Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mercredi 20 février 2013

De l'Algérie et des "menaces" du Qatar

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(mise à jour après le démenti du ministère des Affaires étrangères à Alger)


« Votre tour viendra… ». C’est la menace qu’aurait adressé Hamad bin Jassim Al Thani, le ministre qatari des Affaires étrangères à Nadir Larbaoui, l’ambassadeur d’Algérie en Egypte. L’altercation se serait produite lors d’une réunion de la Ligue arabe au Caire, le diplomate qatari reprochant vertement à l’Algérie de refuser de renvoyer l’ambassadeur de Syrie en poste à Alger. Relayée par la presse égyptienne puis par de nombreux sites internet, cette information a provoqué maintes réactions et indignations de la part des internautes algériens (lire commentaires ici). Le sentiment hostile au Qatar s’y est de nouveau exprimé avec virulence. On le sait, l’émirat du Golfe n’est guère en odeur de sainteté en Algérie, car accusé de vouloir déstabiliser le monde arabe par le biais d’un Printemps que beaucoup soupçonnent de n’être qu’une volonté des Etats-Unis d’installer des régimes théocratiques qui lui feraient allégeance.

Finalement, l'information a été démentie par le ministère algérien des Affaires étrangères (lire ici). Il n'en demeure pas moins que cette affaire est porteuse de beaucoup d'enseignements à commencer par la défiance montante entre l'Algérie et ce pays du Golfe car ce n'est pas la première fois que de telles informations circulent.
 
On n’entrera pas ici dans une énième argumentation pour défendre l’idée que le Printemps arabe n’est pas un complot et que c’est faire insulte aux peuples en révolte que de le penser. De même, il ne faut pas être dupe. Si cette affaire fait tant de bruit, c’est qu’elle permet de détourner l’attention en faisant passer au second plan le dossier explosif de la corruption à la Sonatrach (avec ce qu’elle provoque comme remous à commencer par la fameuse lettre d’Hocine Malti au général Toufik, patron des services algériens de sécurité).

Exister pour survivre
 
L’idée est plutôt de parler du Qatar et de ses relations avec l’Algérie et d’autres pays arabes. Sur le plan géographique, militaire ou démographique, cet émirat n’est rien ou presque. Certes, il s’agit d’un confetti très riche (il possède les troisièmes réserves mondiales de gaz naturel) mais son comportement sur la scène international n’est dicté que par une seule nécessité : exister en permanence pour ne pas être, demain, englouti par l’un de ses puissants voisins (Iran, Irak ou Arabie Saoudite). C’est ce qui explique cette frénésie médiatique, cette envie d’être présent aux quatre coins du monde occidental (et d’ailleurs). Protégé par les Etats-Unis (qui y possèdent une base gigantesque), le Qatar oublie parfois qu’il serait insignifiant sans ce puissant protecteur. Nombre de ses dirigeants, dont le ministre des Affaires étrangères, semblent même avoir attrapé la grosse tête, ivres d’une médiatisation à outrance qui leur fait confondre notoriété et puissance. Ainsi, le Qatar est un peu à l’image de ce sale gosse malingre qui, dans les cours de récréations, insulte un peu tout le monde et se comporte comme un petit tyran parce qu’il est l’ami et le protégé de gros malabars. Bref, quand Hamad bin Jassim Al Thani enjoint aux Algériens de suivre la ligne suivie par le Qatar (notamment en ce qui concerne le cas syrien) il oublie qu’il n’est rien d’autre qu’un vassal des Etats-Unis et que c’est cela qui lui permet de jouer au matamore.
 
Mais, il n’y a pas que cela. Si le Qatar est omniprésent sur la scène arabe, c’est aussi parce que la diplomatie a horreur du vide. Qu’on le veuille ou non, l’Algérie n’existe plus ou presque sur la scène internationale. Sa voix ne se fait plus entendre. Son président est aux abonnés absents et son appareil diplomatique semble tétanisé comme l’a montré son étonnante discrétion lors des crises libyenne puis malienne. Quand l’Egypte va mal, quand la Syrie est à feu et à sang, quand l’Irak n’en finit pas de sombrer dans la guerre confessionnelle et quand l’Arabie Saoudite n’en peut plus de sa gérontocratie, il ne faut pas s’étonner de voir le Qatar profiter de l’occasion pour essayer de s’imposer en tant que leader du monde arabe ( !).

Pour le Qatar, tout s’achète
 
Cela est d’autant plus vrai que les dirigeants de ce pays grand comme la Corse sont persuadés que le monde arabe est à vendre au plus offrant. C’est là l’une des convictions qui fonde l’action internationale du Qatar. En France, en Europe comme ailleurs, l’argent est pour cet émirat un excellent moyen d’ouvrir les portes et de s’imposer en tant qu’interlocuteur incontournable. Cela vaut aussi pour l’Algérie. Car, celles et ceux qui s’indignent à propos du « votre tour viendra », semblent avoir oublié la récentevisite à Alger de l’émir Hamad ben Khalifa al-Thani. Durant cette visite, huit accords économiques ont été signé dont celui concernant le site sidérurgique de Bellara (10 millions de tonnes d’acier par an). Pour mémoire, l’attribution de la construction de ce complexe sidérurgique à un groupe qatari (Qatar Steel international) s’était faite au détriment du groupe algérien Cevital. La preuve que ceux qui promettent aux Algériens que « leur tour viendra » sont très bien accueillis en Algérie… Et s’il fallait une seconde preuve, il suffit de savoir que l’un des accords signés lors de cette visite concerne la création d’un centre d'élevage d'outardes dans la région d'El Bayadh (sud-ouest algérien). On le sait, cet échassier, théoriquement protégé, est un gibier de chasse prisé par les émirs du Golfe.
 
Pays absent de la scène internationale et producteur d’outardes pour les chasses royales du Golfe… Pays que l’on peut donc tancer à volonté : c’est peut-être ainsi que le Qatar regarde aujourd’hui l’Algérie… La question étant, à qui la faute ?
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