Lignes quotidiennes

Lignes quotidiennes
Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

mardi 31 janvier 2012

Etre Algérien Aujourd'hui

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Humour :

C’est un document qui circule sur le net et qui se moque, gentiment des travers des Algériens. Le voici, légèrement remanié, avec quelques précisions.

- Tu es Algérien quand tu te crois plus intelligent que tout le monde, plus professionnel que Capello, plus beau que Tom Cruise, plus classe que Clooney, plus politicien que Mandela, et meilleur conducteur que  Schumacher !!!
Ce n’est pas tout, tu es Algérien (ne) si :
- Tu as une cicatrice de vaccin au bras gauche (BCG).
- Tu vérifies une bouteille de gaz avec la flamme d’un briquet sans  trouver cela dangereux.
- Il y a toujours un verre de plus sur le plateau pour thé ou café.
- Le  » lendemain  » est toujours le jour où tu veux tout faire.
- Tu arrêtes ta voiture 3 mètres après le feu rouge pour être sûr que tu  vas démarrer le premier, alors que tu démarres le dernier car tu ne  vois pas le feu passer au vert.
- Tu sors tes pulls et vestes dès que la température descend à moins de 25°.
- Tu dis ‘Chkoun’ (c’est qui ?) quand quelqu’un frappe chez toi et cela bien avant de te lever pour aller ouvrir.
- Et, si  quelqu’un te pose cette même question, tu réponds « Ana » (c’est moi).
- Il te faut trois ou quatre personnes pour te convaincre de rejoindre (lors d’un mariage)  la piste de danse, en te tirant les bras et en invoquant tous les saints et Lawlya (walis) du Maghreb,
- Et tu es Algérien, si, une fois sur la piste, tu ne veux plus t’ arrêter de danser, et que tu y restes jusqu’à la fin de la fête.
- Tu te mets au régime  en mettant de la saccharine dans le café tout en  engloutissant 3 millefeuilles.
- Ce n’est jamais de ta faute… mais celle des autres : le  train est parti sans toi, le bijou qui s’est « égaré », le vase qui est  tombé, Le PC qui a planté…
- Tu traverses la route en Superman, en plein feu vert, tout doucement, en fixant droit dans les yeux l’automobiliste… Une manière de lui dire : « si tu veux bousiller ta voiture, vas-y, rentre moi dedans».
- Tu es Algérien aussi quand tu trouves normal d’appeler à minuit et  dire à ton interlocuteur : « J’espère que je ne t’ai pas réveillé ? »
- Mais tu sais aussi que tu es Algérien(ne) quand tu ne tiens pas debout facilement, et qu’il te faut un mur, une voiture ou  n’importe quoi pour t’y adosser.

Tu es Algérien ou Algérienne si :
- Tu peux reconnaître tous les accents du pays. Si tu es de l’est, tu te moques des gens de l’ouest et  vice-versa, si tu es d’Alger, tu te moques de tout le monde.
- Tu appelles les amis de tes parents, ou les parents de tes amis, «  tonton » ou « tata » même s’ils ne sont pas de ta famille.
- Pour toi, Mohamed se dit Moh ou Moha et s’il y’en a 2, alors c’est Moha k’bir (le grand) et Moha s’ghir (le petit). Et s’il y en a un troisième, c’est Moha lakhor (l’autre).
- Tu manges TOUT avec du pain y compris le pain !
- Tu es trop fier pour accepter quelque chose sans payer ou être payé après avoir rendu service.
- Tu négocies jamais, tellement t’as du nif (du nez, fierté).
- Tu as algérianisé la langue française.
- Quand tu es en Algérie, tu dis « Quel pays! », mais quand tu es de retour au Canada (ou ailleurs notamment en France), tu pleures de nostalgie pendant 3 mois !
- Tu dis « ça va?!! » au moins 8 fois dans la même conversation
- A la fin  de la conversation, tu es au courant de tout ce qui se passe chez ton ami.
- Quand tu entends « one two three », tu ne peux pas t’empêcher de crier  « VIVA L’ALGERIE » !
- Même sans avoir vu le match en 1982, tu sais que l’Algérie a battu l’Allemagne tellement ton père t’a raconté ce match.
- Tu as toujours des frissons dans le dos lorsque tu écoutes pour la  centième fois Dahmen Elharachi chanter « Ya Rayah »
- Quand tu parles au téléphone, tu hurles dans le combiné, parce que ton  interlocuteur est loin.
- Tu passes ton temps à te plaindre de l’Algérie quand tu es avec des Algériens, mais tu ne supportes pas qu’un étranger fasse une remarque sur ton bled même si elle est vraie.

Enfin, (ma préférée) :

- Tu es Algérien aussi quand vous êtes plusieurs en voiture et que tout le monde se retourne lorsque le conducteur fait une marche arrière.
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vendredi 27 janvier 2012

La chronique du blédard : Menaces sur la Tunisie

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 26 janvier 2012
Akram Belkaïd, Paris


Il est plus que temps de s'inquiéter de ce qui se passe en Tunisie. Jour après jour, des violences et des provocations sont commises par des groupes on parle déjà de milices - se réclamant du salafisme et ayant pour victimes des démocrates, des modernistes, des intellectuels ou de simples citoyens qui refusent de se laisser dicter leur conduite et leur mode de vie par des extrémistes de plus en plus actifs. Qu'il s'agisse du blocage de l'université de la Manouba par des étudiants (qui exigent que l'on autorise les étudiantes à se présenter voilées aux examens), des menaces contre des libraires ou de l'agression dont ont été victimes le journaliste Zied Krichen et le politologue Hamadi Rdissi, on se rend bien compte que la situation se tend et que la paix civile est menacée.

Attardons-nous sur ce qui est arrivé à Krichen et Rdissi. Les images de leur agression devant le palais de justice de Tunis (ils étaient venus témoigner dans l'affaire de la diffusion du film Persépolis par Nesma TV) ont fait le tour du web. Pour les Algériens qui les visionneront, cela ne manquera pas de leur rappeler de très mauvais souvenirs. On y voit deux hommes, dignes mais blêmes, frappés par derrière comme seuls savent le faire les lâches, entourés par une foule d'excités et de barbus vociférant des menaces à l'encontre des « ennemis de Dieu ». Oui, c'est bien cette expression qui a été utilisée à plusieurs reprises et, là aussi, les Algériens savent à quelles actes sanglants ce genre d'accusation peut mener. « Ennemis de Dieu » C'est aussi l'argument que l'on retrouve dans les tracts de soutien à Ennahdha ou dans le propos de certains députés nahdaouis qui proposent de couper la main et une jambe (!) à celles et ceux qui occupent aujourd'hui la rue pour manifester leur mécontentement sur le plan social et économique.

Il y a donc quelque chose de très inquiétant dans cette aggravation des tensions en Tunisie. Concernant les salafistes dont certains veulent créer une police des mœurs -, on ne peut qu'être étonné et scandalisé par l'impunité dont ils semblent bénéficier. Pourquoi les nouvelles autorités ne mettent-elles pas au pas ces groupuscules qui commencent à terroriser une bonne partie de la population ? Est-ce une stratégie de pourrissement qui ne dit pas son nom ? Faut-il en conclure que les forces de police sont soit complètement dépassées soit infiltrées de l'intérieur par des personnes qui seraient proches du salafisme ou bien, hypothèse plus plausible, par des personnes qui ont intérêt à ce que la situation dégénère et que l'on en arrive à regretter l'ancien régime ?

Il faut dire que le comportement des salafistes ressemble beaucoup à celui de l'aile radicale de l'ex-FIS qui, en son temps, avait fini par croire que tout lui était permis, encouragée en cela par l'indifférence voire l'indulgence des forces de police. On connaît la suite et on sait aujourd'hui que ce radicalisme a beaucoup compté dans la justification de l'arrêt du processus électoral en janvier 1992. En clair, on voudrait aujourd'hui en Tunisie préparer le chemin pour une remise au pas musclée que l'on ne s'y prendrait pas autrement. Les salafistes, leurs actes de violences et l'atonie de la police sont-ils les éléments d'un scénario destiné à favoriser la restauration d'un régime dur ? Un régime autoritaire qui, pour sauver les apparences, se réclamerait de la révolution du 17 décembre (ou du 14 janvier) pour suspendre, un temps (indéfini), la démocratie ? On est en droit de se poser la question d'autant que la soudaine multiplication de protestations sociales, de grèves et de sit-in déconcerte plus d'un observateur. Qui tire les ficelles en Tunisie ?

Dans cette affaire, la direction d'Ennahdha est très loin d'être exempte de reproches. Certes, ses dirigeants condamnent certains actes de violence mais ils prennent soin d'en ignorer d'autres. A Tunis, on explique cette prudence comme étant le signe de la divergence croissante entre une direction obligée de donner des gages de démocratie et de respect du pluralisme politique et une base dont la majorité se demande pourquoi la mise en place d'une république islamique prend autant de temps. A titre d'exemple, dans l'affaire Persépolis, la direction du parti religieux se dit respectueuse de la liberté d'expression, ce qui n'est manifestement pas le cas de nombreux de ses militants dont les positions n'ont rien à envier aux salafistes.

On peut aussi se demander si l'agitation salafiste ne sert pas d'abord Ennahdha qui, du coup, apparaît comme plus modérée et donc plus apte à rassembler les indécis. 
Dans une situation d'extrême tension, marquée par les surenchères et les revendications outrancières des extrémistes, Ennahdha va pouvoir jouer sur deux tableaux. D'une part, apparaître comme une force modératrice et protectrice, et, d'autre part, en profiter pour continuer la politique des trois pas en avant, un pas en arrière (ce qui revient pour elle à imposer ses réformes à un bon rythme). Mais c'est une stratégie bien dangereuse dans laquelle sont engagés les dirigeants de ce parti. Peut-être sont-ils persuadés qu'ils peuvent manipuler et contrôler à l'envi les salafistes. A ce jeu-là, ils seraient bien les premiers car, l'Histoire l'a bien montré, les ailes radicales finissent toujours par imposer leurs vues De leur côté, les forces démocratiques ne doivent pas se tromper d'adversaire.

Certes, les salafistes sont les vecteurs de l'agitation et des menaces sur la paix civile, mais les démocrates ne doivent pas oublier que leur premier adversaire reste Ennahdha dont le projet de transformation lente, mais sûre, des institutions et de la société est déjà en branle. Bousculés, inquiets, entraînés dans des polémiques sans fin sur l'identité, le voile, la langue française et le travail des femmes, les partis d'opposition vont devoir combattre sur deux fronts au risque de perdre de leur sang-froid et de leur vigilance. Ce qui ne manquera pas de favoriser une reprise en main musclée de la Tunisie. 
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jeudi 26 janvier 2012

La chronique économique : L’AUSTERITE NE MENE PAS A LA CROISSANCE

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 25 janvier 2012
Akram Belkaïd, Paris


Les semaines passent et les gouvernements européens persistent dans une erreur majeure qui dépasse l’entendement. En effet, face à la crise financière et face à la spéculation sur la dette publique et, d’une façon générale, contre l’existence même de la zone euro, il n’est question que d’austérité, de réduction des dépenses publiques, de cure d’amaigrissement sans oublier les incantations récurrentes à propos de réformes structurelles à mener, c’est-à-dire, pour être clair, un retrait accentué de l’Etat et une réduction accrue de ses prérogatives.

UN MAUVAIS CHOIX


Dans l’histoire économique moderne, ce qui se passe actuellement restera comme une première. En effet, c’est la première fois que des Etats, européens en l’occurrence, tentent de faire face à une grave crise économique et financière en pariant sur l’austérité plutôt que sur la croissance keynésienne (intervention de l’Etat pour faire repartir la machine économique). Pour mémoire, la crise de 1929 et ses conséquences avaient été surmontées, du moins en partie, grâce aux politiques actives de relance et d’implication de l’Etat dans la sphère économique. Tel n’est pas le cas aujourd’hui avec des gouvernements tétanisés à l’idée de subir les foudres des agences de notation et des marchés en finançant des programmes de relance.


Pourtant, de nombreuses pistes existent qui mériteraient d’être explorées. C’est le cas, par exemple, de la création d’un système bancaire et financier public qui, débarrassé des exigences de rentabilité annuelle à 15%, pourrait contribuer à financer l’économie et à relancer une activité grippée par l’atonie et la grande prudence du secteur bancaire privé. Ce dernier, bien que disposant d’un accès aux lignes ouvertes par la Banque centrale européenne (BCE), ne semble guère enclin à soutenir les acteurs économiques tels que les PME voire les TPE (très petites entreprises) et les artisans.


Bien entendu, il ne s’agit pas que de se substituer à la finance privée. La situation est d’une telle gravité qu’elle mérite la définition d’un nouveau paradigme économique. C’est en effet de nouveaux modèles de développement qui nécessitent d’être imaginés avec en tête un objectif majeur, celui de la croissance et une contrainte incontournable, celle du respect de l’environnement et de l’adaptation au réchauffement climatique. Jusqu’à présent, l’économie verte n’a été qu’un slogan parmi tant d’autres - on mesure cela en réalisant que nombre de producteurs européens de capteurs solaires sont en faillite - alors qu’il s’agit certainement de l’une des voies de sortie de la crise.

LE POIDS DES LOBBYS

Il faudrait encore que les Etats regagnent un peu du pouvoir qu’ils ont abandonné aux marchés mais aussi aux lobbys et à leurs représentants. Si la mutation de l’économie européenne tarde tant à se faire, à commencer dans le secteur des énergies renouvelables mais on pense aussi à la chimie et au bâtiment, c’est parce que de puissants intérêts financiers estiment que cela mettrait en danger leur rentabilité et donc la rémunération de leurs actionnaires. Dès lors, on est en droit de se demander jusqu’à quel point il faudra que la situation se dégrade pour que les gouvernements européens réalisent enfin que leurs solutions basées sur l’austérité, la dérégulation et la soumission aux marchés financiers appartiennent désormais au passé. 
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mercredi 25 janvier 2012

L'Algérie, Sansal et les "autres"

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Lu dans Le Matin.dz cet entretien réalisé avec Boualem Sansal (propos recueillis par l'écrivain Arezki Metref ).
"L'histoire de l'Algérie a toujours été écrite par les autres", déclare ainsi l'auteur du récent Rue Darwin (Gallimard).
A mon avis, la formule est incomplète.
Voici donc ce que je propose :
L'histoire de l'Algérie a souvent été écrite par les autres mais elle a aussi été écrite par des Algériens pour les autres et en tenant compte de ce qu'attendaient (exigeaient ?) les autres.
La nuance est de taille...
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Sarko et sa reconversion

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Il paraît que Sarkozy commence à envisager sa défaite (on va feindre de croire à ce soudain moment de fragilité censé faire pleurer dans les chaumières).
Il paraît aussi qu'il aurait promis que l'on n'entendrait plus parler de lui en cas de défaite à la présidentielle.
Bon...
Yapluka...

mardi 24 janvier 2012

La chronique économique : S&P OU LA FIN DE LA DEMOCRATIE

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 18 janvier 2012
Akram Belkaïd, Paris

La récente dégradation de la note souveraine de la France par l’agence Standard & Poor’s (S&P) démontre une nouvelle fois la perte de pouvoir de la sphère politique au profit du pouvoir et des marchés financiers. 

Mais commençons par relever un premier point. Ce n’est certainement pas un hasard si cette dégradation a été connue un vendredi. En termes de stratégie de communication, c’est le jour où la publication de mauvaises nouvelles est le mieux amortie. En effet, le lendemain, les ventes de journaux sont moins importantes, les gens ont la tête à autre chose et les vedettes des journaux télévisés sont en week-end. Damage control… On est donc en droit de se demander d’où est venue la fuite - c’est le Financial Times qui a donné le premier l’information - sachant qu’en matière de notation, le gouvernement concerné est toujours informé en premier par l’Agence. On peut aussi relever que l’effet d’une telle dégradation est certes négatif pour le gouvernement français, mais il est évident qu’il aurait été bien plus dévastateur si la décision de S&P était tombée en mars ou en avril, c’est-à-dire au plus fort de la campagne électorale. Mais passons…

LES AGENCES : DES ERREURS IMPUNIES

On ne peut s’indigner de l’influence exorbitante que détiennent aujourd’hui les agences de notation, si l’on ne rappelle pas dans le même temps que c’est bel et bien le pouvoir politique qui est complice de cette situation. Au début des années 2000, de nombreuses voix se sont fait entendre pour que le fonctionnement de ces acteurs - payés par l’entité (Etat, entreprise, collectivité locale ou ville) qu’ils notent ( !) - soit plus transparent, mieux encadré et soumis à de vrais contrôles et pare-feu. Que l’on se souvienne du scandale Enron aux Etats-Unis ou de Parmalat en Italie. Que l’on se remémore aussi les errements boursiers des n’importe-quoi.com, sans oublier, plus près de nous, l’incroyable dossier des subprimes notées au plus haut par les agences alors qu’elles ne valaient rien. Et le pire, c’est que rien n’a été fait pour réformer ces agences. Rien n’a été fait pour diminuer leur capacité de nuisance. Et l’on ne peut que se sentir accablé en entendant le Premier ministre de la France suggérer au candidat socialiste François Hollande d’aller présenter son programme à Standard & Poor’s, comme si cette dernière était le grand juge faiseur de présidents ! S&P plus importante que le suffrage universel ? Adieu la démocratie…

UNE AUBAINE POUR LE POPULISME

Mais quel est l’homme politique qui va avoir le courage de dire que les agences de notation ne font rien d’autre que d’émettre des opinions qui n’engagent personne d’autre qu’elles ? Au lieu d’affirmer leur pouvoir et donc leurs responsabilités, les classes politiques européennes se retrouvent dépendantes du bon vouloir de deux ou trois analystes surchargés de boulot, noyés dans des chiffres et des statistiques manipulables à souhait. L’enjeu est de taille. C’est de l’avenir de la démocratie dont il s’agit. On ne change pas un chef de gouvernement pour faire plaisir aux marchés et aux agences de notation (cas de l’Italie). On ne conçoit pas un programme électoral en tenant compte de la réaction possible de S&P, de Moody’s ou autres émetteurs d’opinions (cas de la France). La nature a horreur du vide. A force de se décharger de leurs prérogatives, les dirigeants européens sont en train de faire le lit de forces politiques, certes populistes, mais décidées à remettre la finance et les marchés à leur place, fût-ce au prix d’autres régressions, notamment en matière de droits et de libertés. En refusant de dire «maintenant, ça suffit !», Sarkozy, Monti, Merkel et compagnie préparent des jours difficiles à l’Europe.
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lundi 23 janvier 2012

Solidarité avec Zied Krichen et Hamadi Rdissi

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Les images, disponibles sur internet, sont choquantes. Le journaliste tunisien, Zied Krichen et le professeur des sciences politiques, Hamadi Rdissi, ont été agressés lundi 23 janvier 2012 devant le palais de justice de Tunis où venait de se tenir le procès de Nessma TV (l'audience a été reportée). Les deux hommes, qui ont toujours gagné leur dignité, ont été insultés et frappés, notamment par derrière, par des individus portant pour la plupart des barbes, certains agitant des fanions salafistes. 
Protégés par deux agents de sécurité, Krichen et Rdissi se sont réfugiés dans un poste de police où, selon les déclarations faites par Zied Krichen à l'agence tunisienne de presse (TAP), ils ont porté plainte contre leurs agresseurs. Le soir même, le Premier ministre Hamadi Jebali a condamné  devant l’Assemblée constituante cette agression. "Je condamne la violation de l’intégrité physique du journaliste Zied Krichen", a-t-il déclaré en annonçant qu’une enquête sera menée, et que l’agresseur sera puni, quelle que soit son appartenance.


Devant une telle manifestation de haine, on ne peut que l'espérer. C'est un fait que Rdissi et Krichen ont échappé de peu à un lynchage. Relevons au passage que nombre de personnes qui photographiaient et filmaient la scène auraient pu s'interposer. Mais passons. Ce qui choque aussi, sont certaines insultes entendues notamment celle de "ennemi de Dieu". On ne peut accepter pareil vocabulaire. On sait très bien ce qu'il peut induire comme dérapages. Le silence des dirigeants d'Ennahdha n'est pas acceptable non plus. Certes, le Premier ministre a promis que les coupables seraient punis mais, dans l'affaire, il faut aussi qu'il aille plus loin. Qu'il assure que personne n'a le droit de s'en prendre à un autre pour ses idées. Et que toute tunisienne et tout tunisien ont le droit d'avoir leurs propres opinions sans que personne ne vienne à les traiter d'ennemi de Dieu. Il y va de l'avenir de la Tunisie, de sa paix civile et de l'intégrité de ses intellectuels et penseurs. Ne pas punir les lâches qui ont frappé ces deux hommes serait une faute. Cela ouvrira la voie à d'autres actes de violence.
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La chronique du blédard : Quand tombe la nuit

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 19 janvier 2012
Akram Belkaïd, Paris

En temps habituels, c'est un instant rare, magique, à nul autre égal en cette période hivernale. C'est le moment qui, à la tombée du jour, précède l'illumination des réverbères. Le soleil se couche, la nuit s'annonce. Entre chien et loup, s'impose pour quelques secondes une luminosité inattendue, déconcertante. La ville est alors plongée dans un clair-obscur que ni les enseignes des commerces ni les faisceaux des phares d'automobiles n'arrivent à dissiper. Pour qui lève un peu la tête, la perspective est soudain différente, étonnamment claire, presque scintillante, surtout si l'on regarde vers l'ouest, là où les derniers rougeoiements annoncent, ou pas, le temps qu'il fera demain. Mais tout cela ne dure guère longtemps. Très vite, la lumière artificielle, mélange de jaune et de blanc plus ou moins agressifs, se charge d'effacer l'éclat du crépuscule. 

Pourtant, en ce début de semaine, les choses se passent différemment. Dans la rue, ou plutôt dans le bloc rectangulaire quadrillé par quatre rues, l'heure est à l'inquiétude. On croise des regards soucieux, des corps en alerte, comme s'ils se préparaient à bondir ou à courir. Alors qu'ailleurs les réverbères se sont progressivement illuminés, ici ils restent éteints comme ce fut le cas la veille et l'avant-veille. Marcher devient aventureux car l'on ne sait pas vraiment où l'on met les pieds. Certes, quelques vitrines de magasins permettent d'y voir un peu et d'éviter, outre quelques déjections canines, les tranchées creusées par les ouvriers du gaz ou par les installateurs des bornes pour voitures en libre-service. Mais cela ne suffit pas. L'obscurité règne déjà en maîtresse. La chaussée et les trottoirs sont à elle. Les arbres, pourtant si familiers, deviennent des formes menaçantes, des hydres aux multiples tentacules. Un homme de sac et de corde pourrait s'y adosser, attendant tranquillement sa proie sans risque d'être vu ni reconnu.

Mais voilà que, justement, par hasard ou nécessité, quelques gens du quartier se retrouvent devant le tailleur du coin. Dans sa vitrine, un serpentin multicolore, vestige de fêtes de fin d'années déjà lointaines, ne cesse de clignoter. Cela permet de se reconnaître, de voir à quelques mètres, du moins par intermittence, un peu comme si l'on s'était réunis devant un feu au beau milieu d'une clairière. Oui, c'est bien de cela qu'il s'agit. Tout autour, se dresse une forêt de béton, lugubre et porteuse de périls. Venu aux nouvelles, le vendeur de motos, des américaines chantées jadis par Brigitte Bardot, fait connaître sa colère. Sans éclairage dans la rue, sa vitrine et ce qui s'y trouve derrière comme blousons, bottes et autres accessoires coûteux est une offrande pour les mauvais larrons. Il explique qu'il ne peut laisser son magasin allumé car, paradoxalement, cela attiserait les mauvaises tentations. On le comprend, on le plaint. Le restaurateur, concocteur de cuisine italienne, tente de rassurer les uns et les autres en assurant qu'il restera ouvert jusqu'à au moins minuit et que ses garçons sortiront régulièrement jeter un coup d'œil dans la rue.

Et après, lui demande-t-on ? Et demain matin, à l'heure où les enfants partent à l'école ? ajoute-t-on. Il ne dit rien. Un silence s'installe. Un gardien d'immeuble ronchonne. Pour lui, cette panne qui dure depuis plusieurs nuits est encore un coup des Roumains qui, fausse pétition à la main, chassent le portefeuille ou la carte bancaire. Il parle en chuchotant comme s'il voulait éviter de réveiller les mauvais esprits qui pourraient sortir de la pénombre. Son visage prend tour à tour les couleurs successives du serpentin et l'on se demande alors si c'est bien de lui qu'il s'agit ou si ce n'est pas quelqu'un d'autre qui aurait pris sa place. Mais on l'approuve. La liste, réelle, fantasmée ou exagérée des méfaits de ces bandes venues d'Europe de l'Est est longuement commentée. On parle de ces vieilles personnes agressées au distributeur automatique, de celles suivies jusqu'à chez elles et violentées à l'intérieur de leur domicile. Quelqu'un évoque d'autres méfaits, largement décrits par la presse. Il parle de portrait robot, d'un homme dangereux. Il hésite un peu, puis précise qu'il s'agirait d'un Africain. On l'écoute sans rien dire avec l'estomac qui se serre un peu.

Alors on s'en prend aux travaux interminables qui ont sûrement dû couper quelques lignes ou fait disjoncter un transformateur qui n'est certainement plus aux normes. Gaz, chauffage urbain, lignes téléphoniques... On se croirait à Alger, ville où l'on a gardé l'habitude de creuser, boucher (mal), recreuser puis reboucher (encore plus mal). Justement, Alger L'habitué des coupures de courant et de l'inexistence d'éclairage public s'est rendu compte que ses vieux réflexes n'ont pas disparu. En sortant de chez lui, il a mis dans sa poche la lampe du même nom. Il conseille aux autres d'en faire autant, sans évoquer la ville blanche, bien sûr. La suggestion leur plaît. Ils n'y avaient pas pensé.

La nuit est désormais totale. Le petit groupe s'est épaissi. Certains se sont proposés pour raccompagner la vielle dame du soixante-dix. D'autres se demandent s'il ne va pas falloir organiser un guet. On évoque un courrier tranchant comme une lame électorale qui serait adressé au député, au maire de l'arrondissement et à celui de la ville. On n'arrive pas à admettre l'obscurité. Trois jours de panne, c'est trop long, c'est inadmissible pour qui paie des impôts locaux. On menacera de voter pour les autres, cela fera certainement son effet, du moins feint-on d'en être persuadé. Il commence à se faire tard. On se sépare. Au loin, les halos des réverbères qui fonctionnent semblent baliser la frontière d'un autre monde, privilégié et envié.

En marchant dans la rue obscure et sinistre, tête et cou rentrés dans les épaules, on réalise alors que l'éclairage public n'est rien d'autre qu'un ami mystificateur. Un stratagème certes bienfaisant mais destiné à faire oublier que l'homme et la nuit ne peuvent faire alliance, qu'elle sera toujours porteuse de dangers et de peurs. Un artifice qui fait perdre de vue, au fil des ans et des générations, qu'elle reste une ennemie et que celles et ceux qui la chantent et la vénèrent le font presque toujours à l'abri de leurs murs et d'une douce lumière, à la fois protectrice et rassurante. 
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vendredi 20 janvier 2012

Et si Alger prenait le chemin de Tunis

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Slate Afrique

Vaincus sur le plan militaire mais toujours présents dans la société algérienne, les islamistes du FIS se disent que la bonne fortune de Ghanouchi va certainement leur profiter…


A Alger le 19 janvier 1992. AFP/ANDRE DURAND ABDELHAK SENNA
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A vingt années de distance, c’est un bien curieux chassé-croisé auxquels se livrent les islamistes algériens et tunisiens. Petit retour en arrière pour bien comprendre l’évolution de la situation des uns et des autres. Nous sommes en janvier 1992, le Front islamique du salut (FIS, aujourd’hui dissout) vient de remporter le premier tour de ce que le pouvoir algérien du moment présente comme les premières élections pluralistes «propres et honnêtes» depuis l’indépendance. Pour quelques jours encore, la formation religieuse est au centre du jeu politique algérien même si un bruit de chenilles annonce le coup d’Etat qui annulera le scrutin et précipitera la chute du FIS.

Quand Ghanouchi célébrait la victoire du FIS…

Mais, en ce début du mois de janvier, l’heure est encore à l’autocongratulation et aux félicitations en provenance du monde musulman, Yasser Arafat compris. La victoire du FIS algérien est ainsi célébrée comme une bonne nouvelle par les islamistes tunisiens en proie à une féroce répression de la part du régime de Ben Ali. De son exil londonien, RachedGhanouchi, le leader d’Ennahda (à l’époque interdit) considère que cette victoire électorale est «un jour de fête pour l’islam» et espère que le parti religieux va «réaliser les grands espoirs du peuple algérien et de la nation musulmane». A l’époque, Ghanouchi est officiellement accusé par les autorités tunisiennes d’avoir fomenté un complot pour l’assassinat de Zine el Abidine Ben Ali.
Dès lors, la victoire du FIS lui permet de fustiger le régime tunisien qui l’a forcé à fuir son pays.
«Les élections algériennes ont constitué une révolution pacifique, concrétisant l’exercice par le peuple de sa volonté à travers les urnes. Au contraire du FLN et du président Chadli Bendjedid (le président algérien de l’époque, ndlr) qui ont accepté de composer avec l’évolution et le vent du changement, le parti destourien (le RCD de Ben Ali, ndlr) n’a pas eu le courage d’admettre l’évidence de s’engager dans l’Histoire et d’accepter la libre concurrence et l’alternance au pouvoir».

… et quand sa victoire redonne espoir aux islamistes algériens

Des propos qui résonnent étrangement aujourd’hui et qui rappellent ceux que le leader islamiste tunisien a prononcé au lendemain de la victoire de son propre parti aux élections d’octobre 2011 pour l’Assemblée constituante tunisienne. Durant sa longue traversée du désert, Ghanouchi a-t-il pensé un jour que viendrait pour lui le temps de gagner des élections législatives et que ce succès électoral redonnerait de l’allant aux islamistes algériens qu’ils soient ou non adoubés par le pouvoir algérien? C’est ainsi que la perspective d’élections législatives au printemps 2012 a poussé le parti islamiste du Mouvement de la société pour la paix (MSP, ex-Hamas) à quitter l’alliance présidentielle qu’il constituait avec deux autres partis, le FLN et le RND, pour voler de ses propres ailes. Cette prise d’autonomie des «islamistes du pouvoir», tels qu’on les désigne souvent en Algérie, fait beaucoup jaser. En effet, nombre d’Algériens se demandent s’il ne s’agit pas d’un signe annonciateur de la décision du pouvoir réel algérien de s’appuyer désormais sur l’islamisme afin de prévenir toute contestation populaire.

Espoirs engendrés par la victoire d’Ennahda en Tunisie

Dans le même temps, le courant représentant l’ex-FIS (toujours interdit) est aux aguets et cherche lui aussi à se placer. Installé à Doha au Qatar, Abassi Madani, l’un des fondateurs du Front, reçoit et consulte beaucoup tandis que l’un de ses fils est partie prenante d’une nouvelle chaîne de télévision émettant depuis Londres. De même, l’activisme d’un ancien du FIS, le docteur Mourad Dhina, arrêté en début de semaine à l’aéroport de Paris-Orly à la demande des autorités algériennes (il s’était rendu de Genève à Paris pour assister à une séance du Conseil exécutif de Rachad, un mouvement d’opposition algérien dont il est l’un des membres fondateurs), est-il à mettre en lien avec les espoirs engendrés par la victoire d’Ennahda en Tunisie.
«La victoire du parti de Ghanouchi démontre aux militants du FIS que rien n’est jamais perdu. Vingt ans après, et dans la foulée d’un printemps arabe qui donne un peu partout le pouvoir aux islamistes, la tendance qui ne s’est jamais reconnue dans un MSP accusé d’être entre les mains du pouvoir algérien, se dit que c’est peut-être le moment de reconquérir l’espace politique», juge un ancien responsable du FIS aujourd’hui reconverti dans les affaires.

La fureur de Ben Ali en 1992

Revenons à janvier 1992. A Tunis, les déclarations de Ghanouchi citées en début d’article sont alors reprises par de nombreuses agences de presse internationales et mettent Ben Ali en fureur. Le président tunisien est déjà très remonté contre les diplomates tunisiens en poste à Alger, qui n’ont eu de cesse de le rassurer à propos du résultat du scrutin algérien.
«Ben Ali a cru aux promesses du régime algérien qui lui a assuré que le FIS n’aurait qu’un tiers des suffrages. Le matin du 27 décembre, quand il a appris que la victoire des islamistes algériens était écrasante, il est entré dans une colère noire», se souvient un acteur de l’époque.
Celui qui a déposé Bourguiba et qui est en lutte ouverte avec Ennahda depuis 1989 craint en effet que l’Algérie ne bascule dans l’islamisme et qu’elle ne permette à Ghanouchi de revenir s’installer à Alger (les dirigeants algériens l’ont toléré durant un temps avant de lui signifier qu’il était devenupersona non grata). Pour Ben Ali, c’est sûr. Avec le FIS au pouvoir et Ghanouchi en exil en Algérie, c’est son régime qui fera l’objet de tentatives permanentes de déstabilisation.
Du coup, début janvier 1992, c’est la propagande du régime qui se met en branle. Une «source officielle tunisienne» adresse donc une longue mise au point à l’Agence France Presse (AFP). Pour elle, la comparaison entre les situations algérienne et tunisienne «n’a pas lieu d’être, les données objectives et les réalités politiques, sociales et économiques propres à chacun des deux pays voisins étant tout à fait différentes». Et cette source officielle, d’accuser Ghannouchi et «sa bande de terroristes», d’avoir «toujours cherché à manipuler et à duper l’opinion occidentale sans cesser de comploter contre le régime républicain (tunisien) et d’œuvrer à saper le processus démocratique instauré en Tunisie
La suite du propos sera répété à l’envi au cours des deux décennies qui vont suivre et constitueront les incontournables éléments de langage propres à la dialectique benalienne: «Contre le modèle de société libre et tolérante, [les islamistes de Ghanouchi] continuent de nourrir le projet d’imposer par la violence un modèle théocratique et totalitaire fondé sur la coercition et l’obscurantisme avec pour corolaire l’abrogation du statut de la femme, reconnu comme l’un des plus progressistes du monde musulman, pour le remplacer par un statut qui la ramenerait au Moyen-âge.» Et de conclure, ce qui ne manque pas de sel a posteriori, que la «Tunisie, vigilante et sereine, a résolument opté pour les droits de l’Homme et pour le progrès, et définitivement tourné le dos à l’aventure et à la barbarie.»

Ben Ali soutient le coup d’Etat contre le FIS

Mais l’offensive de Ben Ali ne s’arrête pas là. Dès que les rumeurs d’un coup d’Etat à Alger commencent à circuler, des émissaires sont envoyés dans la capitale algérienne mais aussi à Paris, ce centre névralgique du jeu politique au Maghreb, pour convaincre les officiels français de soutenir les militaires algériens. Ce faisant, Ben Ali règle ses comptes avec Chadli Bendjedid, le président algérien obligé de démissionner après la tourmente provoquée par la victoire du FIS. En effet, le locataire du palais de Carthage n’a jamais pardonné à son homologue algérien la légalisation du FIS. Pour le comprendre, il faut rappeler qu’en février 1989, lors d’un sommet de l’Union du Maghreb arabe (UMA, Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie, Libye) les cinq chefs d’Etats maghrébins s’étaient engagés à ne jamais autoriser la création d’un parti se réclamant de l’islam. Quelques mois plus tard, l’émergence du FIS a ainsi été vécue comme une trahison par Ben Ali.
Mais, en janvier 1992, ce dernier ne fait que soutenir l’interruption du processus électoral algérien. Considérant qu’il ne faut pas donner le moindre signe de faiblesse, il aggrave aussi la répression contre les islamistes tunisiens.
«C’est comme si Ben Ali voulait nous signifier qu’il ne fallait rien espérer de la victoire du FIS» se souvient un ancien militant d’Ennahda qui rappelle que cette répression s’était déjà durcie après l’apparition du FIS sur la scène politique algérienne en 1989. Quelques semaines avant le scrutin algérien, le président tunisien a même envoyé un signal clair à Ennahda en refusant, en octobre 1991, de gracier trois de ses membres condamnés à mort pour avoir attaqué et brûlé un permanence du RCD en février 1991 (à l’époque, cet événement ayant coûté la vie au gardien du local avait déclenché une gigantesque vague d’arrestations dans tout le pays).
Ben Ali, Ghanouchi, les islamistes du FIS… A la fin janvier 1992, le premier semblait être le grand vainqueur tandis que le second se préparait, sans le savoir, à vivre deux décennies d’exil. Vingt ans plus tard, la roue a tourné. Quant aux islamistes du FIS, vaincus sur le plan militaire, mais toujours présents dans la société algérienne, ils se disent que la bonne fortune de Ghanouchi va certainement leur profiter…

Akram Belkaïd
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mercredi 18 janvier 2012

VIENT DE PARAÎTRE : La France vue par un blédard

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Pour information :

VIENT DE PARAÎTRE

La France vue par un blédard

Chroniques
de Akram BELKAÏD
184 pages au format 14 x 21 cm broché
ISBN : 978-2-84924-259-9 - 18,00 euros



4° de couverture

Pourquoi les oeufs durs ont-ils disparu des comptoirs des bistrots parisiens ? Que penser des polémiques récurrentes à propos de la burqa ou de l’islam en France ? Les Françaises sont-elles toujours aussi élégantes ou sont-elles désormais abonnées au mauvais goût mondialisé ? Le débat sur l’identité nationale, la téléralité et la com’ au service des politiciens sont-ils en train d’empoisonner l’âme républicaine française ? Combien de Français savent que la nèfle est un fruit emblématique de la Méditerranée ? Quelles sont les motivations de celles et ceux qui bravent les interdits pour défendre les sans-papiers ? Voilà autant de sujets abordés depuis 2005 par Akram Belkaïd dans sa Chronique du Blédard, publiée chaque semaine dans Le Quotidien d’Oran. Analyses, cris du coeur ou indignations, scènes de la vie quotidienne décrites avec humour, entretiens restitués sous la forme de monologues : ces textes subjectifs et, souvent personnels, décrivent à leur manière l’évolution de la société française. Les cinquante-six chroniques sélectionnées pour le présent ouvrage en apprendront autant à des lecteurs français qu’algériens.



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mardi 17 janvier 2012

La chronique économique : DE LA CHINE ET DU REEQUILIBRAGE DE L’ECONOMIE MONDIALE

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Le Quotidien d'Oran, mercredi 11 janvier 2012
Akram Belkaïd, Paris

Atterrira - n’atterrira pas ? Cette interrogation à propos de l’économie chinoise est devenue un thème récurrent de la presse économique et financière. On sait que la croissance chinoise ne cesse d’impressionner la planète entière depuis déjà deux décennies. Or, de manière régulière, des prévisions alarmistes font état d’un début de sa surchauffe (hausse de l’inflation, revendications salariales, augmentation des stocks, baisse des exportations) avec, à la clé, des craintes sur les conséquences locales mais aussi mondiales d’une baisse d’activité qui finira bien par arriver puisque, comme le dit l’adage, les arbres ne poussent jamais jusqu’au ciel.

UN SIGNE DE RALENTISSEMENT ?
Il y a peu, la publication du solde annuel du commerce extérieur chinois de 2011 a relancé ces interrogations. En effet, l’excédent n’a atteint «que» 155 milliards de dollars, soit son niveau le plus bas depuis 2005. Pour nombre d’observateurs, c’est la preuve que le modèle chinois basé sur les exportations commence à s’essouffler, notamment en raison de la crise financière mondiale. Pour l’économiste Nouriel Roubini - désormais mondialement célèbre pour avoir prédit la crise financière de 2008 -, l’année qui débute, et plus encore celle de 2013, risquent d’être celles du dur retour à la réalité pour la Chine avec un effondrement de ses ventes à l’étranger et une chute brutale de sa croissance.
Une perspective que les autorités chinoises n’écartent pas totalement. Depuis plusieurs mois, Pékin fait ainsi entendre une nouvelle musique à propos de son modèle économique et du « développement harmonieux » du pays. Ainsi, pour le régime chinois, il est de plus en plus urgent de développer la consommation intérieure, seule levier capable de prendre le relais des exportations. Dans le même ordre d’idée, Pékin parle aussi de modernisation de son système financier : ce qui ne veut pas dire pour autant qu’il y aura recul sur le dossier très controversé de la parité yuan-dollar (cela même si une partie des candidats américains à l’investiture du Parti républicain semble vouloir faire de ce point l’un des thèmes majeurs de la campagne électorale américaine pour la présidentielle de novembre prochain).
Cette relative contre-performance du commerce extérieur chinois conforte le discours de celles et ceux qui, essayant de défendre les vertus de la mondialisation, ont toujours expliqué que la Chine arriverait tôt ou tard à un tel niveau de développement que cela en fera un grand client des pays développés (des pays dont, en attendant, elle a aspiré une partie des emplois, mais aussi des technologies et du capital…). L’argument est connu. Une fois développé, l’ex-Empire du Milieu, en tant que marché à pouvoir d’achat croissant, offrira de nouvelles perspectives aux exportateurs des pays développés, lesquels, hausse du coût du travail chinois aidant, auront tout intérêt à relocaliser leurs emplois en Europe ou en Amérique du Nord.

LA CHINE INNOVE

Malheureusement, ce raisonnement ne tient guère la route car il est fondé sur une erreur fondamentale qui consiste à croire que la Chine mettra du temps à rattraper le reste du monde en matière d’innovation et de techniques de pointe. Or, selon un récent rapport du cabinet Thomson Reuters, ce pays vient de passer en tête devant les Etats-Unis et le Japon en matière de dépôt de brevets (314.000 en 2010). En 2015, la Chine devrait même avoir enregistré le dépôt de 500.000 brevets contre seulement 400.000 aux Etats-Unis. Si elle se réalise, une telle prévision démontrera une chose : la Chine n’est plus seulement «l’atelier du monde», car elle concurrence d’ores et déjà les pays développés dans les secteurs à forte valeur ajoutée.
L’hypothèse d’un rééquilibrage apparaît donc pour ce qu’elle est : un simple vœu pieu destiné à mieux faire passer la pilule amère des délocalisations et des conséquences de la libéralisation globale du commerce mondial.

lundi 16 janvier 2012

La chronique du blédard : Hollande à la recherche du second souffle

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 12 janvier 2012
Akram Belkaïd, Paris


Disons-le sans prudence aucune: Nicolas Sarkozy a de grandes chances d'être réélu au mois de mai prochain et ils seront des millions à pleurer de rage de ne pouvoir lui dire «maintenant, tu peux te casser…». Bien sûr, la campagne électorale ne fait que commencer et François Hollande reste en tête des sondages. Pourtant, certaines tendances qui se dégagent ne peuvent qu'inquiéter celles et ceux qui n'en peuvent plus d'une présidence aussi brouillonne que ploutophile sans oublier, en restant gentil, la personnalité pour le moinsclivante du locataire du Palais de l'Elysée.

Il y a d'abord le fait que François Hollande, candidat du Parti socialiste en particulier et, qu'on le veuille ou non, de la gauche en général, reste inaudible et incapable de renouer avec la dynamique porteuse qui était la sienne à l'automne dernier lors des primaires de sa formation politique. L'homme a beau multiplier les déplacements et les attitudes mitterrandiennes, y compris dans sa manière de parler et de se tenir face à un auditoire, il semble faire du surplace. Une impression accentuée par l'image de sérieux qu'il tente de se bâtir comme en témoignent son visage émacié – conséquence d'un régime alimentaire drastique – et les couleurs sombres (et ternes) de ses costumes et cravates.

C'est un fait, François Hollande souhaite visiblement mener une campagne sérieuse et digne, à la mesure des enjeux et de la symbolique républicaine du poste qu'il convoite. Et c'est peut-être là son erreur tactique. Car, en face, l'UMP de Nicolas Sarkozy est en train de durcir le jeu et se livre à un véritable tir d'artillerie lourde contre lui. Face à une droite belliqueuse, déchaînée et parfois même hystérique, Hollande a, pour le moment, opté pour la retenue, estimant peut-être qu'il s'agit de la meilleure attitude à tenir, l'honneur d'un candidat à la présidence de la République française n'étant pas de rouler dans le caniveau.

Mais dans un contexte médiatique où les petites phrases ont bien plus d'impact électoral que les programmes et les propositions, on peut tout de même se demander si l'héritier de Mitterrand et de Jospin (oublions la parenthèse Ségolène Royal) ne ferait pas mieux de mobiliser ses troupes pour qu'elles rendent coup pour coup et qu'elles cognent aussi fort que leurs adversaires. A ce sujet, la situation rappelle l'élection américaine de 2004 lorsque le camp de Bush multipliait les attaques violentes et outrageantes contre John Kerry. Pour son malheur, ce dernier a cru jusqu'au bout que l'intelligence et la clarté de son discours suffiraient à le faire élire. Une leçon retenue par Obama dont l'équipe électorale de 2008 comptait quelques bouledogues chargés de rendre la monnaie de sa pièce aux républicains.

Bien entendu, il faut aussi pouvoir être capable de répliquer. Face à une Nadine Morano qui, chaque jour ou presque, fait offense aux pauvres poissonnières à qui on la compare, il faut avoir aussi du muscle et du répondant. Et c'est un fait qu'ils ne sont pas nombreux dans l'équipe de François Hollande à vouloir se colleter avec les hurleurs de l'UMP (parmi lesquels l'ineffable Frédéric Lefebvre, vous savez ce grand intellectuel dont le livre préféré serait « Zadig et Voltaire »…). Plus grave encore, les quelques grands bretteurs de la gauche, on pense notamment à Jean-Luc Mélenchon, ont plutôt tendance à diriger leurs lames contre François Hollande plutôt que de s'en prendre à leurs vrais adversaires.

Et cela amène à évoquer un autre point parmi les handicaps actuels du candidat socialiste. Il est évident que cette élection présidentielle de 2012 n'est pas comme les autres. Pour la gauche, elle est un rendez-vous crucial qui doit mettre fin à une série de trois échecs successifs (1995, 2002 et 2007) et qui doit empêcher la droite de finir par se convaincre, comme c'était le cas avant l'élection de Mitterrand, que le Palais de l'Elysée lui revient de droit. Mais si cette élection est importante c'est aussi parce qu'il s'agit d'empêcher la réélection de Sarkozy. Le « tout sauf Sarkozy » qui est dans tous les esprits à gauche (et un peu au centre) devrait logiquement mener à l'union sacrée. Or, il n'en n'est rien. La gauche reste divisée en prévision du premier tour et c'est ainsi que, doucement mais sûrement, se prépare un remake du 21 avril 2002 où Chirac et Le Pen (père) avaient éliminé Jospin. Il y a encore quelques semaines, les journalistes politiques évoquaient le scénario d'un duel Hollande – Le Pen (fille) pour le second tour de la présidentielle. Ils en sont aujourd'hui à décrire un scénario inverse, catastrophique pour la gauche (et la France) où le président sortant affronterait (avec la certitude d'être réélu) la chef de file de l'extrême-droite française.

Par ailleurs, la montée en puissance, du moins telle qu'elle se traduit dans les sondages, de François Bayrou est une mauvaise nouvelle pour François Hollande. Elle signifie que des électeurs du centre mais aussi de droite, déçus du sarkozysme, préféreront voter pour le Béarnais plutôt que pour le candidat de la gauche. Or, Hollande risque d'avoir besoin de ces voix dès le premier tour. Et il n'est même pas dit qu'il puisse bénéficier de leur report dans le cas où il se retrouverait face à Sarkozy au second tour. En 1981, Mitterrand, certes aidé par la trahison de Chirac, avait remporté le scrutin en attirant à lui une partie des voix de droite (celles des déçus de Giscard). C'est l'exploit que Hollande doit réaliser tout en faisant le plein à gauche. Il lui reste près de trois mois pour y arriver en musclant et en enflammant sa campagne. A défaut, la France et les Français rempileront pour cinq années de plus avec Sarkozy. Cinq années de trop…...
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Sud-Ouest Dimanche: Au chevet du monde arabe

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Dimanche 15 janvier 2012
 Propos recueillis par Bruno Béziat
  

Au chevet du monde arabe

Akram Belkaïd, journaliste et essayiste, se montre optimiste à long terme après les révolutions arabes, malgré une période d'incertitude qui peut durer

Akram Belkaïd : « Ces peuples ont dit que c'en était fini de leur humiliation ».

Akram Belkaïd : « Ces peuples ont dit que c'en était fini de leur humiliation ». (photo dr)

Le journaliste Akram Belkaïd n'est pas du genre à faire des concessions. Dans son dernier livre, paru en septembre, il dresse un portrait très éloigné des idées reçues d'un monde qu'il connaît bien pour en être originaire, un monde en plein bouleversement.
« Sud Ouest Dimanche ». Avez-vous été surpris par la rapidité de la diffusion de ces révolutions dans le monde arabe ?
Akram Belkaïd. J'ai été surpris et pris de court. D'abord de la façon dont tout a démarré en Tunisie, et ce qui s'est passé ensuite avec la chute assez rapide de Ben Ali, puis de la manière dont les événements se sont propagés dans le monde arabe - cette explosion de revendications, l'irruption des peuples dans l'arène. Elle devait certainement avoir lieu un jour ou l'autre. Mais je n'avais pas imaginé pouvoir vivre une année aussi intense, avec autant d'événements qui se sont enchaînés.
Le Printemps arabe est une succession de révolutions, de la Tunisie à la Libye en passant par l'Égypte et d'autres… Mais ont-elles un lien ?
J'y vois un lien : le fait que les régimes arabes n'étaient en rien démocratiques. Aucun n'a pris en compte l'attente des peuples pour avoir davantage de droits et de libertés. Ces peuples ont dit à leur manière, avec leurs arguments, que c'en était fini de leur humiliation.
Vous parlez de l'humiliation des peuples. Ce n'est pas le seul moteur de ces révolutions…
La révolte contre l'humiliation subie par les peuples n'en est effectivement pas l'unique cause. La faillite socio-économique de ces régimes l'explique également. Lorsque les Tunisiens se soulèvent, c'est aussi parce qu'ils ont du mal à faire face à l'augmentation du coût de la vie. Rappelez-vous le jeune marchand tunisien qui s'est immolé par le feu.
Pourtant, certains pays comme la Libye, le Bahrein ou l'Algérie disposent de la richesse des ressources pétrolières et donc subissent moins de pauvreté que la Tunisie ou l'Égypte…
Lorsque l'on regarde la situation de plus près, y compris en Libye ou dans les monarchies pétrolières, on voit qu'une partie de la jeunesse est hors circuit, ne profite pas de ces richesses. Certains ont ouvert les vannes financières et acheté la tranquillité sociale, mais une forme de précarité et de mécontentement perdure. On peut s'attendre à des surprises, y compris en Arabie saoudite, où une grande partie de la jeunesse est éduquée mais au chômage, où la pauvreté existe, où vous pouvez voir des bidonvilles à la lisière des grandes villes.
L'Algérie est également un cas particulier, la guerre civile y a laissé des traces…
Effectivement. Il y a vingt ans, les islamistes remportaient l'élection. Et tout cela s'est terminé par une guerre civile sanglante qui a duré des années. Les Algériens savent bien ce qu'est une transition politique ratée, dont les conséquences peuvent être terribles, des milliards de dollars de destructions, des dizaines de milliers de morts… Ils y regarderont à deux fois avant de s'aventurer dans une nouvelle transition. En augmentant les salaires, le régime a désamorcé le début de la contestation. Beaucoup d'Algériens ont dû se dire qu'ils avaient tout à perdre, mais les problèmes fondamentaux et structuraux de l'Algérie sont loin d'être réglés.
En revanche, le Maroc a donné un exemple de transition politique réussie après quelques manifestations…
Il existe là aussi une spécificité marocaine, puisque le roi bénéficie d'une légitimité, ce qui n'était pas le cas de Ben Ali en Tunisie. Mohammed VI a incontestablement désamorcé ce qui pouvait être une lame de fond contre le pouvoir et la monarchie, en modifiant la Constitution, en acceptant de gouverner avec les islamistes. Cette monarchie a une grande capacité à neutraliser ses opposants, à les coopter. La situation reste tout de même difficile, avec de fortes disparités et d'importants écarts de revenus. Le pays n'est pas à l'abri de nouvelles révoltes populaires.
Vous évoquez l'islam avec le Maroc. Ces victoires des islamistes après les révolutions arabes vous ont-elles surpris ?
Autant j'ai été surpris par la soudaineté du Printemps arabe, autant ces résultats électoraux m'ont semblé logiques. Les islamistes ont récupéré la mise parce que la nature a horreur du vide. Les partis en place n'étaient plus crédibles. Les islamistes étaient les seuls opposants à disposer d'une logistique, d'une assise politique, de lieux pour s'exprimer (les mosquées) avec un discours simple, d'un réseau d'aide sociale. On confond souvent démocratie et organisation des élections. Les autres partis d'opposition n'ont pas eu le temps de s'organiser, alors les peuples sont allés vers les islamistes.
Ce vote islamiste n'est-il pas aussi lié, selon vous, à une volonté des peuples arabes de retrouver une identité fondée sur la religion ?
Oui, cela a certainement compté, dans le sens où ils ont profité du grand désarroi identitaire du monde arabe, où les peuples ne savent plus qui ils sont. Le retard par rapport à l'Occident dans beaucoup de domaines est mal vécu. La question est de savoir comment faire pour œuvrer à un renouveau fondé sur quelque chose, c'est tout l'enjeu des mois et des années à venir.
Vous pensez que l'on doit différencier les islamistes ?
Certainement. Si vous regardez l'exemple de la Turquie, avec un courant de démocrates musulmans qui s'apparente finalement à la démocratie chrétienne - dont je rappelle que les discours prononcés à l'origine du mouvement, en Europe, heurteraient certainement aujourd'hui. On ne sera véritablement certain qu'il peut y avoir une cohabitation entre islam et démocratie que s'il émerge un élan théologique moderniste, une relecture du Coran. L'islam attend encore sa réforme, son Vatican II, en quelque sorte. La véritable bataille se situe là, sur cette émergence d'une nouvelle manière de pratiquer et de lire les textes.
Vous êtes plutôt pessimiste ?
Je ne suis pas pessimiste sur le long terme. Je pense que nous allons avoir une période d'incertitude qui risque de durer, des turbulences importantes, éventuellement des régressions démocratiques. Mais les intelligences et les richesses existent dans ces 20 pays. Le monde arabe attend un second déclic. Le principal écueil au développement de ces pays est la nature de ces régimes. Les phénomènes de corruption, de clientélisme, de régionalisme freinent les initiatives individuelles. Le levier démocratique doit permettre le développement.
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mercredi 11 janvier 2012

Janvier 1992 : Hocine Aït Ahmed dénonce le coup d'Etat et appelle à préserver la paix civile

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Le contexte :

Fin janvier 1992. Les élections législatives qui ont vu la victoire du Front islamique du salut (FIS) au premier tour ont été annulées. Le président Chadli tandis que l'Assemblée sortante a été dissoute. Pour diriger le pays, un Haut Comité d'Etat (HCE) a été formé avec à sa tête Mohamed Boudiaf de retour au pays après un exil de près de vingt-neuf ans. Le pays commence à être gagné par la violence, notamment le vendredi après la grande prière où des sympathisants du FIS affrontent les forces de l'ordre. Des leaders du FIS, dont Abdelkader Hachani, sont arrêtés. Le HCE évoque la création d'un Conseil consultatif pour remplacer l'Assemblée sortante.  A la tête du Front des forces socialistes (FFS), Hocine Aït Ahmed réitère son rejet de l'interruption du processus électoral et propose une sortie de crise par l'élection d'une Assemblée constituante.

Entretien avec Hocine Aït-Ahmed : « La paix civile à tout prix ! »
Le Quotidien d’Algérie, vendredi 24 – samedi 25 janvier 1992
Propos recueillis par Akram Belkaïd

Le Quotidien d’Algérie.- Certaines rumeurs font état de contacts, voire de négociation en cours entre le Front des forces socialistes (FFS) et le Haut-Comité d’Etat (HCE).
Hocine Aït Ahmed.- Il n’y a vraiment aucun contact. Je déplore qu’aucune initiative n’ait été prise en ce sens. Nous avons l’impression que toutes les institutions qui vont être installées après ce coup d’Etat, qui lui-même est une violence, seront imposées comme des faits accomplis et cela, sans que l’on se soucie de l’avis des responsables politiques.

Vous pensez que l’on entre dans une ère de « faits accomplis » ou de décisions imposées ?
Mais nous ne sommes jamais sortis de cette ère ! Nous avons eu, par exemple, en août, une réunion gouvernements-partis politiques et nous avons donné notre avis sur plusieurs problèmes dont le mode de scrutin. Aucun n’a été retenu. Nous avions proposé la proportionnelle sur la base de la wilaya qui permet au parti d’avoir autant de sièges que de suffrages. Cela aurait évité la catastrophe du 26 décembre dernier. Le chef du gouvernement (Sid Ahmed Ghozali, ndla) a fait un compromis avec Belkhadem. Un compromis qui a facilité la candidature des indépendants et qui a en tout cas réussi à faire diminuer le nombre de circonscriptions où le FFS était le mieux implanté. C’est ainsi que nous avons été privés de 40 à 45 sièges. Aucune de nos propositions n’a été prise en compte. Evidemment, un coup d’Etat, il faut appeler les choses par leur nom, se passe de consultation. A part celle d’une catégorie de privilégiés que nous appelons désormais les « militaro-démocrates ». Ces gens ont appelé l’intervention de l’armée entre les deux tours en demandant l’annulation du second tour.

L’impact de votre marche du 2 janvier n’a-t-il pas été récupéré par ceux qui, justement, espéraient interrompre le processus électoral ?
Je ne le pense pas, car cette marche restera celle des vrais démocrates. Le FFS l’a organisée avec sérieux. Nous avons toujours joué la légalité et c’est vrai qu’il y a eu des tentatives de pénétration mais nous sommes intervenus pour enlever certaines banderoles et stopper des slogans contraires à l’esprit de la marche. Les gens qui ont marché l’ont fait contre l’Etat policier ou intégriste. Ils sont venus pour donner crédit à cette trouée stratégique de la démocratie face à deux orientations aussi négatives l’une que l’autre.

Mais quelle aurait été la stratégie du FFS en cas de majorité absolue du FIS après le second tour ?
Notre souci permanent est le changement radical du régime et cela de manière progressive. Ni par la violence, ni par la révolution mais grâce à un processus ordonné et avec la volonté de préserver la paix civile. Ces élections étaient l’occasion d’amorcer ce changement. Le premier tour a montré la victoire relative du FIS et surtout son recul par rapport aux municipales de juin 1990. Il fallait respecter la suite du processus électoral. Dans la pire des hypothèses la Constitution a quand même des garde-fous. Il fallait aller jusqu’au bout. C’était pour nous, en tant que parti sérieux, qui jouons l’option démocratique, la meilleure manière d’affaiblir le FIS en l’acculant à prendre le pouvoir tout en sauvegardant bien entendu les attributs de souveraineté qui sont la police et l’armée.
Pour le reste, je pense que l’épisode des municipales a démontré que sans programme et sans expérience de gestion, le FIS a fait la preuve de son incapacité. Il aurait perdu de son influence, et peut-être même que les courants contradictoires qui traversent son sommet auraient, à l’épreuve du pouvoir, provoqué son implosion. Ce qui nous importait, c’était de continuer dans la légalité électorale et constitutionnelle. Je pense que l’interruption du processus électoral constitue une catastrophe pour notre pays et un grand coup pour son renom à travers le monde.

Que pensez-vous de la situation actuelle ?
Aujourd’hui, je dois constater une chose. Il y a trop de manipulations des médias. On avance trop d’éléments sans savoir s’ils expriment la volonté des instigateurs du coup d’Etat, celle du HCE ou alors celle de certains notables de l’ancien régime. Nous ne savons rien. Il n’y a que des rumeurs. Nous attendons de voir. Mais ce qu’il faut constater et cela frappe l’opinion internationale, c’est qu’aucune garantie n’a été donnée sur l’avenir du pluralisme, des droits de l’homme et des libertés individuelles. Je crois avoir toujours dis que nous étions opposés à la répression. Nous sommes des démocrates qui défendrons une solution démocratique. Le problème de l’intégrisme ne peut être résolu que par la démocratie. Les mêmes causes vont engendrer les mêmes effets. La misère, le chômage, l’absence de lieux d’expression, autres que les mosquées, et le vide politique sont les vecteurs de l’intégrisme. La dictature ne va pas résoudre les problèmes sociaux et culturels. Combien même serait-elle une version moderniste du franquisme. Le courant intégriste risque d’être renforcé et on ne pourra pas le réduire par la force. Trois millions d’électeurs (qui ont voté pour le FIS, ndla), ce n’est pas rien. Jamais les Algériens ne se remettront au travail sans confiance et espoir. Le choix démocratique est la seule voie susceptible de leur redonner l’une et l’autre.
Les gens du pouvoir jouent sur les réflexes sécuritaires mais les crises multiples ne vont pas disparaître magiquement et les succès momentanés ne doivent pas faire illusion et l’esprit frondeur des Algériens risque de ressurgir de plus belle.

On parle beaucoup de dissolution du FIS et d’autodissolution du FLN.
Allez connaître les projets de gens passés maîtres dans l’art du double langage et de la désinformation. S’agit-il d’une vraie politique ou de manœuvres médiatiques à usage interne ou externe, ou encore de sondages d’opinion ? Force est de constater que cette forme de « boulitique » nous ramène en plein dans les années 1970 et aux traditions des polices politiques des pays de l’Est.

Vos rencontres avec le FIS et le FLN ont fait grand bruit.
En premier lieu, les faits. J’ai rencontré ces deux partis dans la volonté de désamorcer le recours à la violence. C’était à la veille des prières du vendredi. Il risquait d’y avoir des dérapages. Il fallait être vigilant et éviter que l’Algérie n’entre dans un cycle d’affrontements. Tels sont les faits ! Alors, comment a-t-on pu transformer cette obsession de la paix, qui ne souffre d’aucun préalable, en alliance ou « front » d’opposition ? J’en suis consterné. Est-ce dû à la perversion du matraquage médiatique ? Ou alors à une opposition à ce point dépolitisée et infantilisée qu’elle en oublie elle-même sa propre soif de paix et de tranquillité et de refus du sang versé ? Quant à la pseudo déstabilisation de la base (du FFS, ndla), le mensonge et la propagande n’ont fait que la galvaniser.

Au vu de la situation, ces contacts risquent alors d’avoir lieu chaque jeudi ?
Personne ne va nous dicter notre politique de contacts. Nous n’avons aucun préalable à des contacts pour le maintien et la sauvegarde de la paix civile ; ne pas nous imposer d’autres vues. Nos militants sont avertis des tentatives de manipulation. Nous sommes prêts à avoir des contacts tous azimuts quand nous voudrons, avec qui nous voudrons et au moment où nous le déciderons. Notre devise restera ni Etat policier ni République intégriste. La conviction que nous avons désormais est qu’un clan de l’ex-parti unique a pris le pouvoir, c’est cela qu’on veut banaliser en faisant oublier qu’il y a un coup d’Etat en focalisant l’opinion sur d’autres choses. En accusant par exemple certains partis mais ces techniques ne vont pas loin. Depuis deux ans, on ne cesse de nous accuser d’être alliés tantôt au FLN tantôt au FIS, tout en affirmant que nous faisons cavalier seul. Je le répète, il n’y a jamais eu, il n’y aura jamais d’alliances sur quelques problèmes que ce se soit.

Vos propos concernant « les montagnes » ont choqué.
Je sais que je suis dans le collimateur et on tentera de travestir et de transformer tout ce que je dirai y compris le langage de patriote et de démocrate que je ne cesse de tenir. Or, mes paroles étaient celles d’un Algérien qui n’acceptera des leçons de patriotisme de personne. A la question « l’Algérie sera-t-elle l’Iran ? » J’ai dit que tant que les intégristes sont implantés essentiellement dans les villes et qu’ils ne sont pas dans les montagnes, le rapport de force ne sera jamais en leur faveur. En clair, les montagnes sont pour moi le symbole de la liberté : l’épine dorsale de l’Unité nationale et je le souhaite, le garant pacifique du retour à la démocratie. Mon discours avait une double destination. Aux Algériens il disait : « Ne perdez pas espoir, ne démissionnez pas. » Il s’agissait d’empêcher que le syndrome de Munich ne se propage et c’était déjà le but de la marche du 2 janvier. Au monde extérieur, il affirmait « ayez confiance en l’Algérie ». Ce n’est pas un pays mineur. Il subit une épreuve difficile mais reprendra bientôt son véritable prodige et sa véritable dimension ?

Siègerez-vous au Conseil consultatif ?
Nous ne connaissons ni les prérogatives, ni le fonctionnement ni même la future composition de cet organisme. J’apprends par-ci par-là que des listes de personnalités circulent. Elles sont contradictoires et reflètent encore les jeux du pouvoir et des clans régionalistes à l’intérieur du pouvoir. De toute évidence nous ne soutenons ni institutions imposées ni faits accomplis.

Comment alors sortir de la crise actuelle ?
Notre Conseil national composé de 260 membres s’est réunit le jeudi 16 (janvier) et a proposé une sortie raisonnable de cette crise. En premier lieu, l’élection d’une Assemblée constituante à un moment où le régime ne dispose d’aucune légitimité et où je dirai que l’Algérie est en totale anticonstitutionnalité avec elle-même. En second lieu, la constitution d’un gouvernement provisoire en vue de préparer cette échéance constituante notamment par une loi électorale démocratique. Cela suppose que ce gouvernement soit composé de personnes intègres et non partisanes, ou alors qu’il soit de coalition mais cela doit résulter de larges consultations. Dans cette perspective une chose s’impose. La démission du gouvernement Ghozali dont la seule mission était d’organiser des élections propres, honnêtes et… formidables. Ce gouvernement n’a plus sa raison d’être puisque ni le Président de la République ni l’APN ne sont là pour lui demander des comptes. Telle est la sortie de crise que propose le FFS. Ce dernier ne veut rien imposer et il est prêt à discuter librement pour sortir de l’impasse mais il n’acceptera pas de compromissions aux dépens de l’avenir démocratique du pays.

Que pensez-vous de l’arrestation de Hachani ?
Il est difficile de le charger car il est déjà privé de sa liberté, mais je ne peux cautionner tout appel de nature à déstabiliser les institutions. L’Etat étant déjà lui-même fortement déstabilisé. Je suis un militant des droits de l’homme et je ne peux pas me taire sur les menaces qui pèsent sur la presse à la suite des arrestations qui viennent d’être opérées. Le code de l’information est déjà en lui-même un dispositif scélérat et que dire si la répression devait aggraver les phénomènes d’autocensure et de langue de bois qui gagnent les médias. On a observé que la sortie du communisme a été plus dure que la sortie du nazisme vers la démocratie. Et quel Algérien attaché au prestige de son pays et au bonheur de son peuple accepterait que l’Histoire puisse un jour juger la sortie du système algérien comme ayant été la plus pernicieuse ?

Propos recueillis par Akram Belkaïd