Lignes quotidiennes

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Dernier ouvrage paru : L'Algérie en 100 questions. Un pays empêché (Tallandier, 2019)

jeudi 23 août 2007

Irak - Vietnam : Bush réécrit l'histoire


Voilà donc le Vietnam qui fait une entrée fracassante dans le débat sur la présence des troupes américaines en Irak. Certes, depuis le début de la guerre, en mars 2003, commentateurs et experts ont toujours eu en tête l’exemple du bourbier vietnamien pour mesurer la détérioration de la situation sécuritaire et cela dès les premières semaines qui ont suivi la chute du régime de Saddam Hussein. Par la suite, et l’occupation virant au chaos, cette comparaison est devenue de plus en plus fréquente, le terme « quagmire » (bourbier) étant souvent utilisé dans les titres et manchettes.

Mais, cette fois-ci, c’est le président Bush lui-même qui vient, pour des raisons différentes (on s’en doute !), de se référer au Vietnam pour justifier le maintien des troupes américaines en Irak. Son message, délivré mercredi 22 août au Kansas devant des vétérans de plusieurs guerres, est simple : un retrait américain provoquera un bain de sang tout comme le départ de l’US army du Vietnam a provoqué « des millions de morts » sans compter les milliers de réfugiés et autres « boat people ».

C’est donc une double polémique que déclenche le président américain. D’une part, il refuse de céder aux appels répétés de ceux qui le pressent à désengager les Etats-Unis d’Irak. Et, de l’autre, il ravive un débat que l’on croyait clos à propos du Vietnam. Ainsi, pour Bush, le retrait américain du « Nam » en 1975 fut une erreur et il en veut pour preuve la victoire du Vietminh mais aussi celle des khmers rouges au Cambodge. Disons-le tout de suite, cette opinion est aujourd’hui minoritaire aux Etats-Unis y compris dans le camp républicain même si on y a encore du mal à digérer ce qui fut une défaite politique sinon militaire.

Mais Bush, fidèle à son habitude, réécrit l’Histoire tout en créant la controverse. Il feint de croire que le retrait du Vietnam fut décidé à la hâte alors, qu’en réalité, il a débuté dès 1968 avec un plafonnement des troupes sur le terrain. De même, il ne veut pas admettre que la défaite des troupes américaines était consommée dès lors qu’elles intervenaient dans un pays dont la majorité de la population ne leur était pas acquise. Enfin, c’est bien parce que les Etats-Unis sont intervenus au Vietnam que la guérilla khmer a gagné en influence au Cambodge.

L’objectif du président américain est simple. En assimilant l’Irak au Vietnam, il entend ressouder autour de lui le camp républicain dont une bonne partie est désormais encline à ne plus le soutenir sur la question du maintien des troupes. Pour ce faire, il réveille une vieille blessure et en appelle à l’amour-propre des Américains. « Evitons-nous une seconde humiliation », leur dit-il et, à moins d’un mois du rapport au Congrès sur la situation en Irak, il n’est pas impossible que ce discours atteigne son objectif. A moins que le cycle de violences sur place ne conforte la position des partisans d’un retrait, fut-il progressif.

jeudi 9 août 2007

Effets de muscles à Pékin et Washington


C’est une tournure intéressante que vient de prendre le « dialogue économique stratégique » entre la Chine et les Etats-Unis. De quoi s’agit-il ? Prenons cette affaire dans l’ordre chronologique. Mercredi 8 août, le Daily Telegraph a affirmé que la Chine n’excluait pas de recourir à la vente d’une partie de ses avoirs en dollars – notamment des bons du Trésor US– si des sanctions commerciales lui étaient infligées par le Congrès américain.

Le journal citait les commentaires de Xia Bin, directeur du centre de recherche sur le développement (State Council Development Research Center, un organisme étatique) pour qui les actifs en dollars détenus par la Chine (en mai dernier, la Banque centrale chinoise détenait 407,4 milliards de dollars en Bons du Trésor américains soit le tiers des réserves de change du pays du Milieu), devraient pouvoir servir de « pion de marchandage » dans les discussions plus ou moins tendues entre son pays et les Etats-Unis.

Des propos réitérés ce jeudi 9 août sur le fil de l’agence Bloomberg, le responsable affirmant toutefois parler en son nom propre. A cela, il faut ajouter les déclarations de He Fan, responsable de l’Académie chinoise des sciences sociales, pour qui la Chine est aujourd’hui « capable de faire chuter le dollar. »

L’affaire aurait pu en rester-là même si ces déclarations ont provoqué quelques turbulences sur des marchés financiers déjà très éprouvés par la crise du crédit immobilier aux Etats-Unis. Mais c’est la réaction du président Bush qui mérite d’être relevée. Interrogé par Fox News, le locataire de la Maison-Blanche a estimé que la Chine aurait plus à perdre que les Etats-Unis si elle venait à céder une partie de ses actifs en dollars. Pour lui, une telle vente serait « téméraire » et « absurde ».

La mise en garde est évidente et, du coup, cela relance les conjectures autour du scénario « du grand affrontement ». Depuis plusieurs années, commentateurs et experts prédisent en effet, qu’un jour ou l’autre, la question des bons du Trésor américains détenus par la Chine débouchera sur une crise majeure entre Pékin et Washington. On connaît le marché qui lie les deux pays. Pour financer son train de vie – et vivre au dessus de ses moyens -, l’Amérique s’endette notamment auprès de la Chine laquelle, de son côté, a besoin du marché américain pour écouler une partie de ses exportations. En apparence donc, chaque partie se tient. Question : qu’adviendra-t-il si la Chine décide un jour, pour des raisons politiques ou de leadership planétaire, de casser ce contrat implicite ?

Il y a quelques années, lors du forum de Davos, un officiel américain avait expliqué que les Chinois ne se détourneraient jamais du dollar, vivant avec lui « une véritable histoire d’amour. » Ce à quoi avait répliqué sans rire un représentant du gouvernement chinois : « les histoires d’amour finissent mal en général. »

En lançant son avertissement, George W. Bush veut donc donner l’impression que les Etats-Unis se sentent en position de force mais l’affolement des marchés et la nature de son commentaire – pourquoi user du terme « téméraire » ? - démontrent que son administration n’est pas aussi sereine que cela.

Bien entendu, l’affaire est loin d’être annonciatrice de la crise tant de fois annoncée d’autant qu’officiellement, Pékin répète régulièrement qu’il n’est pas de son intérêt de vendre massivement ses actifs en dollars pour ne pas provoquer un effondrement du dollar et une dépréciation de ses avoirs. Il n’empêche, cette passe d’arme ne doit pas être négligée d’autant que l’on imagine mal que les deux officiels chinois aient pu avancer pareils arguments sans le feu vert, même implicite, de hauts responsables.

Et il est vraisemblable qu’en Chine, on commence à s’agacer sérieusement du « China-Bashing » qui ne cesse de s’aggraver aux Etats-Unis avec des Démocrates qui réclament des sanctions à cor et à cri pour punir, selon eux, le fait que la devise chinoise seraient sciemment sous-évaluée pour favoriser les exportations, au détriment des produits et emplois américains, bien sûr.

A suivre...

mercredi 8 août 2007

Elections américaines : Obama et le "bon sens en politique"


C’est un peu le monde à l’envers. Traditionnellement, la politique étrangère ne pesait guère dans le débat électoral américain et l’inexpérience dans ce domaine n’a jamais constitué un obstacle important. On se souvient par exemple de la campagne pour le scrutin de 2000 où George W. Bush s’était avéré incapable de citer le nom du président pakistanais Pervez Musharraf (« Heu... C’est un général, je crois », avait-il répondu au journaliste qui l’interviewait). Mais au cours des derniers jours, c’est ce motif qu’ont invoqué les adversaires d’Obama pour disqualifier Barack Obama.

En déclarant qu’il n’hésiterait pas, en tant que président, à user de la force militaire contre Al-Qaida au Pakistan, en se passant au besoin de l’accord du président Pervez Musharraf, le sénateur démocrate de l’Illinois s’est ainsi fait traiter de dangereux « va-t-en guerre » et d’« inconscient » par ses rivaux politiques qu’ils soient démocrates ou républicains. Quelques jours plus tôt, lors d’un débat avec les candidats démocrates, il s’était dit prêt à rencontrer sans préalable les dirigeants de pays opposés aux Etats-Unis tels l’Iran, la Syrie, le Venezuela, Cuba ou la Corée du Nord. « Colombe naïve » voire « incompétente » ont aussitôt tranché ses adversaires, Hillary Clinton en tête, qui ont encore profité de ses propos selon lesquels il n’ordonnerait pas le recours à l’arme nucléaire. « Il passe de Jane Fonda (qui avait milité contre la guerre au Vietnam) au Docteur Folamour (qui dans un film de Stanley Kubrick déclenche une guerre nucléaire) », a même ironisé de son côté le candidat républicain Mitt Romney, ancien gouverneur du Massachusetts.

Ces critiques ont de quoi surprendre. D’abord, parce qu’elles émanent de personnalités politiques qui n’ont guère brillé par leur sagacité en soutenant, voire en encourageant, la décision du président Bush d’envahir l’Irak en mars 2003. On pense à Hillary Clinton qui n’en finit pas d’essayer de faire oublier qu’elle avait voté pour la guerre et que ses propos de l’époque faisaient d’elle l’un des principaux faucons du camp démocrate.

Mais il n’y a pas que cela. Qu’Obama déclare qu’il utilisera la force contre Al-Qaida ne devrait choquer personne et il est étonnant d’entendre la Maison-Blanche défendre le général Musharraf après avoir multiplié les critiques à son encontre à propos de son incapacité, voire de sa duplicité, à mener le combat contre les extrémistes dans les zones tribales frontalières de l’Afghanistan. Il y a quelques semaines, dans un entretien accordé à la radio publique américaine, Hillary Clinton avait elle-même évoqué le recours à la force par les forces armées américaines à l’intérieur du Pakistan.

De même, Obama semble avoir compris, comme Nixon en son temps avec la Chine, que les tensions récurrentes entre les Etats-Unis et certains Etats dits « voyous » ne se règleront que par le dialogue et la négociation. Et son principal conseiller David Axelrod n’a pas tort de dire que Barack « tente d’insuffler un peu de bon sens dans une politique étrangère qui en a grandement besoin. »