjà être pris. La «discipline du parti» et les exigences du «principe de réalité» vont, encore une fois, décevoir nombre d'attentes car, en l'état actuel, on voit mal le parti socialiste se transformer soudainement, en héraut de l'égalité des chances. Et, d'ici là, on peut toujours rêver de voir la question des discriminations être posée en tant que priorité des priorités nationales.

(*) Lire à ce sujet, «La lutte antidiscrimination ou la promesse oubliée», tribune publiée dans Le Monde daté du 15 février 2013 par Amirouche Laïdi (président du Club Averroes), Charles Aznavour (artiste), Saïd Taghmaoui (acteur) et Fadila Mehal (présidente des Marianne de la diversité).
_

jeudi 21 février 2013

La chronique économique : L'exemple canadien

_
Le Quotidien d'Oran, mercredi 20 février 2013
Akram Belkaid, Paris
 
 
 
En ces temps de crise où les finances publiques de nombreux pays – dont les Etats-Unis et les Etats européens – ressemblent à un gouffre, existe-t-il une voie à suivre ou un modèle à copier ? La réponse, on s’en doute, n’est pas simple mais il y a, tout de même, quelques pistes qui méritent réflexion, à commencer par le cas canadien dont on parle peu. Pour bien le comprendre, il faut revenir au début des années 1990, époque où le Canada était en totale déroute économique et où la presse anglo-saxonne le traitait même de « membre honoraire du tiers-monde ». Dès 1992, les agences de notation dégradaient ce pays qui perdait ainsi son précieux AAA.

AUSTERITE POUR TOUS

L’opération de redressement des comptes publics canadiens a débuté en 1993 et elle est passée par une discipline budgétaire d’airain. Les gaspillages étaient traqués, l’austérité généralisée et les grands responsables publics ont été priés de donner l’exemple en acceptant des coupes drastiques dans leurs budgets et salaires. Le choc fut violent mais le Canada disposait alors d’amortisseurs sociaux qui ont permis de compenser – en partie - ses effets. Le gouvernement du Premier ministre Jean Chrétien (1993-2003) a multiplié les explications et n’a eu de cesse de faire de la pédagogie pour justifier des baisses budgétaires qui ont atteint, en moyenne, entre 20 et 25%. En cinq ans, le nombre d’employés de l’administration publique fédérale est passé de 405.000 à 330.000. Résultat, les comptes du Canada sont revenus dans le vert en 1998 et le pays a regagné son triple A en 2002.
 
Aujourd’hui, cette expérience canadienne du retour en grâce auprès des agences de notation est connue de tous les pays européens, à commencer par la France. Un nombre incroyable de missions parlementaires s’est rendu à Ottawa pour analyser la réforme profonde de l’appareil d’Etat canadien. Austérité générale et appliquée à tous, effort de pédagogie, « exemple » par le haut, redéploiement d’une ressource d’un secteur à l’autre, hausse des impôts : les ingrédients de la recette sont connus mais sont rarement transposés. Ainsi, en France, aucun homme politique n’osera s’attaquer au mille-feuille administratif avec sa superposition de pouvoirs nationaux, régionaux, départementaux et locaux qui coûtent cher au contribuable. D’ailleurs, à les entendre, les responsables canadiens commencent à être fatigués de ces incessantes visites qui ne débouchent sur rien, dans les pays concernés si ce n’est la rédaction de rapports vite oubliés.

RETOUR A LA CASE DEPART ?

Mais, aujourd’hui, le Canada est de nouveau en situation de déficit budgétaire. Certes, son triple A ne semble pas menacé mais l’inquiétude est présente. Pourquoi une telle évolution alors que ce pays était présenté comme l’exemple à suivre en matière de contrôle des finances publiques ? Deux raisons principales sont à avancer. La première est qu’Ottawa a décidé d’appliquer la recette de la relance budgétaire pour compenser la crise financière de 2008. La seconde, et c’est un paradoxe, est que le gouvernement conservateur (voire néo-conservateur), élu en 2006, a décidé des baisses d’impôts (comme l’a fait George W. Bush, unique président américain à avoir engagé son pays en guerre tout en baissant les impôts…). Résultat, l’effort de relance a été financé par la dette et le Canada espère revenir à l’équilibre budgétaire en 2015. Une promesse qui, si elle n’est pas tenue, pourrait bien lui valoir de perdre son AAA. Vingt ans plus tard, le pays de la feuille d’érable s’en reviendrait ainsi à la case départ.
_


mercredi 20 février 2013

De l'Algérie et des "menaces" du Qatar

_
(mise à jour après le démenti du ministère des Affaires étrangères à Alger)


« Votre tour viendra… ». C’est la menace qu’aurait adressé Hamad bin Jassim Al Thani, le ministre qatari des Affaires étrangères à Nadir Larbaoui, l’ambassadeur d’Algérie en Egypte. L’altercation se serait produite lors d’une réunion de la Ligue arabe au Caire, le diplomate qatari reprochant vertement à l’Algérie de refuser de renvoyer l’ambassadeur de Syrie en poste à Alger. Relayée par la presse égyptienne puis par de nombreux sites internet, cette information a provoqué maintes réactions et indignations de la part des internautes algériens (lire commentaires ici). Le sentiment hostile au Qatar s’y est de nouveau exprimé avec virulence. On le sait, l’émirat du Golfe n’est guère en odeur de sainteté en Algérie, car accusé de vouloir déstabiliser le monde arabe par le biais d’un Printemps que beaucoup soupçonnent de n’être qu’une volonté des Etats-Unis d’installer des régimes théocratiques qui lui feraient allégeance.

Finalement, l'information a été démentie par le ministère algérien des Affaires étrangères (lire ici). Il n'en demeure pas moins que cette affaire est porteuse de beaucoup d'enseignements à commencer par la défiance montante entre l'Algérie et ce pays du Golfe car ce n'est pas la première fois que de telles informations circulent.
 
On n’entrera pas ici dans une énième argumentation pour défendre l’idée que le Printemps arabe n’est pas un complot et que c’est faire insulte aux peuples en révolte que de le penser. De même, il ne faut pas être dupe. Si cette affaire fait tant de bruit, c’est qu’elle permet de détourner l’attention en faisant passer au second plan le dossier explosif de la corruption à la Sonatrach (avec ce qu’elle provoque comme remous à commencer par la fameuse lettre d’Hocine Malti au général Toufik, patron des services algériens de sécurité).

Exister pour survivre
 
L’idée est plutôt de parler du Qatar et de ses relations avec l’Algérie et d’autres pays arabes. Sur le plan géographique, militaire ou démographique, cet émirat n’est rien ou presque. Certes, il s’agit d’un confetti très riche (il possède les troisièmes réserves mondiales de gaz naturel) mais son comportement sur la scène international n’est dicté que par une seule nécessité : exister en permanence pour ne pas être, demain, englouti par l’un de ses puissants voisins (Iran, Irak ou Arabie Saoudite). C’est ce qui explique cette frénésie médiatique, cette envie d’être présent aux quatre coins du monde occidental (et d’ailleurs). Protégé par les Etats-Unis (qui y possèdent une base gigantesque), le Qatar oublie parfois qu’il serait insignifiant sans ce puissant protecteur. Nombre de ses dirigeants, dont le ministre des Affaires étrangères, semblent même avoir attrapé la grosse tête, ivres d’une médiatisation à outrance qui leur fait confondre notoriété et puissance. Ainsi, le Qatar est un peu à l’image de ce sale gosse malingre qui, dans les cours de récréations, insulte un peu tout le monde et se comporte comme un petit tyran parce qu’il est l’ami et le protégé de gros malabars. Bref, quand Hamad bin Jassim Al Thani enjoint aux Algériens de suivre la ligne suivie par le Qatar (notamment en ce qui concerne le cas syrien) il oublie qu’il n’est rien d’autre qu’un vassal des Etats-Unis et que c’est cela qui lui permet de jouer au matamore.
 
Mais, il n’y a pas que cela. Si le Qatar est omniprésent sur la scène arabe, c’est aussi parce que la diplomatie a horreur du vide. Qu’on le veuille ou non, l’Algérie n’existe plus ou presque sur la scène internationale. Sa voix ne se fait plus entendre. Son président est aux abonnés absents et son appareil diplomatique semble tétanisé comme l’a montré son étonnante discrétion lors des crises libyenne puis malienne. Quand l’Egypte va mal, quand la Syrie est à feu et à sang, quand l’Irak n’en finit pas de sombrer dans la guerre confessionnelle et quand l’Arabie Saoudite n’en peut plus de sa gérontocratie, il ne faut pas s’étonner de voir le Qatar profiter de l’occasion pour essayer de s’imposer en tant que leader du monde arabe ( !).

Pour le Qatar, tout s’achète
 
Cela est d’autant plus vrai que les dirigeants de ce pays grand comme la Corse sont persuadés que le monde arabe est à vendre au plus offrant. C’est là l’une des convictions qui fonde l’action internationale du Qatar. En France, en Europe comme ailleurs, l’argent est pour cet émirat un excellent moyen d’ouvrir les portes et de s’imposer en tant qu’interlocuteur incontournable. Cela vaut aussi pour l’Algérie. Car, celles et ceux qui s’indignent à propos du « votre tour viendra », semblent avoir oublié la récentevisite à Alger de l’émir Hamad ben Khalifa al-Thani. Durant cette visite, huit accords économiques ont été signé dont celui concernant le site sidérurgique de Bellara (10 millions de tonnes d’acier par an). Pour mémoire, l’attribution de la construction de ce complexe sidérurgique à un groupe qatari (Qatar Steel international) s’était faite au détriment du groupe algérien Cevital. La preuve que ceux qui promettent aux Algériens que « leur tour viendra » sont très bien accueillis en Algérie… Et s’il fallait une seconde preuve, il suffit de savoir que l’un des accords signés lors de cette visite concerne la création d’un centre d'élevage d'outardes dans la région d'El Bayadh (sud-ouest algérien). On le sait, cet échassier, théoriquement protégé, est un gibier de chasse prisé par les émirs du Golfe.
 
Pays absent de la scène internationale et producteur d’outardes pour les chasses royales du Golfe… Pays que l’on peut donc tancer à volonté : c’est peut-être ainsi que le Qatar regarde aujourd’hui l’Algérie… La question étant, à qui la faute ?
_

 

 

mardi 19 février 2013

La lettre au général Toufik et la présidentielle de 2014

_


C’est un fait. La lettre adressée par Hocine Malti, ancien vice-président de Sonatrach (1972-1975) au général Mohamed Médiène alias Toufik, est un événement majeur et ô combien inattendu dans l’actualité algérienne. D’abord, parce qu’il est exceptionnel que le patron du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), le service de renseignements algérien, soit interpellé de la sorte. Ensuite, parce que la presse algérienne a fait écho de ce courrier, le quotidien El Watan l’ayant même publiée de manière intégrale (et cela contrairement à ce que semblait penser  l’auteur de la lettre). Le sujet de la missive est lui-même explosif puisqu’il concerne un nouveau scandale à propos de pots-de-vin que des responsables algériens auraient touchés de la part de la compagnie pétrolière italienne Saipem. Tout cela se passant dans un contexte plutôt inquiétant où les apparitions du chef de l’Etat algérien Abdelaziz Bouteflika sont de plus en plus espacée (il a fallu attendre plus de vingt jours avant sa réaction à la prise d’otage de Tiguentourine…).

Que va-t-il donc se passer ? A Alger, la justice algérienne vient de se manifester en estimant de son devoir d’enquêter sur ce qu’il convient désormais d’appeler l’affaire Sonatrach 2. On comprendra que l’homme de la rue soit plutôt réservé quant aux suites de cette enquête qui ne concerne pas que du menu-fretin. Mais, sait-on jamais. Les révélations de la presse italienne sont loin d’être terminées et il faut s’attendre à d’autres surprises.

On est en droit aussi de se demander pourquoi une telle lettre a pu être publiée dans la presse algérienne et cela sans – du moins jusqu’à présent – représailles. Interpellé de manière vigoureuse, le général Toufik a-t-il donné son feu vert pour une telle publication ? A-t-il jugé que les éléments cités dans le courrier contribuent surtout à pointer un index accusateur en direction du clan présidentiel ? Ce dernier, affirme la rumeur algéroise, étant décidé à obtenir un quatrième mandat ? Faut-il aussi penser que le général Toufik, « dieu de l’Algérie » comme l’a martelé Hocine Malti, n’a pu empêcher la publication d’un tel courrier ? Ce qui tendrait à mettre en évidence l’existence de divisions au sein même du cœur du pouvoir algérien ?

Ces questions restent posées et elles traduisent bien le climat politique délétère qui règne actuellement en Algérie. Un calme factice qui cache des manœuvres de fond dont personne ne sait sur quoi elles vont déboucher. Mais, une chose est certaine, rien n’est encore joué pour l’élection présidentielle de 2014.

Akram Belkaïd
_

lundi 18 février 2013

Au Maghreb des Livres

_
Photo : Akram Belkaid.

Au Maghreb des Livres, samedi 16 février 2013. Dédicace de "La France vue par un blédard - chroniques" (référence ci-jointe).
_

jeudi 14 février 2013

La chronique du blédard : Hommage à Smaïl Kerdjoudj

_
Le Quotidien d'Oran, jeudi 14 février 2013
Akram Belkaïd, Paris

 
Mercredi 6 février, au cimetière Benomar à Alger (Kouba), je n'ai pas trouvé le courage de prendre la parole pour dire quelques mots à propos de celui que nous allions mettre en terre. Ce n'était pas la faute aux rafales de vent et de pluie glaciale. Ce n'était pas de la timidité. Là, sous un ciel gris-noir et dans cette colline bordée par des oliviers, mes forces, autant morales que physiques, se sont soudain dérobées. Pourtant, il y avait beaucoup à dire à propos d'un homme dont je ne connaissais certainement pas tout le parcours mais que j'ai eu la chance et le privilège de côtoyer durant près de vingt ans.

Evoquant la disparition de Smaïl Kerdjoudj, voici ce que m'a écrit un universitaire algérien qui le connaissait bien : « Son intelligence, sa discrétion, sa fidélité et sa générosité nous manqueront. A l'image de nombreux anciens hauts cadres de l'Algérie indépendante, notre pays perd un authentique serviteur de l'État et un vrai patriote (sans du tout tomber dans un lyrisme déplacé). » Tout est dit, ou presque, dans ces lignes qui précèdent. Homme érudit, parfaitement trilingue (arabe, français et amazigh), grand amateur de poésie, qu'elle soit arabe ou française, mais aussi de littérature universelle, d'histoire et de musique arabo-andalouse, Smaïl Kerdjoudj a fait partie d'une génération dévouée pour qui l'Algérie importait plus que tout.

Une génération pour laquelle il fallait construire un Etat fort avec de solides institutions. Une génération qui, au lendemain de l'indépendance, s'est retrouvée confrontée au vide humain, administratif et technique. « Il a fallu faire face, avec peu de moyens. Tout était à construire, à reconstruire ou à inventer » disait-il en évoquant cette période de grandes espérances mais aussi de chaos et d'incertitudes politiques récurrentes. Travailler dur, ne pas compter ses heures ni ses jours, n'avoir que peu de temps à consacrer à sa famille. Ce fut le lot de ce haut cadre pour qui l'Algérie n'avait et n'a encore besoin que de deux choses : « de l'ordre et de la méthode ».

Peut-être aussi n'ai-je pas parlé par pudeur, par volonté de ne pas transformer un moment d'une douleur intense en tribune politique fut-elle implicite. Car évoquer le parcours de Smaïl Kerdjoudj revient aussi à instruire le procès d'un système politique qui n'a cessé de violenter et, au final, de marginaliser, nombre de compétences qui entendaient et pouvaient (!) - construire une Algérie prospère et moderne. Comme tant de hauts cadres, il a connu l'hostilité des ignares et autres parvenus-combattants de la dernière heure. Comme eux, il a subi la hogra et la mise au placard. Il a vécu les conséquences indirectes de règlements de compte au sommet du pouvoir mais aussi les haines d'incompétents parachutés aux plus hautes fonctions pour le terrible malheur de l'Algérie. Ainsi, cet ancien Premier ministre, aujourd'hui réduit à tendre la sébile dans le Londonistan britannique, qui fit tout son possible pour briser un homme droit ayant refusé de lui faire allégeance.

Le délitement de la fonction publique et de l'appareil administratif algérien durant les années 1980 et 1990 est l'une des choses qui a le plus peiné Smaïl Kerdjoudj. Partagé entre l'incrédulité et l'indignation, il a vu des cancres accéder à de hautes responsabilités, tel cet ancien sous-préfet viré le mot n'est pas trop fort pour insuffisance et devenu quelques années plus tard, la motte de chique toujours collée sous les lèvres, un influent ministre dans les années 1980. Tout ce à quoi il avait contribué s'étiolait peu à peu dans une espèce de débandade générale et de fuite en avant. Dans nos discussions, il écoutait avec attention les critiques virulentes à l'encontre du pouvoir et des « décideurs » mais, pour lui, au final, revenait l'urgence de limiter la casse et de préserver ce qui pouvait l'être en attendant des jours meilleurs.

Déjà éprouvé par la vie, je l'ai souvent senti malheureux durant les années de fer et de cendres où chaque jour apportait son lot de mauvaises nouvelles. Je l'ai vu attristé par les effusions de sang et les révoltes et manifestations matées par la violence. Je le savais profondément indigné par la hogra à l'égard de la population. Mais, je le savais aussi fier dès lors qu'une réalisation se concrétisait quelque part en Algérie. Nouvelles routes, constructions ou usines, tout cela répondait à son attente et son espérance de voir l'Algérie s'équiper et sortir de manière définitive du sous-développement.

J'ai aimé et admiré Smaïl Kerdjoudj pour ce qu'il était. Un homme intègre. Né pauvre - il ne s'en cachait pas - il a construit sa vie et sa carrière pas à pas, avec détermination et honnêteté. Il me revient souvent en mémoire ses anecdotes à propos de la période coloniale comme par exemple l'humiliation ressentie lors des séances de contrôle d'hygiène infligées aux seuls « indigènes ». Mais, il me parlait aussi de sa réussite au baccalauréat et de ce que cela avait procuré comme joie et fierté à nombre d'habitants de Bejaïa. Il évoquait aussi avec nostalgie ses études de droit à Bordeaux et sa décision de rejoindre le FLN pendant la guerre de libération.

La nostalgie, et un je ne sais quoi d'indéfinissable, une sorte de tristesse mélancolique, était aussi présente lorsqu'il évoquait ce qu'il qualifiait de plus belles années de sa carrière, c'est-à-dire son travail aux côtés d'Ahmed Medeghri. Anecdotes, voyages dans l'Algérie profonde à peine remise des violences de la guerre d'indépendance, urgence de doter le pays d'institutions locales, arrière-fond politique inquiétant (on était dans les années 1970 ), tout cela revenait souvent dans la discussion, m'incitant à comprendre que l'édification de l'Etat algérien moderne ne fut pas chose aisée

Algérien, Smaïl Kerdjoudj l'était assurément mais il y avait en lui quelques singularités qui le dissociaient de nombre de ses concitoyens, surtout ceux qui, comme lui, ont occupé de hautes fonctions. D'abord, je n'ai jamais senti chez lui le moindre sentiment de classe ou de supériorité à l'égard des autres. Sa porte a toujours été ouverte et il a aidé les plus humbles. D'ailleurs, sa vie pourrait être décrite comme une suite d'interventions, de sollicitations permanentes et de fâcheux et fâcheuses ayant abusé de sa gentillesse et de sa générosité. Ensuite, je n'ai jamais discerné chez lui ce terrible principe du « nous contre les autres » qui régit (et empoisonne) nombre de relations sociales algériennes. Pas de clanisme, pas de tribalisme, pas de açabiya et encore moins de régionalisme (en privé comme en public). En cela, et comme pour le reste, il demeure un exemple à suivre.
_

La chronique économique : L’Algérie et les piliers de la compétitivité

_
Le Quotidien d'Oran, mercredi 13 février 2013
Akram Belkaïd, Paris

De manière régulière, des manchettes de presse se font l’écho d’une ambition algérienne, comme par exemple le fait de doter le pays de nouvelles infrastructures ou de lui faire jouer un rôle prépondérant dans la mondialisation. Disons-le clairement, ces mots d’ordre paraissent souvent décalés par rapport à une désespérante réalité. Ainsi, comment ne pas sourire à la lecture d’un titre annonçant la transformation prochaine de la place d’Alger en «hub financier régional» ? Un objectif qui paraît bien démesuré quand on sait qu’il est pratiquement impossible de payer par chèque d’une ville à une autre, cela sans oublier les fréquentes pénuries d’espèces aux guichets bancaires ou postaux…
 
LES DOUZE PILIERS DE LA COMPETITIVITE
 
En fait, et sans en sacraliser le contenu, il serait bon de se référer de manière régulière à l’indice de compétitivité élaboré par le Forum économique mondial. Rappelons que l’Algérie pointe à la 110e place mondiale (sur 144 !) du classement établi sur la base de cet indice. Un rang peu glorieux qui devrait inciter, c’est le moins que l’on puisse faire, à se garder des discours grandiloquents sur le dynamisme de l’économie algérienne et de son potentiel. En réalité, ce dynamisme n’est rien d’autre que le recyclage, sous différentes formes, de la rente pétrolière. L’équation est simple: sans hydrocarbures, il ne peut y avoir d’échanges économiques internes et externes. Quelle que soit l’activité, la chaîne de valeur a pour fondement -et carburant- la rente pétrolière et l’Algérie n’est toujours pas guérie de cette maladie.

Que dit le Forum économique mondial ? Pour lui, il ne peut y avoir d’économie compétitive sans l’existence de douze piliers, les quatre premiers étant qualifiés «de base» ou «fondamentaux». Il s’agit des institutions, des infrastructures, de la stabilité économique et, enfin, de la santé et l’éducation de base. Viennent ensuite les cinq piliers «de développement de l’efficacité», à savoir l’enseignement supérieur et la formation, l’efficacité du marché de biens, l’efficacité du marché du travail, le développement du marché financier et, pour finir, la maturité technologique. Ce n’est que si ces neuf piliers existent, que l’économie en question peut être propice à l’innovation, cela à la condition que cette dernière s’appuie sur trois piliers supplémentaires : la taille du marché, les processus de production haut de gamme et, last but not least, la recherche et le développement.

Avant même de parler d’innovation, il est donc important de se poser la question de savoir où en est l’Algérie pour ce qui concerne les piliers fondamentaux ? La réponse à ce sujet est des plus mitigées. Certes, l’Algérie a des institutions qui fonctionnent vaille que vaille. De même, est-elle en train de s’équiper en infrastructures après plus d’une décennie de stagnation. Mais, à l’inverse, la stabilité économique est loin d’être garantie et un revers des prix du pétrole pourrait causer d’importants dégâts en freinant une multitude de projets. Plus important encore, ni la santé ni l’éducation ne sont des motifs de satisfaction. Bien au contraire, ces deux secteurs témoignent de la dégradation des conditions de vie des Algériens.
 
UN REPERE POUR LA DIASPORA
 
Cette grille de lecture pour la compétitivité vaut aussi, d’une certaine façon, pour la diaspora algérienne. Comment convaincre cette dernière de rentrer ou, tout du moins, d’investir plus dans le pays et de permettre la diversification de l’économie ? La réponse n’est pas simple mais il est certain que les piliers de base décrits ci-dessus sont des indicateurs incontournables. Habitués, pour nombre d’entre eux, à vivre dans des pays développés, les Algériens de l’extérieur ne reviendront dans leur pays d’origine qu’à la condition que ce dernier leur garantisse l’existence d’institutions pérennes et indépendantes ainsi qu’un minimum d’infrastructures. Cela sans parler de la nécessité de leur offrir des systèmes de santé et éducatif performants.
_

mercredi 13 février 2013

mardi 12 février 2013

Philosophe-couillon

_

Philosophe-couillon
Ambassadeur de mesdeuze
Tu as baisé les pieds du dictateur
Tu as léché les ongles de la coiffeuse
Et voilà que tu t’agites, éructes et pleures
Philosophe à deux millimes :
Ta gueule !
_

lundi 11 février 2013

Un enterrement

_
Par Akram Belkaïd, Paris-Alger
 
Dans un avion du matin, au Nord, il y a des femmes et des hommes qui sanglotent. Ils ne se connaissent pas mais ils partagent la même douleur et la même angoisse. L’avion partira-t-il à l’heure ? Arriveront-ils à temps ? Les minutes passent, l’embarquement se prolonge. Les inévitables retardataires s’installent tranquillement, ne se doutant guère du désarroi qui les entoure, de la colère étouffée qu’ils provoquent. La porte de l’appareil se ferme enfin. Il n’y a plus qu’à prier pour que le vol soit le plus rapide possible.
 
Dans un autre avion, toujours au Nord, une femme pleure. Elle aussi n’est pas la seule à être déchirée par le chagrin. Elle réalise ainsi que les vols du matin en direction du Sud, sont ceux du départ en catastrophe, celui du retour forcé provoqué par un terrible et redouté appel reçu la veille. Rentrer au pays, être avec les siens pour un dernier au revoir à celui ou celle qui est parti... Au Nord, dans les avions du matin, il y a des pleurs, des cris étouffés et même le ciel gorgé d’eau et brisé par les éclairs, se met de la partie.
 
Dans une pièce, loin de là, au Sud, des femmes pleurent. Assises sur des matelas posés à même le sol, elles entourent un corps désormais sans vie après l’avoir veillé toute la nuit. Au dehors, dans le jardin ou dans la rue, sous une pluie fine qui annonce des heures éprouvantes, les hommes parlent au téléphone, s’interrogent, attendent des nouvelles des uns, des informations des autres. Quelqu’un dit que les avions ont enfin décollé. Cela soulage ceux qui s’inquiétaient. Mais, il faut s’affairer, régler mille et un détails, penser à la veillée du soir. Des voisins proposent leur aide, des amis apportent des chaises. D’autres de la nourriture. La journée va être longue.
 
Dans les avions qui naviguent vers le Sud, les pleurs n’ont pas cessé. Dans les têtes défilent des images, des souvenirs heureux, des rires et des regrets aussi. Et voilà ce temps, passé trop vite au cours de ces dernières années, qui s’écoule si lentement. Voici enfin la mer. Plus qu’une heure sauf si le mauvais temps se met de la partie. Des éclairs, la grêle, un mur noir qui se dresse dans la baie d’Alger, tout cela aggrave la sensation de fin du monde que l’on sent flotter dans les cabines. Mais, c’est fini. Les atterrissages ont eu lieu. Il faut maintenant courir, convaincre les autres passagers de céder leur place au contrôle de police. « Djanaza » (funérailles) est le sésame qui fait s’écarter les plus réticents et s’incliner les plus compatissants.
 
La voiture file le long de l’autoroute du front de mer. Alger est plus que maussade. Elle pleure des hectolitres d’eau glaciale. Le chauffeur a la délicatesse de se taire. Sa mission est d’arriver à bon port avant midi, heure de la levée du corps. Cette dernière a lieu dans les pleurs et la dignité. « Allah est grand », « Nous à sommes à Dieu et à Lui nous revenons » crient les gorges serrées. Le cercueil, enveloppé du drapeau vert, blanc et rouge, est porté par les proches. Fils, gendres et neveux. Quelques mètres plus loin, des pompiers prennent le relais. Le convoi funéraire s’éloigne dans un bruit de sirène. Les femmes, interdites de cimetière (!), restent à la maison. Seules... Instants terribles qui signifient pour elle la fin. La parenthèse qui s’est vraiment refermée.
 
Dans la cour de la mosquée de Benomar, amis et anonymes viennent d’accompli la prière du mort. Le convoi fait route maintenant vers le proche cimetière. Une colline entourée d’oliviers. De l’herbe, des fleurs. Les allées sont boueuses. Les pompiers avancent au pas lent, celui qui sied à une telle occasion. Le corps dans son linceul est déposé dans la même dernière demeure que celle de son épouse, rappelée à Dieu vingt-quatre ans plus tôt. Instants de générosité et de dévouement où trois hommes se déchaussent et entrent dans la tombe pour aider à placer le corps. La pluie commence à tomber de plus en plus fort. C’est maintenant l’heure de la Fatiha et, bientôt, de l’adieu final. Des mains se tendent, des condoléances sont prononcées. La terre est tassée. C’est terminé. Dans le ciel, une « âme rassérénée » revient à son « Seigneur, agréante, agréé » (*).

Ce texte est dédié à la mémoire de Smaïl Kerdjoudj, rappelé à Dieu le 5 février 2013 et enterré à Alger, cimetière de Benomar, le 6 février 2013.

Akram Belkaïd 

(*) Sourate de L’Aube.

La chronique du blédard : Le football et sa gangrène

_
Le Quotidien d'Oran, jeudi 7 février 2013
Akram Belkaïd, Paris
 
Il y a quelques années, en visite à Casablanca, j’ai passé un long moment à regarder un match de football improvisé dans l’un des parcs de la ville. C’était un dimanche après-midi, les joueurs avaient entre dix et quinze ans et il se dégageait de leur partie une intensité qui m’a ramené bien des années en arrière, à l’époque où, les cours du collège terminés, nous jouions jusqu’à la nuit tombée et parfois bien plus tard… En 3-6 ou, plus souvent, en 6-12 (mi-temps au sixième but, victoire au douzième), nous trouvions toujours l’énergie pour prolonger le plaisir et remettre ça. Offrir une revanche, jouer la belle ou tout simplement refaire les équipes et entamer une nouvelle série pour permettre aux perdants de s’en revenir chez eux un peu moins vexés.
 
C’est ce que j’ai revécu en spectateur à Casa. Certes, tout n’était pas parfait. Je ne parle pas du jeu en lui-même, parfois chaotique et haché. Cela m’importait peu puisque c’est là aussi que réside la beauté du foot : un désordre presque bestial, un ballon qui semble emporté par des vents invisibles mais qui revient toujours en jeu. Des tirs ratés, des passes vendangées. Et puis, au milieu, la feinte superbe. L’éclair de vivacité, le passement de jambes ou le petit-pont meurtrier... Non, ce qui me gênait, c’était l’attitude de certains des jeunes joueurs. J’avais en face de moi des petits clones de vedettes du football européen. Leurs gestes, leurs postures, tout cela empestait la télévision et ce qu’elle véhicule comme conformisme et images faussement spontanées.
 
J’ai lu un jour que les centres de formations de football étaient des usines à formater les jeunes joueurs. Des endroits sans fantaisie où l’on tue la créativité et où les talents originaux sont condamnés d’avance. En clair, le genre de maison à fabriquer des Dessailly ou des Deschamps en pagaille sans jamais permettre l’éclosion du moindre Zidane. Le fait est que ce nivellement par le bas est facilité par la télévision et ce qu’elle diffuse comme attitudes standardisées. Terminée l’intuition, le caractère inné du jeu : les images imposent de tristes modèles et techniques à suivre et pas uniquement en terme de modes capillaires ou de tatouages vulgaires.
 
Malgré ces emprunts inutiles - soyez vous-mêmes ! avais-je envie de crier -, j’ai apprécié le match. Les gamins avaient la hargne, la chehna. Ils voulaient gagner même si les uns cherchaient à singer Ronaldo, se tenant droits comme un i y compris pendant leur course après le ballon. Surtout, personne ne semblait tricher. Certes, il y avait l’inévitable épuisé, celui qui n’a plus de forces et qui reste en défense, trop heureux de dégager le ballon fort et en l’air sans avoir à fournir de nouveaux efforts. Mais, ce n’était que cela. Pas de tricherie, pas de soupçons à l’égard des joueurs malheureux dans une relance et un auto-arbitrage plutôt efficace.
 
Si je vous raconte tout cela, c’est parce que l’actualité vient de nous prouver une nouvelle fois que le football de haut niveau est pourri. Non, le mot n’est pas trop fort. C’est un secret de polichinelle. Cela fait des années que l’on sait que des matchs sont truqués, que des joueurs sont achetés. Certes, apprendre que près de 700 rencontres ont été arrangées, y compris en Coupe d’Europe ainsi que lors des qualifications de la Coupe du monde 2010, n’est pas chose anodine. Mais, à dire vrai, qui peut en être étonné ?
 
Avec l’irruption des paris en ligne, la triche, qui a toujours existé - souvenons-nous de l’Italie des années 1980 avec le scandale du Totonero -, est passée à une ère industrielle. Toutes les organisations criminelles du monde veulent leur part du gâteau grâce à la formule magique suivante : un match arrangé, c’est la garantie de gagner des paris et de blanchir son argent sale. Merci l’Union européenne qui a imposé la libéralisation de cette activité... Merci les parlements nationaux qui n’ont pas su mettre un frein à l’expansion des paris en ligne. L’argent s’est engouffré dans la brèche et l’amateur de football sait aujourd’hui reconnaître les matchs suspects. Ceux où « l’exploit » est attaché de grosse ficelles et où tout le monde fait mine d’être dupe. Un peu comme les suiveurs du Tour de France cycliste quand ils suivaient un Armstrong escaladant le Galibier aussi vite qu’une motocyclette.
 
Oui, le néolibéralisme, la mondialisation et le sport ne font pas bon ménage. Qui dit argent, dit triche à grande échelle. Et, c’est une certitude, le public n’aura à sa connaissance que la face apparente de l’iceberg. Et que dire de l’organisation de la Coupe du monde 2022 attribuée au Qatar ? En publiant un dossier à charge, le bi-hebdomadaire France Football a mis en évidence toutes les complaisances et les conflits d’intérêts qui minent la crédibilité et l’intégrité de la Fédération internationale de football (Fifa). De l’avis de nombreux connaisseurs, les milieux interlopes qui grenouillent autour du football ne lâcheront pas l’affaire de sitôt. Des centaines de millions de dollars sont en jeu. Le foot est un business qui rapporte gros, il n’est donc pas étonnant qu’il fasse l’objet de toutes les manipulations possibles.
 
Alors oui, j’adore regarder le foot de haut niveau. Mais, je ne suis pas dupe. J’ai toujours en tête un soupçon, une réticence. La sensation que quelque chose de pas clair peut se jouer. Surtout, les exploits du style petite équipe battant le favori ne m’impressionnent plus. Au contraire, ils m’indisposent. Du coup, rien ne vaut le bon match de quartier, celui où l’on rit et où l’on se moque. Celui où l’on oublie le score à peine le match fini et où l’on ne pense qu’à la prochaine rencontre. Le vrai football, en somme.
_

 

 

 

La chronique économique : Ouverture syndicale en Chine

_
Le Quotidien d'Oran, mercredi 6 février 2013
par Akram Belkaid, Paris
 
Ce n’est pas une révolution mais presque… Foxconn, le groupe taïwanais installé en Chine, vient de décider de modifier ses règles en matière de représentation syndicale. Le principal sous-traitant des grandes marques de high-tech (Apple, HP, Lenovo, Microsoft, Nokia,…) va désormais autoriser les élections syndicales libres. Tous les cinq ans, ses 1,2 million de salariés éliront vingt représentants ainsi qu’un président. Jusqu’à présent, le processus de désignation des délégués syndicaux était peu transparent, la direction de Foxconn allant même jusqu’à en nommer elle-même la moitié.
  
PRESSION DES ONG
  
Pour bien comprendre l’importance de cette décision, il faut savoir que l’activité syndicale en Chine est totalement encadrée et que les travailleurs ne sont pas libres de désigner leurs représentants. Dans le même temps, pas question pour les syndicats officiels de relayer des revendications sociales ou salariales. Pas question non plus d’appeler à l’arrêt du travail, à tel point que nombre de Chinois considèrent la Confédération des centrales syndicales chinoises (All China Confederation of Trade Unions) comme un repaire de briseurs de grèves. En autorisant des élections syndicales libres, Foxconn vient donc d’ouvrir une brèche en matière de défense des travailleurs chinois. Il ne fait nul doute que le résultat du scrutin conduira à l’émergence d’un syndicat qui ne sera plus aux ordres, comme ce fut le cas au cours des deux dernières décennies.
 
Il faut dire que cela fait plusieurs mois que ce sous-traitant est sous le feu des critiques. Plusieurs reportages ont mis en évidence des conditions de travail calamiteuses ainsi que le recours systématique à des stagiaires de moins de seize ans. En 2011 et 2012, une vague de suicides de travailleurs a attiré l’attention des médias internationaux au point que Foxconn a été obligé d’ouvrir ses portes à des ONG spécialisées dans la défense des droits des travailleurs. Le constat sévère de ces dernières a finalement obligé Foxconn a lâcher du lest. Il reste maintenant à savoir si ce groupe fera des efforts en matière d’amélioration de la sécurité de ses installations et s’il modifiera sa politique de rémunération.
 
Par ailleurs, il est évident que la décision de Foxconn a été prise avec l’aval des autorités chinoises. Qu’il s’agisse d’un vote libre (dans un pays où le suffrage universel n’existe pas) ou de la facilitation de l’action syndicale, les enjeux concernent tous les acteurs économiques chinois. Décidés à rééquilibrer leur économie vers le marché intérieur, les nouveaux dirigeants de Pékin savent que cela passe notamment par une hausse de la part des salaires dans la valeur ajoutée des entreprises - cette dernière étant dérisoire face aux profits des actionnaires qu’ils soient chinois ou étrangers. Or, quoi de mieux qu’un syndicat actif et légitime pour aider à une telle mutation ? Reste à savoir jusqu’où ira cette liberté syndicale et quel sera son impact sur la mainmise du PC chinois sur la société. Et, il faut aussi se demander comment les autres grands groupes chinois vont se positionner par rapport au précédent que vient de créer Foxconn.

LA MENACE INEGALITAIRE

En tout état de cause, la Chine demeure un pays profondément inégalitaire. Salaires dérisoires, parfois payés avec retard ou même jamais, licenciements abusifs, chantages, harcèlement, emploi de prisonniers ou de mineurs, absence de politique cohérente en matière de protection sociale, heures supplémentaires non payées, contrats précaires: les problèmes des salariés chinois sont nombreux et alimentent un ressentiment croissant. Décidée à devenir la première puissance mondiale d’ici 2030, la Chine ne peut se permettre une telle situation explosive à bien des égards.
_
 

lundi 4 février 2013

Total, l'Algérie et le gaz de schiste

_
L'entretien accordé par Christophe de Margerie dans Le Monde du 11 janvier 2013 mérite qu'on y revienne. Interrogé par les journalistes Marie-Béatrice Baudet, Denis Cosnard et Pierre Le Hir, le PDG de Total a notamment rappelé que même si "les techniques de fracturation vont continuer à évoluer", pour le moment "il n'y a pas d'alternative" et cela d'autant que "la piste de la fracturation de la roche par arc électrique" sur laquelle Total et l'Université de Pau travaillent ensemble "n'est pas concluante".

Mais, ce qui attire l'attention, c'est lorsque Christophe de Margerie a les mots suivants à propos de la réticence française vis-à-vis du gaz de schiste : "Il est quand même paradoxal", dit-il, "d'entendre un membre du gouvernement (français) annoncer que la France va faire des tests de fracturation hydraulique en Algérie - les Algériens en font du reste depuis des années -, pour rapatrier la technique en France si elle est finalement jugée acceptable pour l'environnement".

Question : et que devraient en dire les Algériens que personne n'a consulté sur cette question ? Il est toujours intéressant d'entendre de la part d'autrui que son pays est un champ d'expérimentation. Après les essais nucléaires des années 1960, la fracturation hydraulique ? Cette fracturation que l'on nous incite à appeler "massaging" ou "massage". Et pourquoi pas "caresse expérimentale" pendant qu'on y est ?...
_

Lumière et azalée

_
Les jours s'allongent
Hier, déjà
Aujourd'hui encore
Demain, bien plus
L'azalée, enfin !

                                       A.B
_

samedi 2 février 2013

Une leçon malienne pour l'Algérie

_
L'évolution de la situation sécuritaire au Mali et, plus encore, la visite triomphale de François Hollande, le président français, à Bamako et Tombouctou, a généré nombre de commentaires ironiques voire critiques sur les réseaux sociaux algériens. "Folklore", "spectacle néocolonial grotesque", "indécence de la françafrique", le moins que l'on puisse dire, c'est que les foules arborant le drapeau bleu-blanc-rouge ont irrité et généré des jugements lapidaires. Sentiment injuste qui dénie sa joie à un peuple humilié par la déroute de son armée au printemps 2012 et par la situation de quasi-partition de son pays.
On le sait, la majorité des Algériens n'est guère à l'aise avec l'intervention militaire française au Mali mais ce n'est pas une raison d'ignorer les attentes et sentiments d'une grande partie du peuple malien.

Un avis malien

Pour bien le comprendre, il faut lire l'entretien accordé par Bandiougou Gakou, ancien diplomate malien et spécialiste du monde musulman, au site Maliweb. A la question concernant son jugement à propos des réactions internationales, cet ancien conseiller diplomatique du Premier ministre de son pays (2003-2008) n'hésite pas à critiquer la position algérienne.

"La surprise désagréable", juge-t-il, "est enregistrée chez le voisin du Nord (comprendre l'Algérie, ndb) qui mène sur son sol une guerre implacable contre le terrorisme mais qui abrite, assiste et appuie le terrorisme chez l’autre. Que le diable emporte le Mali ? Comment l’Algérie peut-elle l’accepter ? Pourvu que l’Algérie reste en paix ! Ce seul raisonnement lui suffit-il ? Il est vrai que dix ans de guerre civile et cent cinquante mille morts, cela peut provoquer des traumatismes. Mais pour autant l’Algérie et le Mali ne peuvent pas se tourner le dos. Une histoire commune, la religion et la géographie ont leurs exigences".

Dans le même temps, Bandiougou Gakou, reconnaît que le Mali n'a pas été à la hauteur des attentes algériennes durant les années 2000 en ce qui concerne la lutte contre les groupes djihadistes installés au nord. "Nous avons adopté une attitude laxiste jugée inamicale par notre puissant voisin, qui nous accusait avec raison de donner un asile confortable à tous ceux qui perpétraient des attentats sur le sol algérien. Ce laxisme n'a jamais cessé d'être dénoncé à l'échelle internationale".

Le Mali, un miroir de l'Algérie ?

S'il est encore trop tôt pour savoir de quelle manière les relations algéro-maliennes vont évoluer, on peut aussi méditer sur l'analyse de ce diplomate à propos des raisons qui ont poussé le Mali au bord du gouffre. Outre les conséquences de la crise algérienne (avec la migration des groupes djihadistes vers le Sahara) et celles de la chute du régime de Kadhafi, Bandiougou Gakou évoque une raison qui parlera certainement aux Algériens et les obligera à faire le parallèle avec leur propre situation politique. Il cite ainsi "l'angoisse d'une fin de règne au Mali. La perspective de fin de mandat a provoqué un véritable désarroi au sommet de l'Etat, provoquant des faits, gestes, attitudes et décisions décousus. Tantôt, la Constitution est en cause, il faut la réviser à la va-vite; tantôt on brandit une exigence d'harmonisation des calendriers électoraux nécessitant une prolongation de deux ans du mandat présidentiel. Du rumeurs en rumeurs maladroitement distillées, on tâtonne aux seules fins de préparer l'opinion à une nécessaire prolongation de mandat". Et de relever, chose importante, que les conditions de la déroute de l'armée malienne ont convaincu les Maliens qu'il s'agissait de la "fabrication de circonstances empêchant la tenue de l'élection présidentielle".
D'où, précise-t-il, le coup d'Etat militaire contre le président Amadou Toumani Touré (ATT).

Enfin, et cela ne manquera pas d'alerter les Algériens, ce spécialiste affirme que "la réalité est que le Mali a besoin d'une puissante base militaire amie dans le nord". De quoi relancer les supputations à propos d'un conflit qui est loin d'être terminé.
_

La chronique du blédard : Une bataille rangée

_
Le Quotidien d'Oran, jeudi 31 janvier 2013
Akram Belkaïd, Paris


Il neige. Ou plutôt, il se déverse une pluie de glace, de celles qui dardent les visages et les cranes mal protégés. C’est le matin, à peine un peu plus tard que l’heure habituelle de l’embauchage. Sur les trottoirs, les grains de sel et de sable crissent sous les pas prudents des passants. Parfois, l’un d’eux glisse, manque de tomber puis se redresse. Personne ou presque ne fait attention à lui. Sous ce méchant crachin, c’est chacun pour soi. Une vieille dame le sait bien, elle qui se traîne centimètre par centimètre, chacune de ses chaussures étant enveloppée dans une chaussette de laine sombre. Non, ne riez pas. Une étude de scientifiques britanniques vient de prouver que c’est la meilleure protection contre les glissades. Ça et, bien sûr, le fait de rester chez soi.

Le jeune homme, un peu rond pour son âge, mal rasé, a une tête de geek, c'est-à-dire, à en croire une pré-adolescente présente lors de la scène qui va se jouer, un passionné d’informatique. Il a de gros souliers à crampons qui lui permettent d’avancer à grands pas. Le feu est vert pour les voitures mais il n’hésite pas à s’engager sur le passage protégé. N’est-il pas un piéton parisien ? N’a-t-il pas, comme tous les cyclistes de la capitale, tous les droits (merci la bande à Bertrand…) ? Bref, il s’engage sans trop prêter d’attention à la berline qui arrive sur lui à allure modérée. Pour qui est resté prudemment en arrière, il est évident que la voiture va stopper. A ce jeu-là, même en ayant le code de la route pour lui, le conducteur a tout à perdre.

Oui, mais voilà. Il ne freine pas. On dirait même qu’il accélère tandis que l’arrière de son véhicule semble chasser un peu à cause du verglas. La collision est évitée de justesse car l’instinct de survie a commandé au geek de stopper son élan. Peut-être a-t-il croisé le regard du conducteur et compris à qui il avait affaire. Mais, indigné – et certainement effrayé – il ne peut s’empêcher de donner un coup du plat de la main sur le toit de la berline. Fusent aussi quelques gros mots où il est question du plus vieux métier du monde et d’un organe proche de la matrice. Du coup, la suite est prévisible. Le conducteur freine, sa voiture dérape un peu, s’arrête et le voilà qui en descend en hurlant. C’est un quadra finissant à l’allure lourde et il empoigne par le collet l’impudent qu’il dépasse de deux bonnes têtes.

« C’était vert pour les piétons ! » se défend ce dernier, flageolant et devenu pâle comme un tas de flocons. « Tu mens ! Et tu touches pas à ma bagnole ! » lui répond l’autre en s’énervant de plus belle. Dans la voiture, restée sagement assise, une jeune fille se demande s’il lui faut rire ou pleurer. Mais, pour le plus grand bonheur du geek (et le déplaisir de certains témoins), la bagarre ne dure guère. De bons samaritains se sont très vite interposés. « Monsieur, ça se fait pas de se battre comme ça dans la rue. En plus à votre âge et devant votre fille… », sermonne l’une des grandes âmes, un bonnet bleu sur sa tête et, à la main, un journal gratuit roulé comme s’il devait servir de matraque.« Moi, je trouve qu’il a raison. Cognez bien monsieur, ça leur fait du bien », lance de son côté, un peu dépité, un concessionnaire de voitures de luxe. 

Le geek s’éloigne sans demander son reste. Le quadra remonte dans sa voiture mais l’affaire est loin d’être terminée. Alors qu’un bus klaxonne à tout va parce que cette petite embrouille l’empêche d’avancer, le bonnet bleu décide de s’en prendre au vendeur de cabriolets. « Vous devriez avoir honte d’inciter à la violence comme ça. C’est pas parce que vous vendez des bagnoles pour riches que vous avez le droit de semer la zizanie ! ». L’autre ne semble pas réaliser que c’est à lui qu’on s’adresse. Il en est encore à dire pis que pendre à propos d’une génération qui se croit tout permise quand il comprend enfin. Il fait un pas vers son contempteur, hésite, puis recule. « Tu veux que j’aille le chercher, c’est ça ? » demande-t-il alors.

« Chercher quoi ? Votre chien ? Votre fusil ? Vous vous croyez en Amérique ? Et puis d’abord qui vous autorise à me tutoyer ? », s’époumone le bonnet bleu, la mine vaguement inquiète. L’autre reprend confiance et redresse le torse.« C’est pas un fusil mais c’est un truc qui te fera bien réfléchir »,claironne-t-il. « Le genre d’instrument qui t’envoie une bonne décharge électrique. Tu vois ce que je veux dire ? En visant bien, je peux même rendre service à ta femme et à la France ! ».

L’homme au bonnet bleu ne se démonte pas. Il recule, va sur le trottoir d’en face, ramasse de la neige sur le capot d’une voiture, la tasse dans ses mains et, en riant, se met à bombarder le concessionnaire.« Allez, vas-y ! Va chercher ton joujou » lui crie-t-il sans s’arrêter de jeter ses boules de neige dont certaines font mouche tandis que d’autres s’écrasent avec un bruit sec sur la vitrine du garage. Assis sur le banc de l’arrêt de bus, trois jeunes adolescents sont pris par un fou rire. Quant au concessionnaire, un temps décontenancé, il se met à ramasser lui aussi de la neige sale et à répliquer à l’assaut. Il est très vite rejoint par les ados qui bombardent tout ce qui bouge, la vieille dame exceptée.
 
Cela dure quelques minutes puis la récréation se termine car une voiture de police pointe le bout de ses phares. Les deux batailleurs se calment. L’un s’éloigne à pas rapides, l’autre rentre dans son garage. « Tout ça à cause d’un daltonien qui n’est même pas là pour voir ce qu’il a provoqué »,soupire l’un des ados en s’étirant. Dans la rue devenue boueuse, des flocons ont enfin remplacé la pluie glacée.
_