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jeudi 10 mai 2012

La chronique du blédard : François Hollande, les drapeaux arabes à la Bastille et l'intégration

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Le Quotidien d'Oran, jeudi 10 mai 2012
Akram Belkaïd, Paris

C’était à prévoir... La présence de nombreux drapeaux arabes sur la place de la Bastille au soir de l’élection de François Hollande a provoqué une flopée de commentaires négatifs. Dès le lendemain, la droite et l’extrême-droite ont dénoncé des manifestations communautaristes et en ont profité pour faire le lien entre ces emblèmes et le projet de François Hollande d’accorder le droit de vote aux étrangers non-communautaires (pour les élections municipales). On peut d’ores et déjà parier que ce thème polémique du drapeau étranger, surtout, arabe, ou plus encore maghrébin, ou, soyons plus directs, algérien, va peser sur la campagne pour les élections législatives des 10 et 17 juin prochains.

Commençons par une première mise au point. Ce n’est pas la première fois que des drapeaux maghrébins sont agités au soir d’une élection présidentielle française. En 2002, après la victoire de Jacques Chirac contre Le Pen père, il y en avait déjà des dizaines place de la Bastille. Souvenons-nous du visage effaré (révulsé ?) de la Bernadette debout sur scène avec son mari face à la vague de drapeaux vert, rouge et blanc (lesquels semblaient plus fêter la défaite du leader du Front national que la victoire de Chirac). Pour mémoire, c’est la présence de ces drapeaux qui avait alors dissuadé Nicolas Sarkozy de faire son apparition sur cette même place en 2002... Pour autant, il n’avait pu empêcher qu’ils soient de nouveau présents en 2007 sur la place de la Concorde (il faut tout de même reconnaître qu’ils étaient bien moins nombreux que le soir du 6 mai).

Ajoutons une deuxième précision. Ce phénomène de la présence de drapeaux maghrébins ne concerne pas uniquement la France et sa vie politique. Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder à la télévision un match de football ou toute autre compétition sportive, curling compris, en n’importe quel point du globe. Que l’on soit en Catalogne, en Australie ou aux confins de l’Argentine, il y aura toujours un Algérien ou un Marocain qui se débrouillera pour placer le drapeau de son pays face aux caméras. Au Maghreb et dans le reste du monde arabe, quand il s’agit de sport, ce type de spectacle fait dire, avec amusement et un brin de satisfaction, que « nous sommes partout ». A l’inverse, il est certain que voir flotter un drapeau mauritanien ou algérien à côté d’un poster de François Hollande en a déconcerté plus d’un de Rabat à Mascate.

Il y a plusieurs explications à la présence de ces drapeaux place de la Bastille. On peut estimer que c’est l’expression d’une revanche contre la présidence de Sarkozy et contre ses discours stigmatisant les gens d’origine arabe ou « d’apparence musulmane ». On peut aussi penser, comme l’a dit un commentateur d’Al-Jazeera, que François Hollande est jugé moins proche d’Israël et des Etats-Unis que le candidat de la droite. La présence des drapeaux aurait donc signifié un soutien enthousiaste des pays et des peuples arabes au nouveau président français. Ce serait aussi une manière comme une autre de lui rappeler qu’il existe d’autres continents que l’Europe et que l’on attend de lui qu’il précise ses projets pour le sud et l’est de la Méditerranée.

Enfin, on peut aussi y voir l’image d’une certaine France, humaniste, engagée et généreuse, qui éclairerait le reste du monde. Avec les Etats-Unis, la France est l’un des rares pays au monde dont l’élection présidentielle est suivie de près par de nombreux peuples y compris arabes. Et il ne s’agit pas simplement d’une simple passion par procuration. Cela peut être vu comme un signe avant-coureur, un exemple à suivre. A ce sujet, François Hollande et ses amis socialistes ne se trompent pas quand ils affirment que leur victoire électorale peut être le catalyseur du réveil d’autres gauches.

Ceci étant précisé, il ne faut pas non plus être naïf. Ces drapeaux maghrébins place de la Bastille étaient aussi le fait de comportements inconséquents voire de provocations. Le problème n’est pas nouveau et, en réalité, il concerne peu les étrangers vivant dans l’Hexagone. On le sait, ce sont surtout de jeunes français  - il est important de préciser et de répéter qu’ils ont déjà et depuis longtemps la nationalité française – qui prennent un malin plaisir à exhiber en toutes circonstances (cérémonies de mariage comprises) le drapeau du pays dont sont originaires leurs parents voire leurs grands-parents. Disons-le, cette manière de faire n’est pas acceptable. Elle est inconvenante, elle renforce la xénophobie et donne des arguments à la droite et à l’extrême-droite. Elle peut aussi choquer des personnes qui n’ont rien de raciste mais qui se demandent ce que ces drapeaux viennent faire chez eux. Comme évoqué dans une chronique précédente (*), ces comportements ont tendance à désespérer et à mettre dans la gêne celles et ceux qui, justement, combattent pour une société plus égalitaire et plus tolérante.

François Hollande et son camp ont tout intérêt à ne pas éluder ce problème. C’est à eux de convaincre ces jeunes qu’ils ont tout à fait le droit d’être fiers de leurs racines mais qu’ils doivent aussi se sentir pleinement Français. Qu’ils peuvent brandir un drapeau algérien ou tunisien le soir d’une victoire électorale en France (ou de toute autre occasion) mais qu’il serait préférable pour eux de brandir aussi le drapeau bleu-blanc-rouge (à ce sujet, le staff électoral de Hollande aurait été bien inspiré de distribuer plus de drapeaux français place de la Bastille…). Contrairement à la droite qui a encore du mal à accepter l’idée que ces jeunes sont de « vrais » Français, la gauche peut tenir un tel discours de fermeté à l’égard de cette jeunesse schizophrène sans renier ses valeurs et ses engagements.

François Hollande qui a eu le courage, dans une campagne électorale très heurtée, de défendre le droit de vote des étrangers aux élections locales, peut dire à ces jeunes : « Soyez Français ! Ne laissez personne vous dire le contraire. Soyez Français et assumez-le. Cela ne fera pas de vous des traîtres vis-à-vis du pays de vos pères. » Mais pour être entendu et compris, le nouveau président français devra se colleter avec un passé récent et douloureux. Celui d’un Parti socialiste peu enclin à s’ouvrir et très réticent à permettre aux enfants de l’immigration d’avoir des responsabilités en son sein ou de briguer des mandats électoraux nationaux. A ce sujet, tout le monde sera attentif à la composition des listes électorales pour les prochaines législatives. Pour la gauche, longtemps critiquée sur le sujet, il ne suffira pas d’imiter Sarkozy en nommant quelques visages de la diversité au gouvernement. Il faudra aussi des députés élus à moins de vouloir donner raison aux Français et Françaises qui, par dépit et amertume, se sentent bien plus à l’aise en brandissant des drapeaux maghrébins que l’emblème bleu-blanc-rouge.

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