Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

jeudi 28 février 2013

La chronique économique : La voiture, révélateur socio-économique de l'Algérie

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 27 février 2013
par Akram Belkaid, Paris

Pour le visiteur étranger ou pour qui n’a pas vu l’Algérie depuis longtemps, un élément marquant saute aux yeux. Il s’agit de la diversité et de l’importance démesurée du parc automobile. Au-delà de la question des embouteillages dans les grandes villes, notamment à Alger,le caractère récent des modèles en circulation et leur diversité (au moins cinquante constructeurs sont présents de manière non-marginale sur le marché algérien) donnent à penser que l’économie locale est en pleine expansion et avec elle le pouvoir d’achat des ménages.

PRODUIT D’EPARGNE ET SIGNE EXTERIEUR DE RICHESSE

Ce constat mérite d’être nuancé. Concrètement, l’essor du parc automobile doit d’abord beaucoup au recours du crédit à la consommation. Certes, ce dernier est désormais prohibé mais il n’en demeure pas moins que sa généralisation dans les années 2000 a été l’indispensable vecteur pour le développement des ventes. Par la suite, nombre d’économistes ont été surpris de voir que le rythme des immatriculations n’a guère diminué depuis l’interdiction de ce type de crédit. Bien au contraire. A bien des égards, les rues algériennes ressemblent à un catalogue grandeur nature d’un salon international de l’automobile.

La bonne santé de ce secteur a plusieurs explications. Il y a d’abord le fait qu’une masse monétaire importante circule en Algérie et cela à l’intérieur et, plus encore, à l’extérieur du système bancaire. Les détenteurs de cet argent, loi immuable, cherchent souvent à le placer en bien tangible, anticipant en cela une dévaluation à venir du dinar. Du coup, la voiture devient un produit d’épargne cela d’autant plus que le marché algérien a cela d’extraordinaire qu’un véhicule d’occasion, s’il est bien entretenu, peut-être revendu aussi cher, sinon plus qu’à l’achat (!). Au passage, on peut noter trois choses. D’abord, le fait que les Algériens n’ont guère confiance en leur monnaie puisqu’ils anticipent sans cesse sa dépréciation. Ensuite, le fait que ces mêmes Algériens n’ont guère le choix en matière de placement et d’épargne, les banques ne jouant guère leur rôle en la matière. Enfin, l’achat de véhicule compense aussi la quasi-impossibilité d’acquérir un bien immobilier, produit de placement traditionnel lorsqu’une société entre en phase d’accumulation.

Par ailleurs, le véhicule neuf demeure aussi un signe extérieur de richesse et un marqueur social. C’est un élément discriminant dans une société de plus en plus déboussolée où l’affairisme semble avoir définitivement pris le pas sur les schémas de carrière qui existaient au cours des vingt premières années ayant suivi l’indépendance. A ce titre, il est éloquent de voir que l’Algérien est souvent défini par son entourage ou son voisinage comme étant le possesseur de tel ou tel modèle de voiture. On peut aussi relever que, dans la mémoire collective algérienne, l’acquisition d’un véhicule neuf est aussi une belle revanche contre une période de disette marquée par la quasi-impossibilité d’en acheter un. Pour comprendre cela, il faut se souvenir de la triste époque des bons Sonacome et du trafic autour des licences d’anciens moudjahidines.

UN BOOM AU GOUT AMER
 
L’explosion du marché automobile algérien est une bonne nouvelle pour les constructeurs étrangers. C’est aussi l’achèvement victorieux d’une volonté des grandes institutions financières internationales de brider le développement des transports en commun dans un pays pourtant de grandes amplitudes. Sinon, comment expliquer le fait que l’Algérie n’a jamais réussi à obtenir de financements majeurs pour moderniser et développer son réseau ferroviaire ? Depuis les années 1970, la volonté des grands bailleurs de fonds internationaux a toujours été de faire en sorte que l’Algérie soit importatrice nette de véhicules, qu’ils soient lourds ou légers. Et, il ne faut pas se leurrer. Les récents projets de fabrication d’automobiles en Algérie ne sont que de la poudre aux yeux destinée à faire croire que le pays est moins dépendant de ses fournisseurs étrangers. Assembler des véhicules qui ont d’abord été fabriqués, montés puis démontés à l’étranger avant d’être envoyés dans l’usine algérienne, ne sera certainement pas la preuve d’une grande maîtrise industrielle…
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